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EAN : 9791090062498
80 pages
Editions iXe (26/04/2019)
4.3/5   20 notes
Résumé :
Souad Labbize est descendue ''dans les caves de l'enfance'', pour écrire ce témoignage en soutien à toutes les femmes et filles victimes d'agressions sexuelles. Rédigé en français, traduit en arabe, il pose dans ces deux langues des mots sur la douleur et la honte, sur la rudesse de la mère et l'indolence du père. Des cris horrifiés, sans compassion ni tendresse pour l'enfant violée, la projettent sur le chemin au bout duquel elle gagnera sa liberté et son indépenda... >Voir plus
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Beau témoignage écrit quarante ans après sur un viol subi. Et ceux qui l'ont suivi. La plume est trempée dans le sang, on imagine le tremblement de terre que ce travail de réminiscence a suscité chez l'auteure. Une violence inouïe faite à une enfant de neuf ans, confirmée et amplifiée encore, s'il était possible, par une autre violence infligée à postériori : le manque d'empathie (c'est un euphémisme), voire la cruauté, consciente ou non, d'une mère et de son cercle proche, ont accru la solitude et la déréliction de la petite fille, mettant en danger la femme future. Ce sont les réactions de l'entourage qui bouclent la boucle et font peser le stigmate, non sur les criminels mais bien sur leurs proies. Qui ensuite se taisent. Massivement.
Industrie des hymens reconstitués, parfois chez de toutes petites filles, de minuscules puces déjà chosifiées par les prédateurs. Qui sont souvent dans l'entourage : oncles, pères de camarades de classe.... Qui sont partout : dans les vestiaires des femmes, dans la rue, sur les marchés, dans les maisons...
Les victimes dérangent, c'est un fait. Les victimes sont les seules coupables. Les victimes, si l'on écoutait leur discours muet et recroquevillé par la douleur, remettraient gravement en cause l'ordre établi. le féminin porte la culpabilité en lui : le corps féminin doit être puni.
Le style est beau, très beau. Efficace, très efficace.
Bonne idée aussi, bien que je ne comprenne pas l'arabe, d'avoir également édité le témoignage dans la langue du pays où eut lieu les agressions. Non que ce pays ait le monopole des violences aux enfants, mais bien pour dénoncer ce crime dans les deux pays de l'auteure : son pays natal et celui où elle vit.
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À cinquante ans, Souad Labbize ose enfin raconter son viol, confiné jusqu'alors dans ses pensées et ses peurs, tenues secrètes pendant plus de quarante ans dans ce “cachot intime” de l'enfance, où se sont fossilisés les mots pour dire son drame. Enjamber la flaque où se reflète l'enfer, est le récit intime de l'auteur de ce roman , qui fait appel à de douloureuses bribes de souvenirs de cette fatidique année 1974, année de son viol année de son viol, alors qu'elle n'a que 9 ans. par un adulte alors qu'elle était sortie en cachette de la maison. Ce témoignage devient une “marque de compassion” pour la petite fille qu'elle était, puisque ni sa mère, ni son père, ni ses tantes et encore moins les voisins ne lui ont témoigné, après son viol, la moindre compassion ni tendresse, si ce n'est les humiliations répétitives de la mère, les moqueries innocentes des petites cousines et “l'indolence” du père. Ce père qui “rougit” à l'annonce faite par son épouse de la “tentative” de viol que venait de subir sa fille. Au drame du viol, à la difficulté de le comprendre et de le dire, s'est érigé un autre enfer, celui du dégoût de la mère, qui ébruitera le déshonneur que venait de subir la chair de sa chair auprès de la famille et des voisins, voyant en elle l'unique responsable. “Ma mère a continué à ébruiter mon malheur avec mépris, elle se plaignait d'avoir une fille stupide. Aucune des femmes informées n'a eu le mouvement vers la petite fille figée sous la pluie acide des mots maternels. Je m'habituais au manque de tact de ma mère, à l'absence d'affection, au silence de mon père.” La cruauté de la mère, censée pourtant la soutenir et la consoler, finit par faire de la petite fille une enfant sans repères, sans joie, murée dans un mutisme et une peur perpétuelles. le rejet de la mère mènera la jeune Souad à ne plus oser parler des autres viols et agressions sexuelles qu'elle subira les années suivantes et à l'âge adulte, puisque, dans les sociétés maghrébines, l'opprobre est porté sur la victime, non le violeur, et l'actualité le démontre. Ainsi sont passés sous silence les abus du moniteur de la piscine, père de deux enfants du même âge qu'elle, ceux des gamins du quartier, amassés autour d'elle à l'entrée de l'immeuble, ceux de Hassan le voisin, ni Elyas, le cousin violeur, qui abusait d'elle dans la terrasse en haut de la maison à El-Harrach.
Stratifiés, ces traumatismes successifs finissent par se ressembler pour la petite fille et la femme qu'elle deviendra, puisque le silence et la culpabilité qu'on lui a imposés à chaque viol vécu ont fini par happer la douleur ressentie et le deuil de son honneur souillé.
Les paroles d'enfant rejoignent les pensées d'adulte de Labbize, qui use d'un langage cru et naïf à la fois. Arrachés du fond de sa mémoire, ces mots viennent-ils, se demande-t-on, panser une blessure que personne n'a su regarder, encore moins soigner, quarante ans après les faits ?
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Il est ce tout petit livre d'un titre hautement pertinent autant que poétique. Il est fulgurant et je dirais presque magistral, tellement l'autrice parvient à nous mener là ou elle dusse enjamber la flaque où se reflète l'enter.

