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EAN : 9782752906656
Phébus (11/08/2011)
4.06/5   24 notes
Résumé :
On voudrait tout citer de ce livre de bonne humeur (1722) qui fit les délices de Chateaubriand et de Paul Morand.

Car si le père Labat, dominicain de son état, était un rude gaillard, c'était surtout un formidable écrivain. Un Saint-Simon qui aurait oublié de mâcher ses mots et qui, à l'instant de l'abordage en compagnie de ses amis flibustiers de la mer Caraïbe, trouve l'odeur de la poudre plus douce à ses narines que celle de l'encens.

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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
QUAND LE PÈRE LABAT DEVIENT UN SACRÉ "PÈRELABA" !

Plus que d'insignes bâtiments, des inventions souvent vite dépassées, des faits d'armes divers et variés et perdu dans les mémoires du monde, on peut estimer qu'un individu, homme ou femme, a suffisamment marqué son temps sur cette terre lorsque des locuteurs se sont emparés d'un patronyme pour en faire un mot, une expression. Ainsi en est-il des exploits "homériques", de la "césarienne" de Jules César, coup de Jarnac du sieur du même nom, de bien d'autres encore. de la même manière, le nom d'un certain père dominicain du XVIIIème siècle est-il bien involontairement demeuré jusqu'à nous en trouvant place dans le créole des Antilles françaises sous ce vocable de "pèrelaba" qui qualifie rien moins, et avec une certaine dose d'humour, un esprit malin : tout un programme !

Mais comment ce Père, aujourd'hui bien méconnu des mémoires métropolitaines, et très certainement oublié sans l'excellent travail des éditions Phébus (repris depuis dans son édition semi-poche "Libretto") ainsi que l'acharnement éclairé et savoureux de l'écrivain, essayiste et érudit Michel le Bris, a-t-il trouvé ainsi sa place dans la langue vernaculaire des Antilles ?

Faisons un peu d'histoire.
Jean-Baptiste Labat était un religieux dominicain né à Paris le septembre 1663. Il s'engagea dans les ordres à dix-neuf ans, puis enseigna les mathématiques et la philosophie à Nancy, et remplit aussi les fonctions de prédicateur. Il était, en 1693, au couvent de la rue Saint-Honoré à Paris. A cette époque, les supérieurs des ordres établis dans les Antilles françaises écrivirent à leurs confrères en Europe pour les engager à venir à leur secours, une maladie contagieuse ayant emporté la plupart des missionnaires ; une de ces lettres tomba entre les mains de Jean-Baptiste Labat-:

"Elle me pressa, dit-il, d'exécuter le dessein que j'avais formé depuis quelque temps de me consacrer aux missions comme à un emploi qui convenait tout à fait bien à ma profession."

Malgré les efforts que l'on fit pour le retenir, il partit, s'embarqua le 29 novembre à La Rochelle, emmenant avec lui plusieurs religieux de son ordre (certains devaient même périr de consomption avant même d'avoir pu débarquer). le 29 janvier 1694, il prit terre à la Martinique. Ce qui suit, est, en quelque sorte, le résumé de ce qu'il contera plus tard dans cet extraordinaire et édifiant Voyage aux isles :

Nommé aussitôt pour remplir les fonctions de curé de la paroisse de Macouba, il y resta près de deux ans. Il fut alors envoyé à la Guadeloupe pour y faire construire un moulin à eau dans une habitation de l'ordre. le gouverneur, qui eut occasion d'apprécier ses connaissances en mathématiques, le pria de l'accompagner dans la visite de l'île pour examiner les points susceptibles de défense. Quand Labat revint à la Martinique, un autre religieux s'était établi dans sa cure. le supérieur le consola de ce contre-temps par les marques de confiance dont il le combla, et le nomma procureur général de la mission.

