AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782361660598
120 pages
Editions des Busclats (20/08/2015)
4.09/5   49 notes
Résumé :
Sur les Chantiers de Marie-Hélène Lafon, tout fait ventre et matériau, les cérémonies de l'enfance paysanne et catholique, le quotidien des familles, les chansons enfouies, les gestes et les corps, les pantoufles de Suzanne au bain, Flaubert, Claude Simon ou Bill Viola.On rit, on se souvient, on s'émeut, on s'y retrouve et on s'étonne. On rentre sous la peau de l'écriture et dans la chair du vivant.
Que lire après ChantiersVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
4,09

sur 49 notes
5
8 avis
4
5 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
Epigraphe
« C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche. Pierre Soulages »

«Chantiers » beau titre pour ce recueil de textes qui n’en forment qu’un, celui du chemin de l’auteur vers l’écriture qui commence par « cette fille » qui étudie le grec et le latin, qui s’attellera à l’écriture à l'âge de 34 ans.

« Il a fallu du temps, beaucoup de temps encore, et de savants détours, et des méandres tenaces avant d’oser un autre travail, contigu à celui de la lecture, le travail de l’écriture ; avant d’oser se mettre à l’établi des mots, de la phrase, du texte ; avant d’oser empoigner cette viande-là, viande c’est vivenda, de vivere, c’est ce qui sert à vivre, c’est le vivant, la matière même du monde, avec les arbres, l’échelle, la grand-mère, le rôti, le pré gras, la fille le garçon, les beaux fruits, la ferme louée, la balançoire, le vert le bleu, la Sorbonne, le pensionnat, l’espalier, et tout le reste. »

Et surtout elle nous fait descendre avec elle au coeur du volcan là où se forme et jaillit la lave de ses récits, en nous faisant « entrer dans les coulisses du mot » puis la naissance de la phrase.

« …ça travaille tout le temps, ça fermente tout le temps, aux jointures, aux articulations, surtout du côté de la ponctuation, virgule, point-virgule, point, absence de virgule ; la coulée textuelle n’en finit pas de s’extraire, de se mouvoir, d’avancer sourdement, elle pourrait ne pas se fixer. »

Marie-Hélène Lafon dépiaute les mots, les mets à nu sans leur enlever leur substance, pour que le lecteur en tâte la chair et vive de l’intérieur toutes les affres de la création
Elle manduque, triture, fait se tordre les mots sous nos yeux, les dissèque, les broye, les bouscule.
C’est parfois sanglant et souvent flamboyant.
Plaisir, jouissance, on salive.
Jouissance quand elle a trouvé le bon mot lui a fait rendre tout son jus et réussit « à faire danser la phrase »
Chantiers montre son corps à corps avec le texte et à travers le texte avec le lecteur :
« Le tamis du corps ne suffit pas, il faut dire le tamis des corps, parce que le corps du lecteur est aussi en jeu ; la phrase est tendue et travaillée pour lui rentrer dedans, pour rentrer dans les lecteurs, leur faire perdre et chercher, perdre ou chercher, rechercher, recouvrer leur respiration, et leur souffle. La phrase est faite pour leur passer dessus, au travers, pour les caresser pour les broyer les caresser les consoler les acculer les empoigner les débusquer les pousser dans leurs retranchements les plus embroussaillés les consoler les caresser. La phrase est faite pour danser. »

Un éblouissement.
Commenter  J’apprécie          460
"Chantiers" est l'ouvrage que publie Marie-Hélène Lafon à l'occasion de la rentrée littéraire de Septembre 2015. Sans Céline que je remercie infiniment pour sa chronique qui m'a littéralement convaincu, je serai passé à côté de ce livre. Cela aurait été dommage tellement c'est une pépite! Chantiers est un vrai bijou de lecture pour les amoureux de l'écriture, pour ceux qui préfèrent la forme au fond.

