AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782374911120
176 pages
Quidam (05/09/2019)
3.73/5   15 notes
Résumé :
Ex-tireur d'élite qui a renoncé à tuer, Joan n’a plus pour compagnons qu’un chat, un libraire et un vagabond et fait l’apprentissage du métier de jeune père veuf auprès de Laoline, sa toute petite fille. Désormais gardien des Lacs d’Aurinvia, un espace protégé et mystérieux, il apprend à être en symbiose avec une biosphère de plus en plus menacée. Une série d’événements le conduisent à entamer clandestinement un combat inédit où la Nature mène la danse.

>Voir plus
Que lire après Le temps est à l'orageVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
3,73

sur 15 notes
5
2 avis
4
6 avis
3
1 avis
2
0 avis
1
0 avis
Je ne m'attendais à rien de particulier, j'avoue que je n'avais jamais croisé le nom de Jérôme Lafargue pourtant déjà auteur de quatre romans. Je suis donc entrée dans cette lecture l'esprit totalement vierge, mais l'oeil amadoué par cette belle photo de couverture et ses promesses de nature et de grands paysages. "Mon chat est immortel", l'incipit donne le ton. Il n'y a plus qu'à s'installer confortablement et à se laisser couler dans l'histoire que déroule l'auteur à la manière des troubadours d'antan. Une histoire d'hommes, de nature, de gardiens. de forces qui nous dépassent.

Plonger dans le temps est à l'orage c'est s'abandonner à croire. Aux signes, au fait que l'homme n'est qu'une créature parmi d'autres sur terre et pas forcément la plus forte. C'est l'apprentissage de toute une vie que nous raconte Joan Hossepount, l'actuel gardien des Lacs d'Aurinvia, un espace naturel protégé au coeur de la forêt des Landes, près de l'océan. Il y a trente ans, le jeune homme s'est installé dans la maison de son grand-père, après quelques épisodes dramatiques : la mort de son meilleur ami alors qu'ils étaient tous les deux engagés sur les terrains de guerre en tant que militaires, le décès de sa jeune épouse alors que leur fille Laoline avait à peine un an. En lisant les carnets de Guilhem, son aïeul, retrouvés dans la maison, Joan comprend qu'il n'est peut-être pas là par hasard et que sa mission dépasse largement le cadre de son contrat de travail. Pour satisfaire son véritable employeur, il va devoir apprendre à en décoder les signes...

Plonger dans le temps est à l'orage c'est s'abandonner au plaisir des sens. Celui qui donne l'impression d'appartenir à un tout, de faire corps avec les éléments. Celui qui invite à étreindre un hêtre pourpre et à sentir sa force traverser son corps. A contempler l'orage, sa violence comme une danse, ses éclairs comme des mots. A écouter les histoires se transmettre en chansons au son des instruments façonnés avec amour et respect. C'est respirer l'odeur de la terre fraîchement retournée et se jurer de la préserver, envers et contre tout.

Plonger dans le temps est à l'orage c'est faire face aux questions qui nous hantent, sentir la violence du monde et se voir offrir une parenthèse merveilleuse, comme une invitation à regarder et à réfléchir.

J'ai adoré la balade. Je me suis complètement laissé happer par la force du conteur habile à créer un univers presque intemporel et pourtant si habité. Expérience assez inédite. Captivante. Joie de découvrir qu'il y aura une suite et que l'histoire de Joan ne fait que commencer. Hâte.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
Commenter  J’apprécie          180
« Le temps est à l'orage » est un roman qui se ressent plus qu'il ne se comprend.
Entre forêt et océan, dans une atmosphère très particulière, Jérôme Lafargue emporte le lecteur en territoire inconnu, vers une expérience littéraire inédite puisque ce livre n'est pas réductible à un genre particulier. Roman noir? fable écologique? Nature writing? Sans doute un peu des trois.

