Commande Librairie Chantelivre fin février 2023
Après la découverte enthousiaste de cette auteure canadienne, avec son dernier texte"
Les Manquants", j'étais curieuse de ses autres écrits, dont celui-ci qui interrogeait son histoire personnelle et son besoin viscéral de l' Écriture. ...
"ÉTRANGE (TÉ)S
Je n'ai jamais compris cette expression de " chez soi".Je n'ai aucune idée de ce que cela veut dire et c'est sans doute pour cette raison que j'ai pu immigrer sans difficulté ( du moins culturellement) en France : je n'avais rien à regretter, je ne suis pas nostalgique. Néanmoins, la question de l'étranger et de l'exil me rattrape sans cesse et plus spécifiquement parce que ce pays que j'ai quitté il y a dix-sept ans, le Canada, reviens quand j'écris, non pas pour chanter ses sapins mais pour questionner ce que j'ai eu à fuir si fort.Cette absence de socle initial, de terre à partir de laquelle j'aurais pu prendre ancrage, explique en partie ma personnalité rougissante. En France, je suis étrangère ; mais je suis étrangère où que j'aille et je n'ai trouvé, hélas, aucun lieu ni même aucun être auprès desquels je puisse entrevoir une forme de repos."
Cette autobiographie, ce récit intime nous relate le parcours personnel d'une jeune femme canadienne, émigrant à Paris, Capitale de tous les espoirs !
Marie-Ève Lacasse remonte ses souvenirs d'enfance, une histoire familiale toxique, entre un père trop absent, une mère dépressive, fort peu aimante...tout cela dans une société canadienne très formatée et puritaine....
La jeune fille, dès l'enfance, se trouve différente et décalée avec les autres petites filles...Elle ne parvient pas à trouver sa place...Elle décide donc de tout quitter: famille et pays...pour rejoindre la France et Paris, qu'elle imagine idylliquement comme la solution et
Le Havre idéal de sa nouvelle vie !
D'abondants sujets sont abordés : les histoires complexes de secrets, de non-dits familiaux, la sexualité, la maternité, les genres, une société trop lisse, trop formatée qui " compresse" les individus, l'homosexualité, le mal de vivre, le sentiment de ne jamais pouvoir s'adapter, d'être toujours " à côté "...à part, ÉTRANGER toujours....
Cheminement douloureux qui m' a surtout retenue par toute la part de questionnements et d'observations de l'auteure sur cet espace unique de liberté et de pause que représente pour elle L'ÉCRITURE...Espace vital pour " poser des valises", ses douleurs, ses névroses...Lieu de Liberté, de thérapie, de création, de lien avec les autres.
Écrire pour se construire et reconstruire ce qui a été abîmé, détruit par les violences, les conditionnements familiaux, sociaux, professionnels...etc.
Un territoire où le sentiment d'Étrangeté devient vivable, et pourquoi pas ,une qualité précieuse pour Écrire et créer enfin un espace intime de réconciliation avec soi et les Autres !
De très beaux passages sur la littérature, ses auteurs préférés, le choix et l'apprentissage d'une nouvelle terre d'adoption ainsi que d'une nouvelle langue à apprivoiser...les difficultés à assumer et à dépasser !
"J'aime Conrad pour ses romans, mais aussi parce qu'il est un écrivain polonais émigré en Angleterre.Pour vivre en écrivain, il doit se transformer. C'est-à-dire qu'il doit s'arracher à son pays qui n'en est pas encore un et choisir une autre langue que sa langue maternelle pour écrire. Quand je lis ses histoires de vieux marins, j'entre avec lui dans la mer de l'inconnu: celle du langage. "