« C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche - Pierre Soulages »

Commençons ce billet par un avertissement. Ce livre n'est pas comme les autres. le fond importe moins que la forme, l'écriture est âpre, la lecture pas simple et rarement fluide. Je pense que certains arrêteront en cours de route tant cela peut paraitre indigeste et difficile à ingurgiter. A l'instar de Réparer les vivants de Maylis de Kerangal par exemple, le style est très riche, les phrases longues, certains mots sont peu habituels, on peut rapidement friser l'overdose.

« On le devine enseveli et enfoncé, comme on le serait dans une vaste robe de chambre en poil de chameau, cossue et enveloppante, enseveli et enfoncé dans, douillettement calé au creux d'une nébuleuse amicale, ancillaire, familiale; je me démêle pas tout, je vois passer des noms, des prénoms, des noms de lieux, des façons de dire et de nommer. On donne des nouvelles, on en reçoit, on en attend, on s'inquièterait presque, on s'inquiète, on a des attentions et on est entouré d'attention. Flaubert est un homme entouré; niché en ses entours. »

Cet opus est un chef d'oeuvre littéraire: écriture, mots, (souvent l'auteur nous fournit racine, origines latines ou grecques et explication du sens de ces derniers, quel délice!), phrases, grammaire, alternance des temps de conjugaison... de la belle et grande littérature comme on les aime et comme il se perd. On a l'impression d'être en cours de Lettres. Marie-Hélène Lafon joue au Professeur, celui qu'auraient aimé avoir tous les amoureux des lettres comme l'écrit si justement Céline dans sa chronique.

« La fille, cette fille, a étudié le latin et le grec. Elle a appris l'étymologie de humilié. Elle sait que humilié, étymologiquement, veut dire qui est au sol, à terre, humus le sol en latin, comme dans inhumer et exhumer, et posthume; au sol, sur la terre, dans la terre, planté dans la terre comme un arbre. Depuis toujours, depuis qu'elle a pris conscience d'être, elle se sent comme ça, plantée en terre comme un arbre, comme l'érable dans la cour de la ferme; »

L'auteur nous conte son rapport à l'écriture, son corps à corps avec elle. Les phrases sont recherchées, travaillées, argumentées, très détaillées et avec de très nombreuses incises.

« Écrire serait une affaire de corps, de corps à donner, pas donner son corps, quoique, mais donner corps à, incarner, donner chair. LE verbe s'est fait chair. C'est une vieille histoire, on a déjà entendu ça quelque part, on s'en souvient dans un coin de soi, coin ombreux et confiné des enfants et du catéchisme, on l'a vu, on se souvient des messes, ceci est mon corps ceci est mon sang, buvez et mangez-en tous. »

Elle nous explique la genèse de ses livres, leurs chantiers: leurs origines, leurs difficultés d'écriture, les contraintes qu'elle se fixe, ses maitres à penser, son rapport à la nature, le rôle de la musique, ... mais aussi son éducation catholique, la ferme de ses parents, sa soeur, son enfance... C'est un pur régal.
On retrouve ainsi Gustave Flaubert, Claude Simon, Pierre Bergounioux, Richard Millet, Bill Viola, mais aussi la Callas et Bach.

« Aujourd'hui la cantate BWV 80, Ein feste Burg ist unser Gott, Notre Dieu est une forteresse, est la plus lancinante de mes musiques d'établi. J'appelle musiques d'établi, ou de travail, celles qui, faisant barrage contre le monde, le bruit des autres et des choses, le temps, les pensées et préoccupations parasitaires, favorisent, et amorcent l'émission du texte, sa production matérielle sur le papier ou sur l'écran, l'accompagnent, ou l'ont au moins précédée, préparée. »

Ce court texte (112 page) se lit, se relit lentement. On l'accapare, on s'en imprègne, on se perd dans la beauté, on ne peut qu'aimer et passer un superbe moment. Ce fut assurément mon cas et je ne peux que vous recommander de lire Chantiers, la quête et l'attente, dans le silence des jours, de ce qui n'a pas encore été lu, de ce qui n'a pas encore été écrit comme conclu magistralement l'auteur. J'en redemande!

5/5 COUP DE COEUR!


Lien : http://alombredunoyer.com/20..
Commenter  J’apprécie          120
La Feuille Volante n°1005 – Janvier 2016
CHANTIERSMarie-Hélène Lafon – Éditions des Busclats.