Joan Hossepount, ancien tireur d'élite, travaille à l'entretien des lacs d'Aurinvia. Un site géologique d'exception que l'on imagine situé quelque part vers les Landes ou la Gironde. Il mène une vie plutôt retirée avec un chat pour compagnon et un libraire pour ami. Occasionnellement il chante dans un bar de la ville. Un original en quelques sorte. Certains villageois le croient même capable de parler avec les morts... Ce qu'ils ne savent pas c'est que comme son aïeul avant lui, il a été choisi par la nature pour la venger des hommes.

C'est un texte déroutant, à la lisière du fantastique, entretenant la confusion entre réel et imaginaire, dans un esprit qui m'a parfois donné à penser au chamanisme des indiens d'Amérique.
L'écriture est précise, raffinée, délicate et cette histoire de justicier écologiste, humaniste, s'immisce en vous avec la force des éléments.

Une lecture en dehors des sentiers battus, particulièrement vivifiante comme les embruns de l'Atlantique ou l'odeur des pins.
Lien : https://www.instagram.com/p/..
Commenter  J’apprécie          130
C'est vrai que le temps est l'orage pour Joan Hossepount, son passé douloureux, ses parents et sa soeur morts dans un accident de voiture, sa femme même verdict après son accouchement de Laoline, leur fille commune. Joan s'était engagé au Tchad malgré son éducation plutôt libertaire, pour faire régner l'ordre en tant que tireur d'élite. Mauvais souvenir, son meilleur ami WIll étant resté sur le carreau. « L'Afrique constitue alors le terrain de jeu de l'armée française, où le bataillon d'un régiment peut se retrouver comme force d'appui d'un gouvernement contre les rebelles, quant à eux soutenus par un autre régiment. Au Tchad en particulier. Là où le nôtre se rend régulièrement pour des périodes de plusieurs mois ». Retour dans les Landes, les lacs d'Aurinvia. Il en est le gardien. Il est très proche de la nature, il la ressent peut-être comme sa nouvelle famille étant donné que la vraie est dynamitée. Mais petit retour en arrière si vous le voulez bien.

Joan a eu un ancêtre Guilhem, né à la fin du XVIIIe siècle. Il va retrouver ses mémoires écrits, et va comme se fondre en lui, trouvant troublantes toutes ses similitudes de parcours. Guilhem a souffert, n'était pas au Tchad mais à Austerlitz en 1805, puis impliqué dans une guerre en Espagne quelques années plus tard. Désabusé, se coupant du monde, il fréquentera les luthiers et sera amoureux de la musique, fabriquant un instrument fort étrange : l'épinette.

Joan pense-t-il à une hérédité maudite ? Croit-il que désormais, quoi qu'il entreprenne, il finira dans le mur ? Ou ses proches ? Il n'a plus confiance en l'être humain, il ne lui accorde plus de place dans son coeur. Laoline c'est différent, c'est sa descendance, comme il est celle de Guilhem. Puisqu'il faut s'isoler de l'humain, Joan va jeter son dévolu sur la nature, la protéger malgré elle, coûte que coûte, traquer les assassins de la Terre, ceux qui pulvérisent les écureuils, les petites bêtes ou les arbres, ceux qui font souffrir les animaux, les végétaux, dégueulassent les rivières, les ruisseaux.

C'est sur ce thème que les pages du livre sont les plus fortes, rappelant des auteurs de l'autre côte de l'Atlantique, ceux qui manient le « Nature writing » à la perfection, les écologistes de la plume, les poètes des grands espaces. « Versant nord, la montagne ne venait pas mourir avec langueur au contact des vagues, épuisant ses contreforts au gré d'une douve déclivité. Non, elle s'arrêtait brusquement, puis semblait prolongée par une falaise en contrebas, accrochée comme à la va-vite par des saillies rocheuses et malcommodes qui partaient en à-pic sans coup férir ».