Cet emploi mit Labat à même de donner des preuves réitérées de son intelligence pour les affaires. D'un autre côté, ses talents dans l'application des mathématiques et son excellent jugement le firent souvent employer par les gouverneurs. Chargé de différentes missions à plusieurs reprises, il visita toute la chaîne des Antilles françaises, anglaises et hollandaises, depuis la Grenade jusqu'à Saint-Domingue (Haïti). Ce fut à la Martinique et à la Guadeloupe qu'il séjourna principalement. Il servit pendant deux ans comme ingénieur dans cette dernière île, et quand les Anglais vinrent l'attaquer en 1703, il se montra aussi brave que religieux zélé, et pointa lui-même plusieurs pièces contre eux.

En 1706, la situation des affaires de la mission exigeait qu'un religieux fût envoyé en Europe. Labat, qui depuis un an remplissait les fonctions de supérieur de la mission de la Martinique, et qui avait déjà eu les pouvoirs de vicaire général et de préfet apostolique de toutes les missions des dominicains dans les Antilles, reçut l'invitation d'aller veiller à des intérêts auxquels il avait donné tous ses soins. Il quitta la Martinique le 9 août; le 9 octobre il entra dans le port de Cadix. Il ne reverrait jamais les Antilles jusqu'à sa mort, le 6 janvier 1738, à l'âge de soixante-quatorze ans, certains de ses "ennemis" locaux faisant visiblement jouer tout leur entregent pour que cela n'advint jamais, malgré des demandes réitérées de cet incroyable personnage.

C'est donc à son retour en France que, reprenant ses notes quotidiennes, il fit le rapport tout à la fois précis et croustillant de ses douze années passées à la Guadeloupe (des deux principales îles où il vécu, incontestablement celle qu'il préféra) et à la Martinique. Cependant, qui aurait pu n'être qu'une relation de voyage un peu froide, technique, n'intéressant que les futurs chercheurs s'intéressant de près à la vie coloniale dans nos colonies des caraïbes sous le règne de Louis XIV va en réalité s'avérer être un véritable morceau de bravoure littéraire de son temps. Son style enlevé, précis mais empli de vie, d'une bonhomie parfois terrible à nos yeux de lecteur du XXIème siècle, cette espèce de fougue, de ferveur, de tempête permanente qu'est cette vie pleine de rebondissements, de rencontres en tous genres, tant avec les derniers indiens caraïbes que des sorciers noirs réduits en esclavages, ou encore des corsaires espagnols et des soldats anglais, des confrères plus ou moins dégourdis ou des chevaliers d'industrie et autres notabilités ci-devant dirigeantes (parfois pour le pire) de ces îles du bout du monde de l'époque.

On se prend à rêver avec lui lorsqu'il nous décrit une Saint Domingue encore belle de la virginité dans laquelle Christophe Colomb la découvrit trois siècles auparavant, riche de ses mines d'or et d'argent encore très peu exploitées, de ses forêts innombrables que le défrichement abusif et la déforestation dramatique n'ont pas encore détruites, riche de ses plaines grasses et de ses incalculables troupeaux de bêtes. Ne dit-il pas lui-même, en la visitant, que l'île pourrait nourrir à elle seule toute la Caraïbe ? On peine à le croire aujourd'hui lorsqu'on sait la misère dans laquelle survivent les habitants de ce qui s'appellera bientôt Haïti...

On le suit aussi, infatigable faiseur et stratège impitoyable, à travers toute la Guadeloupe, tandis qu'il en crée ou en consolide les défense, dès lors que la guerre avec l'anglais est de nouveau d'actualité (il subsiste encore une tour de batterie de défense côtière, qui porte désormais son nom, sise entre les communes de Baillif et Basse-Terre). Et lorsque ce n'est pas au génie militaire que son esprit sans cesse en action travaille, c'est au génie civil et religieux qu'il s'applique, redressant une église ici, construisant des bâtiments destinés à recevoir les récoltes là, créant une sucrerie plus loin. Car cet homme-là est proprement infatigable, c'est même une véritable tornade qui n'use pas tellement plus ses esclaves (hélas) que ses coreligionnaires, les instances dirigeantes, religieuses, coloniales où royales de ces petits morceaux de Royaume de France, perdus tout au bout de l'Atlantique tropical, à force de labeur, de projets, de courses à travers les terres tout aussi bien que sur mer.

