JE SUIS NÉ DANS UN PORT…
Je suis né dans un port et depuis mon enfance
J’ai vu passer par là des pays bien divers.
Attentif à la brise et toujours en partance,
Mon cœur n’a jamais pris le chemin de la mer.
Je connais tous les noms des agrès et des mâts,
La nostalgie et les jurons des capitaines,
Le tonnage et le fret des vaisseaux qui reviennent
Et le sort des vaisseaux qui ne reviendront pas.
Je présume le temps qu’il fera dès l’aurore,
La vitesse du vent et l’orage certain,
Car mon âme est un peu celle des sémaphores,
Des balises, leurs sœurs, et des phares éteints.
Les ports ont un parfum dangereux pour les hommes
Et si mon cœur est faible et las devant l’effort,
S’il préfère dormir dans de lointains arômes,
Mon Dieu, vous le vouliez, je suis né dans un port.
Je me suis embarqué sur un vaisseau qui danse
Et roule bord sur bord et tangue et se balance.
Mes pieds ont oublié la terre et ses chemins ;
Les vagues souples m’ont appris d’autres cadences
Plus belles que le rythme las des chants humains.
À vivre parmi vous, hélas ! avais-je une âme ?
Mes frères, j’ai souffert sur tous vos continents.
Je ne veux que la mer, je ne veux que le vent
Pour me bercer, comme un enfant, au creux des lames.
Hors du port qui n’est plus qu’une image effacée,
Les larmes du départ ne brûlent plus mes yeux.
Je ne me souviens pas de mes derniers adieux…
Ô ma peine, ma peine, où vous ai-je laissée ?
Voilà ! Je suis parti plus loin que les Antilles,
Vers des pays nouveaux, lumineux et subtils.
Je n’emporte avec moi, pour toute pacotille,
Que mon cœur… Mais les sauvages, en voudront-ils ?
(chanté par Julien Clerc :
https://www.youtube.com/watch?v=cRECaHafr3A)
VII
Le vent de l’océan siffle à travers les portes
Et secoue au jardin les arbres effeuillés.
La voix qui vient des mers lointaines est plus forte
Que le bruit de mon cœur qui s’attarde à veiller.
Ô souffle large dont s’emplissent les voilures,
Souffle humide d’embrun et brûlant de salure,
Ô souffle qui grandis et recourbes les flots
Et chasses la fumée, au loin, des paquebots !
Tu disperses aussi mes secrètes pensées,
Et détournes mon cœur de ses douleurs passées.
L’imaginaire mal que je croyais en moi
N’ose plus s’avouer auprès de ce vent froid
Qui creuse dans la mer et tourmente les bois.
PROMENADE
Eh ! jeune homme distingué,
Nourrisson des belles-lettres,
Ne va pas te fatiguer
À chercher ta raison d’être !
C’est assez
Ressasser
Des bêtises dans ta tête !
Descends plutôt au bord des quais
Fumer ta cigarette.
Vois, d’abord, comme il fait noir,
Ce soir,
Tout le long des bateaux-lavoirs.
Vois comme il ferait bon
Sous les arches des ponts
Pour un cœur vagabond
Qui ne veut plus d’histoires !
La nuit d’été
Sur la cité,
La Seine sans bateaux-mouches,
Le petit
Clapotis
Du courant contre les bains-douches,
— Le tout sous la clarté stellaire ! —
Pareil spectacle est bien fait pour te plaire.
Et puis, voici
L’île Saint-Louis,
La plus tranquille,
La plus déserte de toutes les îles,
Sans Robinson, sans Vendredi,
Vaisseau manqué, jamais parti
Vers les Antilles !
Fais-en le tour, fais-en le tour,
Et reconnais ton âme-sœur,
Car elle garde avec amour,
Au fond du cœur,
Le cri d’adieu des remorqueurs.
Allons, bon jeune homme, va-t’en,
Pour un instant,
Puisque ta journée est finie,
Donner cours à tes sentiments
Sous la voûte du firmament.
Demain, faudra gagner ta vie...
CONFIDENCES
ÉPITAPHE
Un peu plus tôt, un peu plus tard,
Lorsque viendra mon tour, un soir,
Amis, au moment du départ,
En chœur, agitez vos mouchoirs !
Un peu plus tard, un peu plus tôt,
Puisqu’il faut en passer par là,
Vous mettrez sur mon écriteau :
« Encore un fou qui s’en alla ! »
En 1920, Gabriel Fauré, pourtant atteint de surdité, met en musique les mots de Jean de La Ville de Mirmont. Le résultat est impressionnant.
Gabriel Fauré -- L'horizon chimérique, op.118 --
Chant : Camille Maurane (Baryton)
Piano : Lily Bienvenu
1-La mer est infinie - 0'00''
2-Je me suis embarqué - 1'35"
3-Diane, Séléné - 4'20"
4-Vaisseaux, nous vous aurons aimés - 6'25"