Hymne à l'amour de la nature et contre son saccage par l'humain, c'est aussi celui du désenchantement et de la tendresse, notamment par l'adoption de Petit Chat, ce chaton espiègle qui va mettre Joan sur une piste inespérée. Car Joan se voit définitivement dans l'impasse quand tout bascule pourtant : deux hommes sans scrupules (l'un d'eux au moins est proche des milieux d'extrême droite) ont en projet la construction d'un immense complexe immobilier tout près d'Auvinvia, avec pots-de-vin et tout le toutim. C'en est trop pour Joan qui décide de partir à l'assaut…

On voyage beaucoup dans ce court roman, géographiquement mais aussi dans le temps. Les thèmes : l'hérédité, la guigne, l'amour, l'affection, le militantisme écologiste radical, la nature et l'environnement. Certaines pages sont empreintes de poésie verte et ensoleillée, d'autres bien plus critiques dès qu'il est question de l'être humain. C'est Quidam qui vient de le sortir. Jérôme LAFRAGUE est déjà l'auteur de plusieurs romans, certains primés, ce n'est donc pas un perdreau de l'année qui débarque en cette rentrée littéraire 2019.

https://deslivresrances.blogspot.fr

Lien : https://deslivresrances.blog..
Commenter  J’apprécie          40
Joan Hossepont raconte son adolescence, la mort de ses parents, son passage à l'armée, la mort de son meilleur ami, sa compagne, sa fille, la mort de sa compagne, son grand-père, la mort de son grand-père. Beaucoup de morts, une ambiance un peu sombre, et pourtant pas macabre, qui installe comme une ambiance d'automne, en pleine nature, avec le bruissement des arbres, la colère du vent, l'étrangeté des animaux. Humains versus nature. Vie versus mort. Guerre, capitalisation, destruction de la biosphère... Joan Hossepont, comme son ancêtre avant lui, a été choisi, élu par la nature (mais qu'est-ce que la nature ?) pour la venger, pour faire régner un ordre, chaotique et sans concession.

Bien que ça pourrait en avoir l'air, il ne s'agit pas d'un roman qui fait l'éloge de la beauté de la nature, on n'est pas non plus dans Walden, et s'il est question d'occulte, d'une sorte de magie, il n'en reste que le côté mystérieux et ténébreux, sans entrer plus en avant. Pas de chichis, brut de décoffrage, on est en plein dans le terroir, et si l'on nage un peu en eaux troubles, les pieds sont bien ancrés au sol, enracinés. On ne respire pas le bien-être insufflé par le bourgeonnement du monde végétal, on se noie dans un sol où reposent mille cadavres, on se fige dans l'écorce d'un arbre, on raconte les montagnes disparues. On suit les chats sur le chemin.

Un personnage qui s'offre entier, avec ses doutes, ses peurs, sa dépression, son "intranquillité", son envie de sauver, préserver, renverser tous les obstacles, ses tâtonnements, son aura mystique qui lui donne l'air d'être un arbre sur pattes, son asociabilité, sa soif de comprendre. Une "nature" qui s'offre crue, nue, forte, hallucinante, tout en contrastes, une entité indomptable, indéchiffrable tout à fait, une nature ici qui est à la fois séparée et fusionnée avec l'humain. Personnage et décor qui semblent ne faire qu'un, comme s'il était une sorte de Gardien intemporel venu s'incarner uniquement pour servir son environnement. Une aura prenante, forte, entêtante, qui tient en respect. Un livre qui ne se laisse pas totalement dompter si facilement, qui demande corps et âme, qui appelle à retourner plus proche de la Terre et la défendre, à un moment où. Il y en a tant besoin. Soulevez-vous, révoltez-vous, agissez, comprenez, faites partie de. Rappelez-vous du langage qui vient des tripes. (Et, bonus : un bon poing dans la gueule de sympathisants du FN) Merci aux éditions Quidam, c'était le livre parfait pour transitionner de saison chaude en saison froide.
Lien : https://lecombatoculaire.blo..
Commenter  J’apprécie          70
"Le temps est à l'orage", Jérôme Lafargue, 2019, Quidam éditeur

Ce mois-ci #varionsleseditions met à l'honneur Quidam éditeur.

Joan, gardien officieux et officiel de la Nature sur le site d'Aurinvia, revient sur son parcours de protecteur de ce coin vierge des Landes, avec ses lacs, sa trouée vers l'océan, sa beauté brute.

