Quand j’étais au lycée, j’ai "fait" du latin, beaucoup de latin: Cicéron, César, Tite-Live, Sénèque, etc. Leurs textes évoquent des sujets très sérieux: la politique, la guerre, l’Histoire, la philosophie… Ou alors j’ai étudié des longues poésies qui n’étaient pas de mon goût. Dans ces écrits, les hommes étaient des héros ou n’étaient rien. Nulle part on y parlait des individus tels qu’ils sont, et ça rendait la littérature latine assommante à mes yeux.
J’ai commencé à changer d’avis très récemment, en lisant l’étude de Jean-Luc Hennig consacrée au poète Martial. J’y ai découvert des textes incisifs, décrivant sans concession les mœurs et brocardant les individus, sans se préoccuper de la "chose publique". Sur cette lancée, j’ai emprunté et lu cette anthologie consacrée à l’amour chez les écrivains de la Rome antique.
Horace, Ovide, Catulle, Properce… sont autrement plus excitants que Suétone ou Tacite ! Beaucoup des textes rassemblés ici, traduits dans une langue accessible, sont remarquables et étonnamment modernes. Ils parlent franchement des sentiments amoureux et des relations sexuelles. Ils nous montrent l’attirance des Romains pour les femmes ou pour les garçons. Ils évoquent les cocus, la jouissance, la jalousie, le voyeurisme, les fiascos… Ils osent nommer sans détours les actes sexuels, parfois très crument. Et, d’une manière fréquente, ils savent utiliser de bien jolis mots pour parler d’amour et de sensualité. (Il est vrai que quelques textes fastidieux m’ont rappelé de pénibles souvenirs, notamment ceux qui sont rassemblés vers la fin de l’anthologie sous le titre "Contes et légendes").
Mais l’ensemble du recueil est une très heureuse surprise. Je sais bien qu’il s’agit d’un livre rare, qui intéresse un nombre infime de lecteurs. Je le recommande quand même vivement.
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(p. 90) Délicieuse nuit, où mes yeux vous ont vu vous aimer... J'étais là, j'ai pris part à vos larmes ! Jouissance de se rappeler une nuit si charmante ! Ah, qu'elle revienne, qu'elle me montre encore vos étreintes. Je veux te voir encore, Gallus, expirer de plaisir aux bras de ton amie. je veux t'entendre lui chuchoter sans fin des mots d'amour... (PROPERCE)
(p. 98) O joie d'une nuit lumineuse ! O cher petit lit heureux de nos plaisirs ! Que de douces paroles à la clarté des lampes. Dans la nuit, que d'amoureux combats ! Parfois elle me résistait, les seins nus. Elle me faisait parfois languir en gardant sa tunique. Lourds de sommeil, mes yeux s'étaient fermés. Elle les rouvrit en chuchotant "Paresseux, tu veux donc arrêter ?". Et nos cors enlacés ont su varier leurs étreintes (PROPERCE)
(p. 195) Bordel lubrique, et vous ses clients, qui logez tous à la même enseigne, (...) croyez-vous être les seuls à être bien membrés, à avoir le droit de foutre les filles, en traitant tous les autres de boucs ? Parce que vous êtes cent, deux cents peut-être, à rester assis là, à attendre comme des imbéciles votre tour, vous pensez que je n'oserai pas vous e... tous, un à un sur vos sièges ?... (CATULLE)
II faut vivre, Lesbie, et nous aimer toujours. Tous les propos jaloux sont propos de vieillards ! Moque-t-en, et dis-toi qu'ils arrivent bien tard !
Vois ces soleils mourant et renaissant toujours... Pour nous, nous aurons joui d'une lumière brève : Une nuit nous attend, un lourd sommeil sans rêve...
Donne ta lèvre alors, mille et mille et cent fois!
Je veux mille baisers; j'ai tant envie de toi!
Je veux mille baisers, et c'est insuffisant...
Baise-moi donc, Lesbie, à embrouiller les comptes,
Que l'envie à l'affût ne puisse méchamment
De ces flots de baisers débrouiller l'addition !
CATULLE, Poème V
«Celui que chanteront les Muses, celui-là vivra aussi longtemps que la terre portera des chênes et le ciel des étoiles, aussi longtemps que les fleuves charieront de l'eau.
Tibulle, Élégies