Je tournais en rond dans la chambre, comme hypnotisé par la machine à écrire qui semblait me faire toutes les promesses du monde. Je savais qu'elle gardait dans son ventre toutes les phrases de mon roman. Je devais les extirper de là une à une. (...)
Je passais mes journées avec le plus beau jouet du monde. Je changeais un mot dans une phrase terne qui se mettait immédiatement à lancer des confettis. (p. 16)
Ceux qui nous accompagnent
Il y a des écrivains qui nous apprennent des choses. Certains deviennent des amis. Des gens proches de notre sensibilité. Dans la littérature ou dans la vie. Dans la littérature on peut avoir un ami qui vit au Moyen-âge (p. 197)
Le roman n'apparaît pas par magie sur la table du libraire. Et l'éditeur, comme le libraire, joue un rôle décisif dans cette histoire. J'imagine toujours le livre comme du pain. Et la maison d'édition comme une boulangerie où on travaille de nuit afin de livrer au matin du bon pain chaud qui nourrira l'esprit au quotidien. L'écrivain doit fournir la farine. Pour ce faire, il se tient prêt à tout capter au vol. Les histoires circulent partout, épousant le simple mouvement de la vie. Eparpillées, elles attendent un point de vue qui les rassemblent. (p. 34)
Le roman requiert quelque chose que ce siècle ignore : la patience.
Le roman est encore une île vierge et l'auteur ne sait pas ce que va donner, au bout du compte, une pareille accumulation d'émotions.
[...] on écrit pour traverser clandestinement les frontières, à défaut de les effacer.
Vous écrivez, c'est évident, pour le lecteur, mais vous ignorez de quel lecteur il s'agit. La pire bêtise c'est de croire que les gens qui mènent une vie linéaire aiment les univers réalistes, que les mathématiciens aiment les romans logiques. Ou encore, ce qui est pire, que les pauvres aiment les histoires où l'on raconte en détail leur misère. Pourquoi cela les intéresserait-il ? Ils vivent dedans. Je connaissais une dame très gentille, pieuse même, qui étai folle du marquis de Sade. C'était ma mère. (p. 81)
L’écriture est une étrange passion dont il faut retarder le plus longtemps l’explosion si on ne veut pas se retrouver, plus tard, avec un goût de cendre dans la bouche – rien de plus terrible qu’un écrivain qui a terminé son œuvre trop longtemps avant sa mort.
Cette idée de postérité qui ne retient que les bons livres est fausse, comme toute idée de pureté.
p.132
Un lecteur, c'est quelqu'un qui n'arrive pas à finir une lettre de sa mère, mais dévore six cents pages de quelqu'un qu'il ne connaît pas. (p. 114)