Tout a commencé trente ans plus tôt, quand la forêt se sentant menacée par l'activité humaine, le désigne lui, ancien tireur d'élite de l'armée française mais profondément respectueux de son environnement, comme les bras défenseurs et vengeurs d'une Nature qui n'entend pas se laisser faire.
Il entre en symbiose avec elle, guidé par un étrange chat, peut-être intermédiaire de la communication entre l'homme et la forêt.
Un chat "immortel… fidèle associé… depuis trente ans".
Il n'est pas le premier homme à avoir dû endosser ce rôle: il détient les preuves écrites d'au moins un autre d'entre eux, cent ans plus tôt.

Cet ancien justicier au Tchad, en devenant justicier écologique, devra faire preuve, à contrecoeur, d'une extrême violence pour contrer la cupidité humaine.

Un conte écologique plaisant, où se mêlent harmonieusement fantastique et policier, ce roman m'a été conseillé par ma libraire. J'ai un peu hésité, suite à ma déception avec Éden de Monica Sabolo, dans lequel le thème de la forêt personnifiée est aussi présent.
C'était finalement un choix bien plus intéressant, portée par une plume riche mais naturelle.
Comme quoi, ce ne sont pas ceux dont on parle le plus qui méritent le plus d'être lus…
Lien : https://carpentersracontent...
Commenter  J’apprécie          60