Bien sûr, il y a en effet l'esclavage. Et loin de s'apitoyer vraiment sur ces malheureux africains déracinés, envoyés loin de chez eux au détriment de toute espèce de liberté, d'humanité, non seulement il en comprend la nécessité, mais il lui trouve même d'incroyables, d'insupportables (à notre jugement de contemporains) excuses et explications (dont celle, tout particulièrement, d'être le meilleur et presque unique moyen de sortir ces "nègres" de leurs d'en faire de bons chrétiens... Chacun pourra juger à l'aune de ses propres croyances...). Et l'on aura beau arguer qu'il prend garde que ses propres esclaves - car il en "possédera" - soient bien traités, nourris, vêtus et logés, même s'il se hérisse contre ces colons trop violents ou les laissant survivre dans les pires conditions, il n'est pas trop de dire qu'il défend le principe même de l'esclavage. D'ailleurs, contre ces derniers, ces colons imbécilement mauvais à l'encontre de leurs esclaves, ce qu'il leur reproche n'est pas tant d'en avoir, et parfois trop, mais de ne pas savoir correctement les faire subsister à fin ultime de les exploiter plus intelligemment, plus utilement, plus efficacement, et non de les faire mourir bêtement trop tôt sans que ces hommes ravalés au rang de bêtes aient pu donné le meilleur d'eux-même...

Étonnamment, la description que nous fait notre gaillard de Père Labat des indiens caraïbes - qui n'auront de cesse de disparaître dans les méandres de l'histoire mondiale à partir de leur "découverte" par Christophe Colomb - est toute emprunte de respect, de grâce presque d'envie. Il nous dit, à demi-mots, son admiration de ce qu'ils soient à ce point épris de liberté et que ce peuple fier ne se soit pas tant que cela laissé attrapé pare les mirages de notre civilisation. Ce n'est évidemment pas exprimé de telle manière, mais c'est réellement ce qui ressort de ses nombreuses descriptions de ce peuple aujourd'hui disparu ou totalement assimilé.

Alors, bien entendu, cet homme-là mérite franchement de qualifier, encore aujourd'hui, un "esprit malin" dans ce créole qui commençait lentement à se mettre en place à l'époque. Mais c'est aussi un témoin d'une rare puissance narrative, quitte à inventer des lois n'existant pas, comme une qui aurait interdit une certaine danse qu'il juge trop lascive, la calenda, ce qui lui permet en même temps, malignement, d'entrer dans tous les détails de sa description, car on comprend dès les premières pages de ce récit inclassable qu'il éprouve un bonheur aussi grand que nous de le lire à décrire tout ce qu'il voit, sent, mange, boit, entend, expérimente, construit, remet en place, agrandi, explore, découvre, rencontre, exalte de cette vie menée à cent à l'heure (malgré la relative lenteur des modes de déplacement de ces siècles lointains). Et l'on se laisse totalement emporté, embarqué, embringué par ce personnage digne d'un roman feuilleton du XIXème, d'un Alexandre Dumas ou d'un Mark Twain, excessif en diable (amen...), farci de défauts - sa commisération pour ses ennemis ou seulement ceux qu'il n'apprécie guère n'a rien de franchement chrétienne. de même, c'est un peu marche ou crève dès lors qu'on s'essaie à le suivre, et il n'a que mépris pour les retardataires. Dans le même genre accepte-t-il assez peu la contestation lorsqu'il est convaincu d'avoir raison - auxquelles répondent des qualités toute aussi fortes et entières, comme son attachement sincère pour tel jeune esclave, l'amour considérable et indéniable qu'il se prend à porter pour ces îles sous le vent, les amitiés viriles (il est très peu question de femmes, soyons clairs, dans cet ouvrage. Et lorsqu'elles sont seulement évoquées, il est rare qu'elles y tiennent le beau rôle...), l'ardeur à défendre ce petit coin de France, une sorte de Paradis sur terre, indépassable à l'en croire.

