Fin XIXe dans le pays Cévenol, Antoine
Chabrol part pour l'estive, la transhumance d'été, avec ses moutons, brebis et quelques chèvres, à travers les drailles, ces chemins escarpés et souvent étroits qui le mèneront, lui et ses bêtes sur les plateaux herbeux du Causse, où ils passeront cinq mois loin de toute vie familiale.
Auguste Donnadieu, châtelain autoritaire, lui confie comme à d'autres métayers son cheptel, tandis que sur ses terres il entretient ses vignes, secondé par l'ombrageux régisseur Legarec, qui n'hésite pas à user de son emprise sur les familles au service de son patron, ou sur les ouvriers espagnols venant se louer chaque année pour les vendanges.
À Quérac, Adeline la femme d'Antoine, et Adrienne Coste, celle de Joseph parti lui aussi à l'estive, s'entraident en voisins pour s'occuper des bêtes restées à la métairie, tout en rêvant pour leurs enfants d'un avenir meilleur, notamment grâce à l'éducation que la République dispense gratuitement sur le pays.
Tout semble organisé suivant la tradition, sans espoir de changement, chacun à sa place de bas en haut de l'échelle sociale. Mais le siècle nouveau arrive et les idées progressent, et le calme apparent de la vie paysanne risque de ne pas durer.
«
le Bonheur en Cévennes » est un recueil de trois
romans de
Christian Laborie parus entre 2004 et 2007, «
L'Appel des drailles et Les Drailles oubliées » qui constituent un récit, et «
l'Arbre d'or » qui en est un autre. L'auteur, originaire du nord de la France et cévenol d'adoption, s'est pris de passion pour son ”nouveau pays“, et en témoigne depuis plus de vingt ans à travers ses livres. À la façon de
Jean Giono pour la
Provence, de
Pierre Magnan son disciple des Basses-Alpes, ou encore
Per-Jakez Hélias pour la Bretagne,
Maurice Genevoix en Sologne,
Henri Vincenot en Bourgogne et tant d'autres, Laborie exalte dans une écriture naturaliste la vie des paysans à la naissance du XXe siècle.
Entre la vie des bergers qui ”s'endraillent” chaque année pour l'estive, celle de leurs familles restées au village pour la vigne et d'autres travaux paysans, c'est une suite de descriptions qui fleurent bon le terroir et la vie simple des Cévennes, que nous propose l'auteur. Ça sent bon la châtaigne, le suint de la laine, on goûte aussi la saucisse sèche, le fromage de chèvre et le vin un peu dur de la région. L'écriture de Laborie est faite aussi du contraste entre le quotidien apparemment simple et ordonné, et l'évolution des pratiques empreintes de modernité qui apparaissent à la veille du grand conflit qui se prépare et les bouleversements politiques de tout le continent européen.
On s'attache rapidement à ces paysans, leurs amis, leurs maîtres et à leurs amours, leurs disputes, même leurs malheurs. On s'émerveille souvent de ces paysages changeants d'une saison à l'autre, d'une vallée à un causse ou une vigne. Mais aussi on peine à leurs côtés, à partager tous ces malheurs qui s'abattent tant et souvent au mêmes endroits, sur les mêmes gens. On peine aussi à lire car le rythme est lent, très lent (trop lent) et même si on vit au rythme des saisons et des estives, on a l'impression de se relire, et on n'est plus surpris de trouver au détour d'une page le rebondissement (si j'ose dire) qui se préparait depuis longtemps. Ce n'est pas mal écrit, certes non, mais il manque souvent cette petite flamme qui donne plus de vie à une saga familiale, cette pointe d'héroïsme au coeur de la guerre qui grandirait un personnage, ou simplement une passion plus vive dans ces amours paysannes ou ancillaires.
En revanche «
L'Arbre d'or » qui commence en 1847 dans le milieu de la magnanerie (élevage des vers à soie) est à ce titre plus enlevé. Les rapports humains entre les paysans et les industriels sont plus marqués et l'interaction entre la production de la soie par les uns et son utilisation par les autres, complique encore l'apparent ordre social établi entre humbles et puissants.
Je ne me suis pas toujours ennuyé, mais j'ai souvent eu envie d'aller plus loin pour faire avancer le récit, qui manque par ailleurs de repères temporels car d'une estive à l'autre (toujours les mêmes) on ne sait plus toujours où l'on en est.
J'ai cependant passé de bons moments en compagnie d'Antoine et ses brebis, là-haut sur le causse, de ses enfants qui entre
l'appel des drailles et celui de l'école, avaient bien du mal à se décider, des femmes qui restées à la métairie s'occupaient des enfants et des bêtes, allaient donner un coup de main au château et assuraient la descendance de la famille… Je vous conseille ce livre (ou ces livres car il en contient trois) si vous aimez passer du temps auprès du feu dans un bon fauteuil et n'avez pas peur de “piquer du nez” à l'occasion.
Je profite de ces derniers mots pour remercier les Éditions Omnibus et Babelio avec l'opération Masse Critique de la rentrée qui m'ont fait découvrir la vie des causses cévenols et leurs habitants attachants.