critiques presse (1)
Actualitte
10 septembre 2019
J'en suis sorti déçu et dérouté. Avec le sentiment amer de découvrir une imagination tarie et une ambiance perdue dans une pâle copie de ce qui m'avait fait adorer ma précédente lecture de cet auteur.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (103) Voir plus Ajouter une citation
Peu dans la salle en comprennent encore tout le sens, mais on capte à la volée des mots, des expressions. Et je m’arrange pour que le message principal soit bien compris de tous.
C’est la langue des bandits, des réprouvés, mâtinée d’ajouts inventés dans les rues et les quartiers pauvres au gré des années. Une langue où frayent le latin, le patois, l’ancien français, des locutions étrangères.
Je chante des histoires anciennes de luttes, de combats à mort, de fuites et d’emprisonnements, je fredonne des odes à l’océan, la montagne et la forêt, hymnes de bienveillance à destination de leurs occupants énigmatiques, j’entonne surtout des mélopées dont les héros malheureux sont les laissés-pour-compte, les malchanceux du monde de maintenant. Des chansons qui sonnent comme des rapports circonstanciés, des mises en cause, visant malfaisants et tourmenteurs d’où qu’ils viennent : de la banque, de l’usine, des forces de l’ordre, de l’administration, de la rue elle-même.
Aucune discrimination. Les profiteurs et les arrangeurs à la petite semaine, qu’ils soient riches ou pauvres, dominants ou dominés, je les abhorre.
Je ne livre rien en pâture. Je me borne à dire pour protéger les désarmés. Ce que je glane ou ce que l’on me rapporte, je le vérifie. Je ne crache pas à l’aveugle, je raconte ce qui est.
Ma parole n’a toutefois que peu de poids. Elle n’est qu’un gentil défouloir qui satisfait tout le monde.
À peu près.
Bien que je sois craint, certains ont pu s’offusquer de ma hardiesse et voulu en découdre. Mon corps en porte les stigmates.
Cette zébrure sur le mollet droit ? Un coup de couteau. Ce coude qui regimbe l’hiver ? Le souvenir d’une mauvaise chute lors d’une poursuite.
Le concert terminé, les applaudissements et les sifflets de joie emplissent la salle de longues minutes. Je me lève, étire ma longue carcasse et repousse les cheveux qui tombent sur mon front. J’ai un sourire lointain, me demande pourquoi je viens encore, pourquoi je m’acharne à composer des mélodies qui ne seront écoutées qu’ici, pourquoi je me bats au milieu de cette guerre sans fin qui oppose merveilles et terreurs.
Puis je me souviens pourquoi je le fais.
Je n’ignore pas que je suis devenu un objet de folklore, que l’on me recherche surtout pour mes dons supposés et mes qualités d’écoute.
Personne en réalité ne connaît ma véritable fonction.
L’image que les gens ont de moi est déjà baroque, inutile de les affoler davantage.
Commenter  J’apprécie          10
Certaines familles s'évertuent à fouiller le passé pour se trouver un ancrage. Elles reconstituent bon an mal an ce qui a été effacé faute de transmission. Moi, Joan, dernier des Hossepount, je sais que je n'aurai pas à produire un tel effort. La mémoire qui a survécu suffit à faire de moi ce que je suis en cette matinée d'octobre, toute de rosée et de promesse d'ensoleillement : un homme jeune, fragile encore, mais sûr de sa décision, fort du soutien de l'histoire et de la singularité en ces lieux dont il est l'un des défenseurs. Je ne tremble pas, ne me sens plus écrasé par le poids d'une responsabilité dont les contours s'affinent. Le monde n'est ni simple ni complexe, il n'est que ce que l'on décide d'y projeter soi-même.
Commenter  J’apprécie          30
Les temps étaient rudes, les bagarres nombreuses, certaines au cutter. Manifestations de virilité, exacerbation d’inégalités sociales, bêtise, racisme. À l’approche de la terminale, les choses se tassaient, il y avait un avenir à préparer. Mais les différences ne s’oubliaient pas pour autant. Will avec sa peau noire. Moi, blanc mais pas tout à fait, issu d’une famille étrange, aux origines indistinctes mais libres. C’est au cours de l’été 1985, au mois d’août, que je rencontrai Anna. La période recommandait la prudence en raison de la propagation et des ravages du sida, mais il ne nous vint jamais à l’idée de prendre des précautions. Non parce que nous étions des écervelés d’à peine seize ans. Nous savions juste que notre histoire était au-delà de tout. Sans le savoir, nous étions déjà prisonniers d’une phase transitoire où notre insouciance était plongée par à-coups dans un bain d’acide par des petites mains invisibles, mais terriblement efficaces. En mars 1986, la voiture de mes parents fut coupée en deux par un camion dont le chauffeur s’était endormi. Le bastringue de trente-huit tonnes traversa la bande de terre faisant office de séparation de la quatre-voies. Personne n’en réchappa. Ni le routier, ni mes parents, ni ma petite sœur de dix ans. Le fautif étant lui-même mort, je n’avais personne à qui m’en prendre. L’enquête ne permit pas de conclure à la responsabilité de son patron, qui lui aurait imposé une cadence insoutenable. Il était son propre patron. Ce qui disparaissait, ce n’étaient pas que mes parents et ma ravissante chipie, c’était toute une appréhension de la vie qui s’écroulait pour laisser la place à un ailleurs hostile. Il