Récit d'un morceau de vie, récit d'aventure, récit colonial, récit maritime (les amoureux d'histoire de corsaires et de flibuste y puiseront des pages de première main d'une incroyable verve, d'une fougue éclatante de justesse et de vitalité, au point que la lecture du Père Labat sur ces épisodes nombreux mais rarement relatés par ceux qui les ont directement vécu demeure une source première de documentation auprès des chercheurs). Récit d'une implantation française dans les Caraïbes - environnée d'espagnols et d'anglais pas forcément toujours amicaux -, récit botanique, naturaliste et culinaire plus souvent qu'à son tour : il faut vraiment se laisser séduire par sa description du café, du cacao ou du tabac - qu'il n'apprécie guère - alors encore bien neufs en occident, par sa gourmandise impénitente à expliquer la mise en place de "boucans" de tortue ou de porcs sauvages, pour comprendre que cet homme-là était un déjà un homme des lumières avant l'heure, un esprit universel préfigurant, de très loin certes, les futurs encyclopédistes, malgré cette foi chrétienne encore très dogmatique et peu encline à la pitié, et d'une piété souvent très pragmatique et conservatrice fort éloignée d'une quelconque spiritualité transcendantale et assagie...

Lorsque le lecteur referme cette énorme, presque monstrueuse, vague de souvenirs, de faits et racontars, d'expériences partagées, d'admirations ou de dégoûts, de drôlerie involontaire ou démesurée, de portraits, c'est un air totalement nouveau, infiniment rafraîchissant malgré - à cause de ? - toutes les distances temporelles qu'il conserve à l'esprit, et pour longtemps ! C'est aussi le souvenir puissant d'une langue belle, déliée, captivante, d'une beauté quasi originelle, qu'il conserve. Car le Père Labat ne se contente pas de nous montrer ce que fut cette vie, non ! le Père Labat parle beau ! Au point que l'on se prendrait presque à regretter que soit à tout jamais perdue cette langue, avec laquelle on se faisait "des honnêtetés" (expression dont use et même abuse, pour notre plus grand plaisir, le Révérend-Père, chaque fois qu'il rencontre l'un de ses semblables) pour se dire de gentilles et courtoises choses entre gens de bonne compagnie, ce style tour à tour d'une exactitude perverse, d'une joliesse envoûtante, d'un rythme aujourd'hui inédit qui ferait passer nombres de romans contemporains pour de plates histoires pour enfant sans vocable ni grammaire...

L'ensemble se boit comme... un rhum de la Marie-Galante (une distillerie y porte encore son nom) dont il semble aussi l'un des précurseurs, avec son invention d'un breuvage, une eau de vie nommée la "guildive sucrée", supposé alors être un remède contre les fièvres malignes, fièvre de Siam - l'actuelle fièvre jaune - en tête (dont il eût à souffrir par deux fois les attaques, au péril de sa vie puisqu'un nombre considérable d'habitants en mourrait au bout de quelques jours) : on n'est jamais aussi bien servit que par soi-même, n'est-ce pas ?

Mon père, pour toutes ces bonnes pages, nous vous faisons à notre tour toutes nos honnêtetés !

