Jacques Lacarrière racontait dans ce livre le récit de son expérience de marcheur, en France: en 1971, il avait parcouru, seul et à pied, la distance séparant le Bas-Rhin du Roussillon, en utilisant le plus possible les chemins étroits, et en négligeant tout espace goudronné.
Ce récit a des intérêts multiples. Tout d'abord, il est "objectif": contrairement à un usage trop répandu dans ce type d'exercice, il n'embellit pas le constat de l'auteur. Oui, on rencontre sur nos chemins et dans nos villages de gens sympathiques, généreux, ouverts, mais aussi des froussards, des mesquins, des goujats. Oui, nos paysages sont parfois d'une beauté stupéfiante, mais la main de l'homme peut les détruire, avec, par exemple, ces pylônes pour les lignes de haute tension, ces hangars recouverts de tôle ondulée….
Autre intérêt: notre homme est un écrivain. Certaines descriptions sont d'une finesse extrême, et plusieurs passages revêtent un fil poétique très agréable. Enfin, on apprend beaucoup de choses: vocabulaire rural oublié, moeurs animalières, caractéristique merveilleuse d'une fleur…..
Et nous lisons ce livre presque 50 ans plus tard: comparer la France d'alors à celle d'aujourd'hui présente évidemment un grand intérêt, même si le constat de beaucoup d'évolutions est cruel.
Il y a eu, depuis, beaucoup d'autres marcheurs qui ont également traversé la France à leur façon, et ont relaté leur expérience dans des livres. Récemment, Axel Khan et Sylvain Tesson par exemple. Par rapport à ceux-ci, J.Lacarrière est une sorte de précurseur. Pour ce qui est de la façon d'écrire, c'est presque aussi un maître.
Retouver et arpenter des chemins connus; accompagner le marcheur en dégustant la littérature de l'écrivain; se perdre de nuit sur un sentier escarpé au risque de se rompre le cou, vivre les aventures qui émaillent parfois l'accueil paysan; redouter la mâchoire du chien qui ne reconnaît plus l'homme sous le chemineau, mais seulement perché sur ses deux roues ou au volant de sa 4L; savourer le temps retrouvé mesuré par le pas du marcheur.
Je l'ai lu au moins 7 fois, à tel point que le livre se délite... Je ne peux me résoudre à l'échanger avec la nouvelle édition. Voilà ce que doit être un voyage, non seulement un déplacement physique,mais aussi une étude linguistique, historique, ethnographique des terroirs tout en mêlant une grande humanité, dans la rencontre avec les autres...
Stendhal a écrit "La Chartreuse de ..." ?