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EAN : 9782020326568
184 pages
Seuil (14/10/1998)
4/5   29 notes
Résumé :
L'histoire de l'errance de Yunus Emré, un derviche, dans l'Anatolie du XIIIe siècle, au temps des sultants seldjoukides et des invasions mongoles. Ce derviche est aussi un poète et troubadour de renom dont les poèmes sont aujourd'hui encore chantés dans toute la Turquie.
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Poétique, historique, philosophique, empreint de religiosité, ce roman de Jacques Lacarrière nous invite au voyage intérieur. Nous emboitons le pas de Yunus Emré, dans la poussière des déserts d'Anatolie. Yunus voyage de tekké en tekké. Il rencontre les grands sages, s'initie à la danse des derviches tourneurs. Il se dénude peu à peu de ses illusions, des croyances inutiles. Ainsi de cette volonté qu'ont les hommes de nommer Dieu. «  En fait, le seul nom que Yunus aimerait lui donner serait celui de Ménestrel de l'Immense. Un Dieu poète et musicien. » Il rencontre le fameux Haci Bektas, sage parmi les sages, ami de la tolérance dans ce monde qui vit passer le terrible Gengis Khan et sa descendance non moins cruelle. de retour dans son tekké, il a acquis le pouvoir de comprendre les prodiges : chant divin des oiseaux, du vent dans les roseaux qui se prosternent sur le passage des errants. Il sait l'osmose universelle d'un Dieu Nature où l'homme doit trouver sa place. Un roman historique qui devient conte merveilleux sur la sagesse soufie.
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Voir le visage des femmes baigné de larmes...

Depuis Gengis Khan, le coeur de l'homme n'a pas changé, sa soif de massacre et de sang non plus. Seules la tactique et les armes diffèrent. Dans son admirable livre La poussière du monde, Jacques Lacarrière nous raconte l'histoire du derviche et poète turc soufi Yunus Emré, homme de foi qui, dans sa quête spirituelle et son aventure humaine, parcourait les steppes d'Anatolie de monastères en caravansérails à l'époque (XIIIe siècle) où les terribles hordes du Grand Khan massacraient sans vergogne les peuples qu'elles asservissaient, coupant des têtes à tour de bras. Comme l'auteur de L'été grec nous le rappelle grâce à un témoignage de Gengis Khan “saisi à la source des lèvres et du coeur”, le véritable but des conquérants, leur seul appétit n'est au fond que de “voir le visage des femmes baigné de larmes”. de nos jours, les semeurs de discorde et de terreur n'ont pas d'autre visée. Ils tuent et sèment la mort pour leur seul bon plaisir. Nul Dieu dans cette affaire, nulle religion. « Viva la muerte ! » comme le hurlaient déjà en leur temps les membres de la Phalange espagnole. « Vive la mort ! » : c'est bien le seul cri de ralliement de ceux qui aiment faire couler le sang, hier comme aujourd'hui.

« [...] Gengis Khan savait pourquoi il entreprenait ces folles équipées qui lui valurent de constituer de son vivant, lui, le nomade, fils de nomade, le plus grand empire existant, non pour la seule gloire, les butins, les pillages et tout l'or du monde mais pour une raison plus profonde, qu'aucun conquérant avant lui ni même après lui n'osa jamais avouer, une raison inavouable en effet, révélée par un dialogue qu'il eut un jour avec Bo'ortchu, le plus vieux compagnon de son enfance nomade, à qui il avait demandé : “Quel est à ton avis le plus grand plaisir que puisse éprouver un homme ?” À quoi Bo'ortchu répondit : “C'est d'aller à la chasse un jour de printemps, monté sur un beau cheval, tenant au poing un épervier et un faucon et de les voir s'abattre sur la proie. - Non, dit Gengis Khan, pour moi la plus grande jouissance, c'est de vaincre ses ennemis, de les chasser devant soi, de leur ravir ce qu'ils possèdent, de voir les femmes qui leur sont chères le visage baigné de larmes, de monter leurs chevaux, de presser dans ses bras leurs filles et leurs épouses.” Voir le visage des femmes baigné de larmes ! Voici enfin l'aveu d'un conquérant, saisi à la source des lèvres et du coeur, un aveu dont aucun historien, spécialiste ou savant ne tiendra jamais compte car il est si étranger à tout ce qu'on pense être la cause des batailles et les buts des conquérants qu'il paraît incongru et même tout à fait incroyable. » (p. 68)

Aux pages 72 et 73 du même ouvrage, un merveilleux poème de Yunus Emré, traduit par Guzine Dino. La poésie, source de création originelle, est peut-être la seule arme spirituelle à opposer à tous les semeurs de mort.