J'ai croisé ce petit des Éditions iXe, sans vraiment lire la première de couverture, il va sans dire que si j'avais lu "dire le viol par" Souad Labize, je l'aurais reposé. Pourquoi ? Une thématique qui me fatigue volontiers tellement j'ai lu sur le sujet, écouté sans rien dire, entendu sans intervenir, accompagné en livrant ma propre parole.

Toujours, je me réjouis que la parole puisse émerger chez qui que ce soit hommes compris. Mais de plus en plus cela me met en tenaille d'aller jusqu'à livrer ou pas mes propres démons.

Car je sais que si je vais par delà le mutisme, je risque de m'ébranler moi-même de par la violence qu'il risque d'en émaner, je sais que je vais choquer, et finalement quand on écrit un peu, du moins pour moi-même, en tant que moi-même, j'ai toujours appréhendé le fait que les lecteurs potentiels puissent m'identifier totalement à mes écrits, en tant que personne qui soit contenue, coulée dans le béton de l'écrit.

Rappelez-vous de Vaulx en Velin, ou je ne sais plus quel film était tourné, peut-être 'La haine ? Les policiers sur le site du tournage se sont fait caillasse. On peut y voir l'importance de cette forte imprégnation des serrages et dissociation des populations, entre gens dits 'normaux et ceux dits 'de cités. Aparté.

J'ai juste entrouvert le livre et compris de quoi il s'agissait mais les quelques mots lus s'il ne m'ont laissé aucun doute sur la nature du contenu, m'ont convaincus en un millième de seconde de le lire.

Ce petit livre est grand. Il est très non seulement magnifiquement écrit mais reflète l'innocence pure des enfants attaqués auxquels on vole l'innocence, pour lesquels la parole est insaisissable par 'les grands, les adultes, ceux qui protègent parait-il. Une douceur certaine témoigne du respect de l'auteur pour son entourage, de la violence du travail au corps que devient une agression au cours des années.

Nous avons là une édition bilingue, arabe-français d'un petit livre puissant autant par le talent littéraire que par le témoignage de Souad Labize.
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Merci à Babelio, aux éditions iXe et surtout à l'auteure pour ce petit récit à nul autre pareil.

Dans la littérature actuelle, on voit beaucoup des livres racontant violences, viols et autres horreurs. On se retrouve ici avec le même sujet, mais traité d'une toute autre manière. Ici, la protagoniste est une femme réduite au statut d'objet sexué. Elle a vécu des horreurs, tout simplement. Et elle les décrit, plusieurs décennies plus tard, tout simplement également. Entre ces deux moments, un mensonge, seul solution pour survivre quand on est une femme dans un monde où le respect a disparu...

« Ces paroles errent sans corps, inconsolables. Si je pouvais leur coudre des vêtements pudiques pour qu'elles acceptent de sortir. Qu'elles expriment ce qui n'a pas été dit quand un mensonge a pris le relais pour faire cesser les cris de ma mère. »

Tout petit livre lu en une grosse demie heure, mais qui me laissera longtemps une sensation de désarroi intense. Dans quel monde vivons-nous ? Comment peut-on encore se nommer « être humain » ? Les vérités dites ici à mots plus ou moins couverts sont tout bonnement injustes.

« Étais-je à ce point coupable pour qu'aucun adulte ne m'interroge jamais sur l'identité de l'homme ? »

Une autre particularité de ce livre est sa mise en page… En le lisant de gauche à droite, nous avons la version française, et quand on le commence par l'autre face, de droite à gauche, nous avons la version écrite en arabe. Je l'ai lu lors de ma pause midi, je reprends mes consultations et le dépose « face cachée » sur mon bureau pour réfléchir à la critique après mon après-midi de travail. Mon premier patient entre et me demande, pratiquement de suite, si je lis l'arabe. Je n'avais pas fait attention que « face cachée », pour moi, serait « face visible » pour quelqu'un qui lit l'arabe… Je décris en deux mots le livre au patient, et lui tend spontanément. Suite lors de la prochaine consultation…
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Rien n'est arrivé de grave depuis que ma mère a hurlé

« Préambule. L'évocation de l'épisode fondateur de mes prisons intérieures ne se fera pas sans la traversée des sanglots. Ecrire ne me donnera pas la force de m'exprimer de pleine voix, les mots inconnus de ce drame se sont fossilisés depuis une quarantaine d'années »

Une phrase répétée, une phrase de plomb, « Rien n'est arrivé de grave depuis que ma mère a hurlé ». Un été au milieu des années 70, une enfant, un lieu (mais cela pourrait-être des milieux de lieux, des milliers d'autres fillettes. En vérité ce sont des milliers de fillettes dans des milliers de lieux).