PS : Précisons que l'ouvrage présenté ici est une sorte de condensé de ce qui fut publié en huit volumes en 1720, connaissant même cinq rééditions entre 1722 et 1742 tant le succès de cette "relation" ne se démentira pas tout au long du siècle des lumières. Il en existe encore une version complète et en fac-similé récente, fruit du travail de titan un peu fou d'un petit éditeur parisien, "Les éditions du Père Labat". Ceci étant, le travail des éditions Phébus et de Michel le Bris, dont la préface à cette publication est par ailleurs des plus éclairantes, donne à lire ce qui est de première main et de première importance de notre incroyable religieux, à l'exception regrettable mais compréhensible, dans un tel format éditorial, des encres et autres dessins de cet insatiable, énormifique, indescriptible personnage.
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La vérité, rien que la vérité !
Voici ce qu'est ce livre, le vrai de ce qui fut vécu et commis par son auteur. Ce n'est pas un roman, ni les mémoires de! c'est un journal, c'est le quotidien en 1700! ce qu'est la vie en ce temps, les gens, la nourriture, la mort partout, tout le temps, on enterre à chaque page, on manque mourir chaque mois. L'aventure est ordinaire .
Attention de nombreuses éditions sont incomplètes, censurées par le clergé ou par les éditeurs, notamment concernant les exécutions de sorciers et chamans, mais aussi des constats de résultats de médecine animiste.
Un livre indispensable pour relativiser tout les romans historiques et les postures contemporaines face au passé.
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Le père Labat est un dominicain original. Il a poursuivi des études scientifiques plutôt que des schismes. Il est vrai qu'en ce début de XVIIIème siècle, ce n'est plus le temps de l'Inquisition, mais celui des colonies. Le père blanc part donc aux Antilles à la fin de l'année 1693. Il il va y déployer des talents dépassant largement ceux de son état de frère prêcheur. Il tient un journal précis de ses activités et de ces curiosités. Et cet homme sait tout faire ! Non seulement construire des églises, des habitations, mais aussi des fortifications. Sa curiosité est insatiable, les plantes, les mœurs des habitants, la marine à voile, les flibustiers, les armes, l'architecture.
Prêt à faire le coup de feu, le cas échéant, lors des attaques anglaises, Labat sait aussi être médecin, agriculteur, inventeur (du rhum)... Sans oublier tout à fait d'être prêtre à ses heures perdues, puisqu'il trouve encore le temps de lire son bréviaire, de confesser les fidèles, de célébrer la messe et de baptiser à tour de bras les esclaves, sur le sort desquels il ne s'apitoie guère.
Ce qui lui fait quelquefois quelque peu défaut, c'est en effet la charité chrétienne, à l'égard d'un certain nombre de ses semblables ecclésiastiques, les jésuites en particulier, auxquels il réserve des flèches assassines, toutes verbales, cela va sans dire, dans un style où son dernier éditeur, l'excellent Michel Le Bris, retrouve la verve de Saint Simon. Il y a bien la griffe du Duc, mais aussi la main experte de l'industrieux Comte (de Saint Simon) en cet homme là ! Mais il faudrait y ajouter une touche de Fontenelle, de Vauban, de Diderot, sans oublier le Capitaine Crochet ! Diable d'homme ! En rédigeant ses mémoires, le père Labat nous fait, selon une expression qu'il affectionne, "bien des honnêtetés".
Lien : http://diacritiques.blogspot..
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
On ne connait point de pays au monde [NB : Saint-Domingue] plus abondant que cette île, la terre y est d'une fécondité admirable, grasse, profonde, et dans une position à ne jamais cesser de produire tout ce qu'on peut désirer. On trouve dans les forêts des arbres de toutes espèces d'une hauteur et d'une grosseur surprenantes. Les fruits y sont plus gros, mieux nourris, plus succulents que sur les autres îles. On y voit des savanes, ou prairies naturelles, d'une étendue prodigieuse, qui nourrissent des millions de bœufs, de chevaux et de cochons sauvages. Il y a peu de pays au monde où l'on trouve de plus belles, de plus grandes rivières, en pareil nombre et aussi poissonneuses. Il y a des mines d'or, d'argent, de cuivre, qui ont été autrefois très abondantes et qui rendraient encore beaucoup si elles étaient travaillées, mais la faiblesse des Espagnols, qui leur fait toujours craindre que les autres Européens ne les chassent absolument du pays, les oblige à cacher avec soin celles qui sont dans leurs quartiers, de sorte qu'ils possèdent des trésors sans oser s'en servir et laissent en friche des terres immenses qui pourraient enrichir des millions de personnes plus intelligentes et plus laborieuses qu'ils ne sont.