J'avoue que j'ai été un peu décontenancé à la lecture de ce court ouvrage qui n'est pas un roman. Dès les premières pages, l'auteure évoque clairement les épousailles d'une fille de la campagne profonde. le titre « C'est pas du rôti pour elle », expression empruntée à sa grand-mère qui refuse d'aller à la cérémonie, évoque une sorte de mésalliance entre sa famille qu'on imagine rurale et celle du jeune homme, différente parce qu'elle vit à la ville, que nombres de ses membres ont réussi dans les professions libérales, mais qu'elle a gardé au pays des terres et une maison occupée seulement l'été, pour les vacances. Et d'ailleurs, les parents de cette fille ne sont que les fermiers de la famille du garçon, une sorte de subordination qui perdurera toujours ! Pourtant, c'est là une transgression sociale puisque ici on doit se marier entre paysans. C'est que la jeune fille en question, qui était sans doute promise malgré elle au fils d'un voisin, a étudié le latin, le grec et la littérature, c'est à dire a déjà transgressé un autre tabou qui voulait faire d'elle une mère de famille nombreuse qui resterait à la maison à attendre le père et à élever sa marmaille. Puis très vite le texte est rédigé à la première personne et l'auteure habite ce personnage juste esquissé de la jeune-fille qui non seulement quitte le pays pour enseigner dans la capitale mais aussi se pique d'écrire et peu à peu trouve sa place dans ce monde littéraire pourtant fermé, très loin en tout cas des préoccupations paysannes.

Elle ne renie pourtant rien des beautés de son Cantal, de sa langue et de son enfance et sait apprécier la vie bourgeoise qui est désormais la sienne et qui elle aussi possède ses codes et ses convenances, évidemment différentes de celles de son enfance. Et puis il y a cette envie d'écrire, venue on ne sait d'où qui se manifeste un jour avec plus de force qu'avant. On pose le premier mot sur la feuille blanche avec fébrilité, on s'enhardit, on poursuit, ça dure, on lit, on retrouve même ses racines enfouies pour y chercher l'inspiration et ça marche…Alors on se fait son cinéma. On compose un texte au terme d'un véritable accouchement et on l'envoie à quelqu'un en se disant que ça va marcher, parce qu'il ne peut en être autrement. Ici, ça fonctionne sous forme d'encouragements et un éditeur finit, enfin, sans doute après de longues et décourageantes recherches, par s'intéresser à l'auteure de ces pages. Alors commence la véritable aventure, celle qu'il ne faut surtout pas manquer et le travail s'impose de lui-même, comme celui de la terre qu'il faut labourer et ensemencer. Chaque ouvrage est un véritable « chantier » où le travail dur s'impose comme une évidence. Ainsi reviennent véritablement ses racines qu'elle conjugue avec la beauté des mots et avec sa culture personnelle, ses lectures parce qu'il faut bien entendu prêter attention à ce qui a été fait avant. le livre qui en résulte, il faut ensuite le faire partager au lecteur (souvent lectrice) en le rencontrant physiquement parce que l'écriture c'est aussi une communion avec lui et qu'un auteur, même s'il écrit pour lui, ne saurait ignorer celui à qui il le destine. L'auteur l'estime et le respecte même si le succès au début est d'estime et que le découragement s'insinue dans les certitudes les plus solides. Puis le talent s'impose, avec, il est vrai la chance indispensable dans tous les actes de notre pauvre vie, et l'auteure se fait une place dans ce paysage littéraire, marque son originalité et sa voix tout en se rappelant que « rien n'est jamais à l'homme » comme le dit le poète parce que là comme ailleurs, le découragement existe comme existent la sècheresse, le doute et le sentiment d'inutilité. Les oeuvres se multiplient et l'auteure dévide l'écheveau de son message à travers une créativité qui se nourrit de la vie, de l'amour, de la mort qui sont et resteront les grands thèmes de l'activité artistique. Cela sera livré au public, c'est à dire à la critique qui fait et défait les succès mais aussi, et peut-être surtout, à celui, amateur ou simple quidam guidé par le hasard, qui accepte de passer du temps à explorer cet univers qui est décrit avec des mots, qui au départ lui est étranger mais où, bien souvent, il se retrouve lui-même. Alors l'écriture, qui est aussi une étrange alchimie, retrouve sa fonction première qui est la communication, l'explication, l'exploration, l'aide par la compréhension parce que quelqu'un, un jour a mis des mots sur ses maux, a expliqué ses choix, a raconté sa propre histoire, a rappelé que le livre est bien souvent un univers douloureux qu'il faut partager parce, ainsi il porte en lui une sorte de guérison pour l'auteur autant que pour le lecteur et que ces pages et ces chapitres ont réussi à faire que chacun s'accepte comme il est.
A la campagne on est catholique presque par tradition, même si cette foi n'a rien à voir avec l'Évangile qu'on ne connait d'ailleurs pas. Ce ne sont bien souvent que des rituels obligatoires qui, là non plus ne résistent pas.
Ce livre est une sorte jalon dans son parcours, une volonté de faire le point sur son voyage littéraire autant que sur sa vie, un regard intime porté sur elle-même et offert à son lecteur parce qu'un auteur ne doit jamais être quelqu'un de lointain, d'intouchable, d'intellectuellement différent des autres.

© Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
Commenter  J’apprécie          50
C'est ce que je fais qui m'apprend ce que je cherche, écrit en exergue Marie-Hélène Lafon, reprenant la phrase du peintre Pierre Soulages. Elle complète ailleurs (page 68) : Tout fait ventre et piste, le monde est inépuisable.

Marie-Hélène Lafon vient du monde paysan, elle a fait des études de lettres et enseigne. Ce qu'elle a écrit dans les premiers chapitres de Chantiers permet à beaucoup de ces enfants qui ont fait des études de se reconnaître: transfuges de classe, perdus dès le départ pour leur milieu d'origine. Je me suis retrouvée. Profondément. Intimement. Confondue par cette radiographie sociale. Ne manque que la solitude accompagnant cette marche vers un savoir et une culture qui ne vous sont pas destinés et auxquels ceux que vous aimez ne comprennent rien. Marie-Hélène a eu la chance d'être accompagnée par sa soeur, cela lui a donné le supplément de force que n'ont pas eu ceux qui ont accompli le même chemin qu'elle.

de l'autre côté des arbres, une fois lancé dans le monde, on a vu les autres, les légitimes enfants de familles qui s'ébattaient tout à leur aise et à l'envi dans les grasses prairies du savoir, et de la culture, du moins le croyait-on, du moins le croyais-je ; on a vu ceux qui jouissaient de ce droit parce qu'une ou deux ou davantage encore de générations précédentes, avant eux, s'étaient arrachés, d'une manière ou d'une autre, au limon des origines d'où l'on venait, soi, à quoi l'on tenait, soi, de tout son corps. Alors, sans savoir pourquoi ni comment, sans rien démêler, à l'instinct et parce que l'on n'avait ni le choix, ni le droit d'échouer, ni le droit de s'ébattre, de musarder, de jouir en toute gratuité et liberté dans les grasses prairies du savoir et de la culture, alors on s'est ramassé, ramassé au sens de rassemblé, on s'est rassemblé dans l'énergie de la besogne ; on était de la tribu des besogneux, on a travaillé, on s'est mis à l'espalier pour porter fruit ; (…) on a étudié comme on laboure, pour gagner sa vie, et la gagner seule, sans dépendre.

Cette étape de l'enfance : nature, arbres et proches, la conscience du père d'appartenir à un monde en train de mourir, les susceptibilités de classe, orgueil paysan et conscience de son rang puis la formation chez les religieuses, la conscience de se situer ailleurs, voilà le socle nécessaire à son travail d'écrivain. Socle paysan duquel on s'arrache mais qui conserve sa force, qui a donné la conscience du travail nécessaire pour que les récoltes adviennent.