Des paroles enfermées dans le cachot de l'intimité, des paroles murées, impossibles à approcher, impossible à visiter. « Tant que je n'aurai pas réussi à les convaincre de m'accompagner vers la lumière, ces paroles m'exposent à la toute-puissance de ma mère, à sa colère inattendue, toujours aussi terrifiante ».

L'impuissance devant ces paroles prononcées ou ravalées. Ce qui n'a pas été dit et le mensonge qui prit le relais. La victime rendue coupable, une fois encore, comme dans le refus habituel de saisir le sens social et politique de la violence. le regard en arrière, tenter de revenir sur des lieux et des faits dans sa tête, « Immobile, je refaisais le trajet, modifiant des bribes cruciales des faits ». Une enfant, une fillette de 9 ans, la mémoire en deux langues qui « jouent ensemble à saute-mouton », les mots qui ajoutent à la violence subie, les mots maternels, et ce « violet », « Ce mot était la première clé de la trappe que j'avais camouflée avec un mensonge ». L'enfance n'est pas ici celui des contes et des merveilles (il en est de même de millions d'enfances dans des milliers de lieux, des enfances fracassées…), « L'enfance est un empire régi par des matons qui savent tout de l'adulte que tu deviendras ».

La respiration, le désespoir, les suffocations, les puissants sanglots – et des pleurs quarante ans après pour un détail échappé -, la liste de ces gestes agressions et de ces lieux « où la seule présence d'une fille était une autorisation en règle pour la palper, l'embrasser, lui pincer un sein ou les fesses », l'appropriation collective des corps des femmes avant leur appropriation privative, le refuge sous le lit, les mot – « sous la pluie acide des mots maternels » – publiquement répétés, « Affligée, humiliée d'entendre parler de moi en ma présence, comme si j'étais un objet », la nausée, la traître solitude, cet oncle qui cloitrait les femmes de sa tribu, « Qu'ont-ils tous vécus pour être aussi fragile face au désarroi d'une enfant abusée ? »

Des mots qui ne figuraient pas encore dans les armoires à mots de l'autrice, des actions déniées par le vocabulaire mensonger, le mot safoune de la broche brulante en pénétration d'une jeune mariée, les mots appris en obstétrique…

Des autres gestes, d'autres hommes, d'autres violences sexuelles. Et cette gifle reçue, la violence ciblant plus les filles que les garçons, un épisode appartenant à « la liste noire que je suis seule à connaitre », un souvenir comme un autre « où nous servions de poupées sexuelle au jeune homme », le fleuve creusé par le mensonge « entre ma mère et moi », l'espace extérieur et le mot viol…

Un tissu opaque revêt et couvre de mensonges une (des) enfance(s). « Rien n'est arrivé de grave depuis que ma mère a hurlé ». Nous saisissons alors tous les sens possibles du beau titre de cet ouvrage.


Lien : https://entreleslignesentrel..
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Rien de grave n’est arrivé depuis que ma mère a hurlé. Mon récit balbutiant a buté contre l’écho de sa voix. Mes paroles se sont recroquevillées autour de leur noyau, d’autres moins souples ont implosé, semant un arbre à grenades dans les plis de la gorge. Chaque floraison renforce les racines du grenadier tenace, les fruits non cueillis se rabougrissent, encombrent ma poitrine. Quels mots d’enfant allaient relater ce que je venais de subir ? Je suis rarement revenue, depuis l’été soixante-quatorze, vers ces paroles enfermées dans mon cachot intime, le plus éloigné de ma vue quand je descends dans les caves de l’enfance.
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Préambule. L’évocation de l’épisode fondateur de mes prisons intérieures ne se fera pas sans la traversée des sanglots. Ecrire ne me donnera pas la force de m’exprimer de pleine voix, les mots inconnus de ce drame se sont fossilisés depuis une quarantaine d’années
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Tant que je n’aurai pas réussi à les convaincre de m’accompagner vers la lumière, ces paroles m’exposent à la toute-puissance de ma mère, à sa colère inattendue, toujours aussi terrifiante
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Affligée, humiliée d’entendre parler de moi en ma présence, comme si j’étais un objet
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Qu’ont-ils tous vécus pour être aussi fragile face au désarroi d’une enfant abusée ?
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