Cet appel au réveil du corps, au sursaut de la conscience face au monde voué au «cosmocide» et à la révolte qui doit en résulter est d'une actualité toujours aussi brûlante.
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Toute mon écriture est une manière de dire cette chose. C’est dingue d’être amoureux de l’humanité mais je le suis et j’en suis fier. Fier, avec mes trois peurs. Elles s’imposent à moi comme à tous les humains : la peur de finir en tant qu’être, mais aussi en tant qu’espèce, peur de l’égarement et enfin peur de l’inutilité. Et puis, malgré tout, une certaine peur de la parole. Je dis bien peur de la parole et non honte. D’une manière ou d’une autre, il m’est possible de répondre à toutes les questions qu’on pourrait me poser sur mon verbe en une seule et unique phrase : je suis écrivain, que voulez-vous que j’y fasse, les choses viennent du ventre. Parce que le ventre demande un peu de place sur notre terre en question. Parce que les gens semblent ignorer que c’est de la viande que nous vient la vie…
Nous sommes tous des Hitler en puissance. Si sous prétexte d’informer les gens on doit continuer d’abattre plusieurs millions d’arbres par jour, alors le progrès ça sert à quoi ? Il faut des prophètes, notre temps en a besoin. Il faut des révoltés pour faire face à l’ensauvagement. Quand un mot pareil est prononcé, tout le monde se tourne vers l’Afrique ou l’Amérique latine. C’est possible. Mais qui invente cette sorte d’Afrique-là ? Je dirais mieux, qui a inventé cette Afrique-là ? Cette terre se déchire et se prend les boyaux… Il est regrettable de constater qu’on ne se rend pas compte que c’est en même temps les boyaux de toute l’humanité qui se déchirent…
Qui je suis, quand je suis né, comment et pourquoi ?… Je crois que là n’est pas l’essentiel. On le dira un jour. Ce qui peut compter pour l’instant, c’est en gros mon acte d’écrire. Mon métier d’être dingue sans déconner. J’ai l’impression que nous autres Noirs écrivons par étourderie, parce que notre civilisation, c’est la civilisation de la parole. Également parce que notre vision du monde, c’est d’abord et avant tout une parole. Bref, si l’on me demandait de définir mon écriture par rapport à l’écriture nègre, je dirais ceci : je voudrais qu’en lisant n’importe lequel de mes livres Senghor s’écrie : « Mais c’est cela la négritude, bon sang ! » Simplement parce qu’on ne peut pas arrêter d’être noir.
L’une des plus grandes richesses du sol, du sous-sol et du ciel français n’est pas l’or, le diamant ou le pétrole. Mais, à ma connaissance, la richesse particulièrement française, qui a fait gagner au monde quelques siècles sur la barbarie, cette richesse fondamentalement française, est, vous le savez comme moi, l’humanisme. À une époque où très peu d’esprits étaient assez ouverts pour penser que l’humanisme était l’avenir vital de l’espèce des hommes et des êtres, des hommes et des femmes de cette terre française que nous aimons tous et louons ont sorti de la grande mine de leur cœur et de leur esprit un trésor infini, trésor sans prix, qui a permis d’aboutir à la paix des cœurs et à une paix civile durable
L’art c’est le contraire de l’exercice de la polémique. C’est tout le contraire de l’exercice de la culture. J’appelle exercice de la culture la position qui consiste à placer son fauteuil dans le sens d’une culture à quatre pattes, savamment prétentieuse, et de s’asseoir, sans imagination, pour se mettre, passez-moi le mot, à péter la polémique. Sans être contre l’intelligence, j’avoue que je n’ai jamais compris l’intelligence des intellectuels. Mais peut-être devrais-je, pour être logique, commencer par le commencement.
Extrait de «Je, soussigné cardiaque», de Sony Labou Tansi (Congo)
Metteure en scène : Catherine Boskowitz. Lu par Marcel Mankita, Eddie Chignara, Mireille Roussel, François Raffenaud, Gustave Akakpo, Bertrand Amiel (artiste bruiteur).
Extrait issus des lectures RFI «Ça va, ça va, le Monde !», du 16 au 21 juillet, de 11h30 à 12h30, dans le jardin du gymnase du lycée Saint-Joseph à Avignon. Un cycle de lecture coordonné par Pascal Paradou, dirigé par Catherine Boskowitz, avec le soutien de la SACD.