fallut vendre la maison pour payer les dettes. De toute façon, comment rester dans ce lieu qui n’avait été que désinvolture et rigolade ? La somme restante alla sur un compte destiné à financer mes études, et j’allai vivre avec grand-père. Trois mois nous séparaient du bac. Je ne voyais pas où trouver la force de réviser. Certes, Anna me soutenait de son mieux mais, soucieux de préserver la spontanéité de notre amour et de ne pas gâcher sa vie à elle, je la protégeai autant que possible de ma colère. Je ne pouvais imaginer d’autre arme de défense que de surfer. Par n’importe quelle condition. C’était la fin de l’hiver, proche de l’équinoxe. Donc, gros temps, eau froide et houle dangereuse. La première fois, je m’en sortis seul. La seconde, un habitué mieux équipé vint à ma rescousse. La troisième, j’échappai à la noyade par miracle, sauvé par Will. Ce fut la seule fois où on s’étripa dans une engueulade sans nom. La peur nous avait dominés, et elle le fit jusqu’à ce que les mots que nous nous balancions et les gestes que nous exagérions sous une pluie battante finissent par nous épuiser et que l’on tombe en pleurs dans les bras l’un de l’autre.
Commenter  J’apprécie          00
Je ne suis pas un inconnu en ville.
Je suis de ces personnes que l’on catégorise parce qu’on les craint.
Ni dans la marge, ni dans la norme. Mais lorsque j’apparais, les conversations s’arrêtent l’espace de quelques secondes. Cela tient peut-être à mon visage.
Peau mate, cheveux blonds et cendres, épais, plutôt longs. Toujours une barbe de quelques jours. Des yeux gris bleu qui, dans certaines circonstances, virent au vert d’eau sous l’effet de flamboiements qu’à vrai dire je ne contrôle guère. Ils peuvent être apaisants tout autant queffrayants.
Je renvoie l’image d’un bon gars sur qui l’on peut compter. Ou d’un type sans pitié.
Certains en font des tonnes, grimacent, parlent haut et fort, gesticulent pour se faire remarquer. Ils n’en continuent pas moins d’avoir autant de personnalité qu’un gant de toilette usagé. Je n’ai nul besoin de ces artifices pour exister.
Un haussement de sourcil, voilà l’intérêt qui s’éveille. Un coin de la bouche qui s’étire, l’ironie s’invite. Et tout à l’avenant.
Je captive. Et trouble dans le même mouvement.
Don ou malédiction, j’ai fini par m’en accommoder, et n’en joue pas. Je suis ainsi fait.
Dans cette ville au passé d’esclaves, de sorciers, de tueurs, de guerriers infortunés, de pêcheurs ruinés et de courageux érudits, dans ces rues où des femmes, des hommes et des enfants se sont battus pour leur liberté, ont succombé sous les coups d’une armée aveugle et rendue folle par le sang, dans ces maisons où l’on a tu si longtemps l’innommable et le sordide, il est bien logique que je sois devenu l’objet de croyances farfelues.
On me prête le pouvoir de parler avec les morts, de tenir ensemble eau, terre, air et feu. Je parcours les chemins sans manger ni boire, me livrant à des incantations arrachées à la nuit.
N’importe quoi.
J’affirme qu’il ne faut pas croire tout ce que l’on raconte à mon sujet avant de m’éclipser la seconde suivante, sans que l’on sache si j’ai disparu soudainement ou si j’ai endormi mon interlocuteur avec l’une de mes malices.
Viendra le temps où je me fatiguerai de tout ça.
Ou pas.
Commenter  J’apprécie          00
Bien sûr, ce sentiment s’est raffermi dès que j’ai lu les paragraphes de Guilhem sur sa découverte du renard massacré et des dévastations, puis sur son incapacité à punir les coupables. Ni espérance ni angoisse cependant dans cette attente. Comme si je savais qu’il me suffisait de lâcher prise pour que ce quelque chose advienne. Je ne me trompe pas. Matin du vendredi 28 avril 1989. Je suis assis sur la berge de l’étang des Lucioles, en pause après avoir débarrassé les deux tiers des pistes des feuilles, branchages et aiguilles de pin qui s’y accumulent. Pour ce labeur, j’ai attaché à mon tricycle une armature en bois à laquelle s’arrime un filet à gros cordage lesté de plomb. Tous les vingts mètres, je m’arrête pour récupérer le tas et le déposer dans la poubelle sanglée sur la petite plateforme à l’arrière de la bécane. Mes prédécesseurs effectuaient ce travail fastidieux à pied. Si je respecte l’injonction de ne pas utiliser de véhicule à moteur, fabriquer ce dispositif m’a permis de gagner du temps. Je me suis levé avant l’aube, souhaitant terminer dans le courant de la matinée, pour mieux profiter du reste de la journée, aller surfer peut-être. Voilà trois nuits que je dors sous la tente, malgré le froid et les bourrasques. Les abords des Lucioles m’apaisent. Cette étendue d’eau concentre toute la beauté et la singularité de l’endroit.
Commenter  J’apprécie          00

Video de Jérôme Lafargue (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jérôme Lafargue
Jérôme Lafargue vous présente son ouvrage "L'année de l'hippocampe" aux éditions Quidam. http://www.mollat.com/livres/jerome-l... Notes de musique : Sonothèque - 1 Vagues
autres livres classés : terreVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (36) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

Françoise Sagan : "Le miroir ***"

brisé
fendu
égaré
perdu

20 questions
3489 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..