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Pendant qu'on assemblait ces provisions, ils prièrent le curé de dire la messe dans leur barque, ce qu'il n'eut garde de leur refuser. On envoya chercher les ornements et on fit une tente sur le gaillard, avec un autel pour célébrer la messe qu'ils chantèrent de leur mieux avec les habitants qui étaient à bord. Elle fut commencée par une décharge de mousqueterie et de huit pièce de canon dont la barque était armée. On fit une seconde décharge au Sanctus, une troisième à l'élévation, une quatrième à la bénédiction, et enfin une cinquième après l'Exaudiat et la prière pour le Roi, qui fut suivie d'un «Vive le Roi» des plus éclatants. Il n'y eut qu'un petit incident qui troubla un peu la dévotion : un de ces forbans se tenant dans une posture indécente pendant l’Élévation, fut repris par le capitaine Daniel. Au lieu de se corriger, il répondit une impertinence accompagnée d'un jurement exécrable qui fut payé sur le champ d'un coup de pistolet que le capitaine lui tira dans la tête en jurant Dieu qu'il en ferait autant du premier qui manquerait de respect au saint Sacrifice. Le prêtre se retourna un peu ému, car cela s'était passé fort proche de lui. Mais Daniel lui dit :
- Ne vous troublez point, mon Père, c'est un coquin qui était hors de son devoir, que j'ai châtié pour le lui apprendre.
Manière très efficace, comme on le voit, pour l'empêcher de retomber dans une semblable faute.
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Une thèse fut soutenue le 26 mars dans les écoles de médecine, qui demandait si le fréquent usage du tabac abrégeait la vie. An ex tabaci usu frequenti vitae summa brevior ! Et on concluait fort démonstrativement que l'usage fréquent de cette plante l'abrégeait. Ergo ex frequenti tabaci usu vitae summa brevior.
Mais que ne peut point la prévention, quand elle s'est une fois emparée de l'esprit des hommes ? Elle emporta en effet en faveur du tabac malgré tout ce qu'on put dire et faire contre lui. On se porta à en prendre avec une espèce de fureur qui ne permit plus de distinguer ni les lieux, ni les temps, ni les âges, ni les sexes, ni les tempéraments, ni les personnes. Tel n'en avait jamais pris qui dans deux ou trois jours s'en fit une habitude si forte, s'y asservit tellement, qu'il se réveillait la nuit exprès pour en prendre, qu'il en prenait en mangeant, en conversant, en marchant, en travaillant, en priant. On le regarda comme le lien de la société, la chose la plus nécessaire qu'il y eut au monde, que dis-je ? on s'étonna comment on avait pu vivre tant de siècles sans tabac, et on s'imagina qu'on cesserait de vivre dès qu'on cesserait d'en user. On poussa la chose si loin qu'on ne pouvait plus être un moment sans en prendre. On en prenait jusque dans les églises, sans que la présence de Dieu qu'on y adore, et le sacrifice redoutable qu'on Lui offre, pussent inspirer le respect, le recueillement et l'attention que des chrétiens convaincus de la vérité de leur religion devaient avoir naturellement, de sorte que Urbain VIII fut obligé, pour remédier à ces abus qui allaient jusqu'à la profanation, de publier une bulle par laquelle il excommuniait ipso facto tous ceux qui prendraient du tabac dans les églises.
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Les Malouins ont été les premiers de nos français qui aient trafiqué du café à Moka et qui l'aient apporté en droiture en France.
Deux de leurs vaisseaux armés entreprirent ce voyage en 1709. Ils firent quelques prises considérables sur leur route et conclurent un traité de commerce avec le gouverneur de Moka. Ils rapportèrent une quantité considérable de café, avec toutes les instructions nécessaires pour se bien servir de ce simple.
On peut dire qu'on leur a l'obligation tout entière de l'introduction de ce breuvage, sur lequel les médecins ont tant écrit et tant parlé pour et contre. Je ne prétends pas les approuver ni les blâmer. L'usage doit en être le meilleur juge, et les différentes constitutions des personnes doivent décider sur ce qui convient aux uns et nuit aux autres.
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Il y eut le chirurgien d'un vaisseau qui ne fut pas si heureux. Son capitaine le voulut mettre au fers pour arrêter le cours des extravagances qu'il faisait à tous moments ; il s'échappa des mains de ceux qui le tenaient et sauta à la mer ; mais il eut le malheur de tomber auprès d'un puissant requin qui le reçut un peu plus discourtoisement que la baleine ne reçut autrefois le prophète Jonas, car il emporta la tête, et il aurait entraîné le reste du corps si des matelots qui étaient dans une chaloupe ne l'eussent empêché.
La petite vérole succéda à la folie ; elle s'attacha aux nègres, dont elle emporta un grand nombre, comme elle avait emporté l'année précédente quantité de femmes blanches.
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