Pas de récolte sans engrais, et Marie-Hélène Lafon décrit les lectures fondatrices, pas seulement les grands écrivains reconnus dans les manuels littéraires comme Flaubert, « En tendre carnassier, en colosse sentimental », mais Pierre Bergougnoux, Richard Millet et Claude Simon, car de grands auteurs peuvent être vivants. Éloges vibrants, fines analyses d'une construction mentale aussi bien que physique.

Les lectures tiennent sans doute une place importante dans le terreau fondateur, mais Marie-Hélène n'oublie pas l'importance de la musique. L'introduction à la musique classique par un homme dont elle dit peu de choses et le mélange des genres avec les musiques familiales ou d'adolescence : elle fait sa propre bouillie nourrissante, le monde mêlé, les sens chamboulés, « Tout fait ventre et piste », elle s'interdit seulement l'utilisation des faits divers. Pour le moment.

Chantiers. La matérialité de la construction, l'établi atelier de l'écrivain, la matérialité du fait d'écrire, tous ces éléments qu'il faut assembler, ordonner, mêler pour arriver à créer. Pas de néant, mais les matériaux bruts de la vie passés au prisme d'une sensualité en éveil, tous sens mêlés avant d'équarrir la phrase, parfois de la supprimer. Écrire à la table rugueuse qui relie au fil des générations mais créer autre chose que ce qui a fait la vie de tous ceux qui la précèdent. Transfuge féminin d'une communauté puissante avec la seule possibilité offerte :

L'école comme une conquête, le désir d'école, pour s'arracher, pour devenir, ailleurs et autrement. C'est l'austère et jubilatoire programme des filles, s'inventer. Nous suivons le programme en bonnes élèves pareillement tenaces, pugnaces ; et dociles.

Chantiers. le travail en cours, la pensée discursive, sinueuse avec des éclats et des débris, souvent dérangeante. J'ai été souvent désorientée par ces phrases interminables désarticulées, avec ces reprises à la ligne à des moments qui me semblaient incongrus, avec ces liaisons ou oppositions en majuscules, comme pour indiquer que l'ouvrière avait trouvé un nouvel outil.

Chantiers. On ne travaille pas tout seul sur une oeuvre, et voilà que surgit l'amitié et la complicité, Sylviane Coyault, même parcours et phrases mêlées, qui parle ? Qui écrit ?

Ce livre est une commande des Éditions des Busclats, mais l'auteure en a fait un objet qui dépasse de loin la commande. Je me suis souvent surprise à l'introspection, confondue par les similarités, irritée parfois par les différences, ce mélange constant d'universel et de trivial, d'évidence et de chaos, de tripes et de nature. le chantier d'une vie dans lequel nous retrouvons les matériaux de la nôtre.
Lien : http://nicole-giroud.fr/chan..
Commenter  J’apprécie          30
Ce "pas de côté", collection des éditions des Busclats, donne aux écrivains l'occasion de livrer un pan de leur jardin secret et de faire pénétrer le lecteur plus avant dans leur cabinet d'écriture. Avec "Chantiers" Marie-Hélène Lafon creuse le sillon de son écriture, s'y penche et examine la germination des mots sous sa main.
Dans l'intime de sa réflexion, elle montre le travail de la matière linguistique et de ce qui vient la nourrir et l'irriguer.
La force des mots qu'elle choisit, leurs agencements charnus et sensoriels nous plongent au coeur de la création littéraire, dans ce magma vivant qui fait naître les plus belles émotions et donne en partage des images intimes, mémorielles, universelles.
L'érudition n'est jamais sèche, ni cuistre, chez Marie-Hélène Lafon. La joie de s'engouffrer dans la langue, d'y découvrir des pépites, de jouer avec les sens et les figures de style est palpable, jouissive, énergique. le texte vibre de ce malaxage, de ce pétrissage du langage qu'accomplit l'auteur, à son "établi".
Comme le paysan et l'artisan s'attachent à leur ouvrage, tête, pensée et corps tout entiers engagés dans leurs gestes, dans l'action qui, d'un matériau brut, va extraire une nouvelle venue au monde, l'auteur travaille le substrat langagier, rabote les scories, chantourne les phrases, fore la syntaxe pour en faire émerger l'image juste, celle qui correspond à son rêve.
J'ai lu "Chantiers" avec le souffle coupé, envieuse de cette familiarité avec la langue, de cette jouissance à accoucher des mots, en totale admiration devant ce si petit livre, si puissant, si riche. Une merveille.
Commenter  J’apprécie          40


