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Critique de MarianneL


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Dans le brouillard, comme un phare, à peine visible : le néon HORIZON bleu déglingué du hangar qui clignote devant moi."

Le décor est planté d'emblée, une station-service en banlieue parisienne, isolée dans les moutons de brume, dans la solitude d'une nuit qu'on dirait américaine. Sous le signe d'Amérique de Jean Baudrillard et de Wim Wenders.

Face à une société contemporaine hors-sol, le narrateur de Chroniques d'une station-service, pompiste nonchalant, offre une forme de résistance à l'hyperréalité. Volontairement immobile dans ce lieu dédié à la mobilité, individu complexe mais invisible pour la plupart des clients, il regarde des films d'auteurs ou bien Mad Max en boucle, joue aux dames et débusque la poésie du lieu, à contrecourant des clients qu'il regarde passer, à rebours de l'univers complètement pourri de marchandise obscène, de vanité technologique et d'indifférence dont il est le spectateur.

Situé dans les marges périurbaines, dans un lieu en déréliction emblématique de la fragilisation du monde et de l'appauvrissement de l'expérience, «coincé entre un périphérique, un hôtel CAMPANILE et un HLM promis à la démolition», voisin des zones blanches de Philippe Vasset, Chroniques d'une station-service est un récit mélancoliquement joyeux, paru en août 2019 aux éditions Verticales, composé de fragments numérotés et finement articulés qui parlent avec sel, humour et poésie de la consommation et du saccage du monde.

Le fragment 35 nous apprend que Beauvoire, le narrateur, a toujours aimé les notes de bas de page. Les marges peuvent devenir le centre du monde, le lieu des possibles où réhabiliter l'aventure et les fantasmes. le devenir incertain de la station-service et de son employé agit comme une porte ouverte sur le potentiel de fiction qui existe dans ce type de lieux, familiers à Éric Chauvier.

Maniant la poésie et l'ironie, Alexandre Labruffe tente d'épuiser ce lieu des marges en le plaçant au centre du monde ; contemplatif merveilleux, son pompiste déphasé rêve d'une mutation dans une station-service du Texas, sommet de la civilisation, et rapporte ce qui rythme ses journées – les discussions de comptoir des adolescentes, des cadres déprimants, les messages codés que s'échangent les clients, les apparitions attendues d'une divine cliente japonaise d'une beauté irréelle.

Sous l'égide de Roland Barthes, définissant l'utilisation du romanesque comme «un mode de notation, d'investissement, d'intérêt au réel quotidien, aux personnes, à tout ce qui se passe dans la vie», Alexandre Labruffe compose, avec les observations d'un pompiste qui, depuis sa capsule dans la station-service, semble être un alien en ce bas monde, un éloge savoureux, très cinématographique, de l'envers et de l'imagination.

Retrouvez cette note de lecture et beaucoup d'autres sur le blog de la librairie Charybde :
https://charybde2.wordpress.com/2020/04/13/note-de-lecture-chroniques-dune-station-service-alexandre-labruffe/
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