« Nous avons plongé dans l'Essence
et fait le tour du corps humain
Trouvé le cours de l'univers
tout entier dans le corps humain

Et tous ces cieux qui tourbillonnent
et tous ces lieux sous cette terre
Les soixante-dix mille voiles
dans le corps humain découverts

Les sept ciels, les monts et les mers
et les sept niveaux telluriques
L'envol ou la chute aux enfers
tout cela dans le corps humain

Et la nuit ainsi que le jour
et les sept étoiles du ciel
Les tables de l'initiation
sont aussi dans le corps humain

Et le Sinaï de Moïse
et la pierre et la Kaaba
L'Archange sonnant la trompette
sont aussi dans le corps humain

Ce que dit Yunus est exact
et confirmés furent ses dires
Là où va ton désir est Dieu :
tout entier dans le corps humain. »

Et cet autre passage merveilleux à la page 79 et 80 :

« Sablier liquide, clepsydres des pensées et des prières, l'eau du bassin qu'Haci Bektas avait fait creuser à proximité du mûrier s'écoulait comme une source discrète récitant le bréviaire des heures. À l'ombre de cet arbre, Yunus aime écouter ces bruits qui sans cesse recommencent et sans cesse se renouvellent selon une progression savante : écoulement, ruissellement, roucoulement. Il éprouve le sentiment d'être en un lieu paradisiaque mais qui serait ici l'oeuvre de l'homme. Et il pense aussitôt, avec appréhension, que le sens et l'essence du paradis ne consistent pas à y demeurer ni à s'y endormir en une trompeuse félicité mais à savoir le quitter avant qu'on vous en chasse ! Ne pas recommencer la Chute, en quelque sorte ! Car le vrai paradis n'est ni derrière nous (comme voudraient nous le faire croire les traditions ésotériques et la plupart des religions) ni devant nous (comme voudraient aussi nous le faire croire les utopies de tous les siècles, marxistes ou non). le paradis est en nous seuls et à l'inverse de l'autre, celui de tous les catéchismes, il s'agit justement non d'en sortir mais d'y entrer. L'enfer aussi est en nous-mêmes. de toute évidence, le Grand Horticulteur a mêlé en nos coeurs, quand il conçut ses fleurs édéniques, la rose et l'aconit, le jasmin et la belladone. »