critiques presse (2)
LeFigaro
13 novembre 2015
Née dans une ferme du Cantal, agrégée de grammaire, la romancière Marie-Hélène Lafon raconte comment ses livres se font.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Lexpress
22 septembre 2015
Intimement liée au texte, l'auteure dévoile un corps à corps entre elle et celui qu'elle nomme le "corpus" textuel.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Avec La Chevelure de Bérénice une voie s’ouvre pour moi dans le texte de Claude Simon, un chemin se fraie qui donne accès, le verbe se fait chair ; c’est la clef tachée de sang, de sueur ou de semence, la clef de la chambre secrète où pantèlent dans l’ombre les corps luisants.
(...)
La mer respire, on l’entend. Des odeurs montent, monteront. La phrase avance comme un navire, son étrave fend la page, elle draine dans son sillage la puissante coulée. On n’arrête pas la phrase, elle s’enroule, monte, halète, mugit, gémit, se tend, s’apaise, reprend. Elle pourrait ne pas finir, elle aurait toujours déjà été là, depuis toutes les nuits, et tous les crépuscules, et toutes les aubes, sur toutes les plages vides où des femmes aux cuisses laiteuses apparaissent dans le bleu gris des commencements. On est pris. Je suis prise.
Le monde surgit, il s’incarne, convoqué, épais, fluide, immédiat, suave et impérieux. Le texte ne s’épuise pas, le monde non plus, ils s’affrontent et s’emmêlent, moi je me contente d’être là, traversée, empoignée. C’est la mêlée majuscule, au centre du terrain, poils peau os sang sueur. Ce serait une crucifixion délicieuse, un écartèlement exquis qui voudrait ne pas finir.
Commenter  J’apprécie          170
Un ami m’a montré tout récemment dans une petite église de Meuse, Saint-Étienne, à Saint-Mihiel, une mise au tombeau de Ligier Richier ; une fois de plus, j’ai senti, touché physiquement et pensé à la fois, combien tout était là, l’émouvante tiédeur du corps encore souple, les pieds, la ligne des épaules, le dessin des bras abandonnés, et la poitrine offerte, et le tissu noué sur les hanches et la chevelure, la caresse du tissu et celle des cheveux, et la confiance des yeux clos ; la douceur des corps mêlés et la douleur de l’adieu ; une fois de plus, j’ai éprouvé que le travail du matériau verbal qui a nom écriture relève du même geste et du même désir que le travail du sculpteur, geste pour et désir de, geste pour une forme et désir d’elle, qu’une forme juste advienne et soit et danse et se tienne, sur la page, dans la lumière.
Commenter  J’apprécie          110
Au commencement il y eut cette polyphonie des fenêtres ouvertes sur les nuits d’été, et je savais que le vent n’a pas même voix dans l’érable de la cour, les frênes du fond du pré, les hêtres du bois de Combes, les peupliers cliquetants de la Sarrie, ou les trois sapins de derrière la maison, je le savais les yeux fermés ; la rivière, son feulement plus ou moins têtu, faisait basse continue derrière tout ; et les cloches des vaches égrenaient leurs notes lentes, lourdes, erratiques, ou soudain effrénées en cas de mouvement de foule ; c’est l’impavide friselis des aubes et des soirs, c’est la première musique, ça ne s’oublie pas.
Commenter  J’apprécie          60
Double truchement et double tamis du corps; le monde est tamisé par mon corps avant, mille ans avant d'avoir commencé à écrire, avant même d'en avoir eu le désir sans nom au moment de l'entrée au CP et de l'apprentissage du rudiment, puisqu'on ne saurait être, je ne saurais être au monde autrement qu'avec le corps, en corps en corps; et après, après et pendant le travail d'écriture, le recours au tamis s'impose avec la lecture à voix haute qui m'a été nécessaire dès Liturgie, le tout premier texte écrit à l'automne 1996; nécessaire pour ajuster la chose, phrase à phrase, mot à mot. Le corps dans l'écriture et le corps à corps dans l'écriture c'est aussi cet exercice crucial et charnel de de la lecture à voix haute.
Commenter  J’apprécie          30
Les musiques d'établi font un travail en moi et sur moi, elles me mettent en état de vertige têtu et d'urgence jubilatoire. C'est ici et maintenant, et on y va, on monte à l'assaut, au front, on sue du texte, on le suinte, on l'allonge, on le couche, sur le papier ou sur l'écran, plus souvent sur papier que sur écran, on le fait, on le produit, on le chie.
Commenter  J’apprécie          50