© Thibault Marconnet
le 14 novembre 2015
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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Ce petit livre est un trésor que j'aime conseiller. Tel un conte, son style éminemment poétique est empreint de sagesse ancestrale qui alimente des réflexions bien actuelles.
Pour moi, qui suis dérangée par la poussière, Jacques Lacarrière en parle avec sagesse. Au cours de ce récit, il nous emmène dans les steppes poussiéreuses d'Anatolie, au temps des sultans Seldjoukides repoussant les Mongols de Gengis Khan.
Depuis des années, Yunus Emré balaie sans cesse la cour du couvent, en priant et en méditant. Ce derviche, poète, troubadour vit dans le tekké de Konya, une des villes les plus saintes qui a échappé à la destruction des envahisseurs. Il part ensuite de caravansérails, en jardins et en mosquées, sa méditation s'élargit sur les routes, il apprend à se défaire des illusions pour trouver la vérité. Et le vent qui transporte la poussière du monde, disperse ses chants pour les amener aux oreilles de ceux qui savent écouter la rumeur de la terre.
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Samarkande, Boukhara, Ispahan, Bagdad... Des villes qui autrefois faisaient rêver, avant que le commerce des armes et de la drogue n'en fassent ce que l'on connaît actuellement. Jacques Lacarrière nous les fait revivre, aux temps lointains de l'empire mongol, à travers le destin du jeune berger Yunus Emré, qui va devenir un disciple du célèbre soufi Haci Bektas et répandra la sagesse autour de lui. Dans une langue imagée, à la frontière du conte et de ses licences poétiques, le récit nous transporte au coeur du soufisme, cette religion, si particulière au sein de l'Islam, qui accorde à la femme une place égale à celle de l'homme. Un voyage initiatique, un dépaysement total, laissez-vous bercer par le rythme lancinant des incantations coraniques, et oubliez vos soucis l'instant de la lecture. Magique !
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Cette poussière du monde m'a réellement emballé. On suit dans ce roman un derviche tourneur épris de méditation et dont la vie se déroule dans un monde à la frontière duquel la poussière se soulève. Cette poussière c'est celle du pas des chevaux des mongoles qui déferlent sur le monde en emportant tout sur leur passage. C'est l'histoire de sages contemplatifs confrontés à la menace d'un monde violent.
C'est surtout un très beau roman pétri de culture et ciselé de poésie.
C'est un grand roman.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
On y croisait des campements de nomades, on y trouvait des chemins nettement tracés et même, à mi-distance, un « han », un « karwan säraj », un caravansérail. Un mot que j'ai aimé d'emblée quand je le découvris, adolescent, dans un roman de Jules Verne car il était fait de deux termes magiques, résumant à eux seuls l'image que j'avais de l'Orient : sérail et caravane. Le premier surtout m'attirait car le second évoquait un univers masculin, un monde de chameliers, de cavaliers enturbannés, de propos d'hommes le soir autour du feu. Sérail, lui, évoquait au contraire le monde clos des femmes dans les grands palais des sultans, l'alcôve discrète des odalisques, des concubines, un monde entièrement féminin où, en place de braiments d'ânes ou de blatèrements de chameaux, on surprenait les accords nonchalants d'un luth, le battement feutré des tambours rythmant la danse d'une esclave, mille rires, chuchotements, soupirs et autres cris plus intimes encore !
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Seuls les derniers, c'est-à-dire les Amants, ayant franchi les quatre stades de leur avancement et les quarante degrés de leur initiation (chaque stade ayant dix degrés) pouvaient se prévaloir d'avoir congédié en eux toute traces d'égoïsme, de possession, d'orgueil, d'enfermement dans les fausses certitudes du coeur et de l'esprit, et surtout de tout sentiment d'appartenance à une confrérie. Ils devenaient alors véritablement les Amants et ils pouvaient alors rencontrer Dieu par la seule maîtrise d'eux-mêmes puisque Dieu, pour Haci Bektas, ne réside nulle part ailleurs qu'en nous-même. Voilà pourquoi, parti de l'homme, le chemin d'affranchissement, d'épanouissement revient à l'homme.
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Quand il contemple ainsi le ciel, des poèmes, des chansons viennent parfois aux lèvres de Yunus. Parfois aussi, quand il balaie et s'interrompt soudain devant un souffle ou un phénomène imprévu. Ces chansons, ces poèmes, il est le seul à les connaître. Nul, au tekké, n'est au courant de ces compositions. D'ailleurs, nul ne les entend. Yunus les murmure, les fredonne à voix basse, pour lui-même et pour ceux qui l'entourent : les chiens, le vent et le mûrier. Le vent qui les reçoit et les emporte au loin. Vers qui ?
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Pour Mawlânâ, le atomes ne tournent pas autour du soleil par gravité pure mais par amour parce qu'ils subissent l'attraction de l'astre dont ils reçoivent la lumière. Si l'on songe qu'une simple et minuscule particule - de celles qu'on dit précisément élémentaires - peut, dans une chambre à bulles, laisser sa trace fugitive, ces boucles, ces spirales lumineuses qui sont les galaxies et les éclairs de l'infime, quelle trace peut laisser en l'homme cette dans des atomes dont il est constitué, cette ronde et cette rotation des feux célestes qui, pour Mawlânâ et ses disciples, sont d'abord danse, chant, musique, rituel et procession célébrant l'énergie manifeste de l'Ami et de l'univers ?
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Ainsi, il lui avait fallu venir jusqu'ici, en ce lieu de la steppe où jamais jusqu'alors il ne s'était aventuré, pour comprendre la portée et le sens de ses propres chants. Venir jusqu'à cette tente, ancrée entre rêve et réel, jusqu'à cette aube où ses mots l'avaient rattrapé, où découvrant le pouvoir insoupçonné de ses images, il était arrivé à la rencontre de lui-même. Ici, donc, s'achevait son errance et ici prenait corps le seuil de sa seconde vie.
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Vidéo de Jacques Lacarrière
Bruno Doucey lit un extrait du recueil "grécité", de Yannis Ritsos, reproduit dans notre livre spécial dix ans "Un bateau nommé poésie". Nous avons publié "grécité" en 2014, en bilingue grec/français, dans la traduction de Jacques Lacarrière.
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