Videos de Marie-Hélène Lafon (65) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Marie-Hélène Lafon
Attention !!! Nouvel horaire pour l'émission "Le coup de coeur des libraires" sur les Ondes de Sud Radio. Valérie Expert et Gérard Collard vous donne rendez-vous chaque samedi à 13h30 pour vous faire découvrir leurs passions du moment ! • Retrouvez leurs dernières sélections de livres ici ! • • Mémoires de Raymond Aron, Nicolas Baverez aux éditions Bouquins 9782221114025 • Patience dans l'azur : L'évolution cosmique de Hubert Reeves aux éditions Points 9782757841105 • Poussières d'étoiles de Hubert Reeves aux éditions Points https://www.lagriffenoire.com/poussieres-d-etoiles-reedition.html • Car un jour de vengeance de Alexandra Julhiet aux éditions Calmann-Lévy https://www.lagriffenoire.com/car-un-jour-de-vengeance-1.html • Une Fille de Province de Johanne Rigoulot aux éditions Les Avrils https://www.lagriffenoire.com/une-fille-de-province.html • Nous traverserons des orages de Anne-Laure Bondoux et Coline Peyrony aux éditions Gallimard Jeunesse https://www.lagriffenoire.com/nous-traverserons-des-orages.html • La Vie selon Chaval - Dessins choisis et présentés par Philippe Geluck de Chaval et Philippe Geluck aux éditions du Cherche Midi https://www.lagriffenoire.com/la-vie-selon-chaval.html • Les Gardiens du phare de Emma Stonex aux éditions Livre de Poche https://www.lagriffenoire.com/les-gardiens-du-phare-1.html • Autobiographie d'une Courgette de Gilles Paris, Marie-Luce Raillard aux éditions Flammarion https://www.lagriffenoire.com/autobiographie-d-une-courgette-2.html • Les 7 vies de Mlle Belle Kaplan de Gilles Paris aux éditions Plon https://www.lagriffenoire.com/les-7-vies-de-mlle-belle-kaplan.html • La boîte à Berk de Julien Béziat aux éditions École des Loisirs https://www.lagriffenoire.com/la-boite-a-berk.html • Les crayons fêtent Halloween de Drew Daywalt, Oliver Jeffers aux éditions Kaléidoscope https://www.lagriffenoire.com/les-crayons-fetent-halloween.html • Gare aux fantômes, Palomino de Michaël Escoffier et Matthieu Maudet aux éditions École des Loisirs https://www.lagriffenoire.com/gare-aux-fantomes-palomino.html • À pied d'oeuvre de Franck Courtès aux éditions Gallimard https://www.lagriffenoire.com/a-pied-d-oeuvre.html • Harry Potter - le Guide Ultime de Collectif, Jean-François Ménard aux éditions Gallimard Jeunesse https://www.lagriffenoire.com/harry-potter-le-gu
+ Lire la suite
autres livres classés : cantalVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus



Lecteurs (99) Voir plus



Quiz Voir plus

Histoire du fils

Qu’a entraîné la mort d’Armand Lachalme en avril 1908 ?

Un accident de chasse
Un accident de la route
Un accident domestique

19 questions
14 lecteurs ont répondu
Thème : Histoire du fils de Marie-Hélène LafonCréer un quiz sur ce livre

{* *}