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Critique de berni_29


C'est une vie ordinaire, simple, qu'on pourrait qualifier de bien banale, celle de Joseph. Ne comptez pas sur moi pour vous décrire ici un héros au sens romanesque, mais Joseph a quelque chose qui nous est attachant, il ressemble tout simplement à quelqu'un qu'on a l'impression de connaître, un membre de notre famille, un père, un grand-père, un oncle, un voisin peut-être, une silhouette qui est familière pour ceux d'entre nous qui habitons à la campagne.
Joseph est ouvrier paysan, un journalier, nous sommes dans un village reculé du Cantal. Nous apprenons à le connaître par ce récit généreux, touchant, simple et lumineux.
Ne comptez pas sur Joseph pour vous ouvrir son coeur, ce taiseux. Alors, il nous faut compter sur Marie-Hélène Lafon pour nous amener à mieux connaître cet homme qui ne fait pas de bruit dans sa vie.
Son écriture se déploie dans un seul élan, d'une seule traite, nous entraîne dans cette ferme où c'est peut-être là que Joseph va finir son métier d'ouvrier paysan, puisqu'il approche de la retraite...
On le sait bon ouvrier, il l'a toujours été, on sait que sa vie n'a pas toujours été rose, on le découvre comme cela avec les mots touchants, pudiques, attentionnés de Marie-Hélène Lafon.
Son écriture, toujours juste, est d'ailleurs voisine de l'âme de cet homme... Qu'importe les trébuchements de celui-ci, il aime les bêtes, sait leur parler, être patient avec elles, qu'importe s'il mourra seul... Quelqu'un a dit : « le bruit ne fait pas de bien, et le bien ne fait pas de bruit. » Cette formule pourrait s'appliquer à Joseph.
Dans les gestes quotidiens de Joseph, viennent des souvenirs, viennent des personnes aussi simples et discrètes que Joseph, vivantes tout d'un coup, des histoires de familles et c'est la grâce de l'écriture de Marie-Hélène Lafon de nous les rendre vivants, chaleureux, si proches de nous, comme si nous appartenions à cette terre rurale, cette terre qui se vide désormais de ses populations...
Derrière la silhouette d'un seul homme, entre ici un monde grouillant, une véritable fourmilière avec des histoires qui emplissent les yeux, cognent au ventre, la mémoire de Joseph est si époustouflante qu'elle nous offre ici, comme dans le tableau d'un peintre, une magnifique chronique rurale, pas si ordinaire que cela...
Joseph se souvient, ou plutôt Marie-Hélène Lafon nous transmet la mémoire de Joseph encore intacte, comme si elle était là, tout près de lui, à capter son souffle, ses respirations, ses souvenirs, ses mots, ses regrets, ses blessures peut-être, mais comme Joseph est taiseux, il dira peu de choses à ce sujet... Peu de choses, juste ce qu'il faut pour dire qu'il n'a pas toujours été heureux et qu'il aurait peut-être pu ne pas finir sa vie seul...
Alors Joseph pense souvent à sa mère comme nous, lorsqu'on se sent démuni, ou au bord de la nuit, ou au bord du vide... Il pense alors aux fleurs et on le comprend...
Derrière Joseph il y a un vaste paysage rural de montagne qui se vide depuis des lustres. Je ne vais pas vous chanter la chanson de Ferrat, - quoique si vous me tendez une guitare et que vous insistez je la connais presque par coeur, mais oui ici c'est à peu près cela... Marie-Hélène Lafon qui connaît bien ce pays du Cantal puisqu'elle vient de là-bas, nous dit cela aussi, à travers le paysage de Joseph, celui de son âme, de ses gestes d'ouvrier agricole qu'il connaît par coeur et qui cependant tremblent un peu le soir au bord du vertige de la nuit...
C'est un texte d'une tonalité juste, âpre, écrit à l'os. Sensible aussi. On sent les odeurs de la ferme, l'odeur de l'étable, du crottin des vaches, là où j'avais tendance à plonger les pieds dedans quand je courais enfant dans les champs, l'odeur du café le matin, l'odeur des géraniums, des foins coupés, l'odeur de la campagne...
On voudrait prendre l'homme dans nos bras, mais on se dit que cela ne passerait pas, que le bougre nous écarterait d'un revers de la main et qu'il aurait raison ou se retournerait, gêné, esquivant notre geste inapproprié. Alors, on reste là un peu pataud comme lui et l'on se retire sur la pointe des pieds, dans la lumière des mots de Marie-Hélène Lafon.
C'est alors que je me suis souvenu que justement, lorsque j'étais enfant, les vacances c'était à la ferme. Nous n'avions pas encore de voiture, alors comme nous étions deux familles voisines dans le même besoin, deux couples et dix enfants, nous avions loué pour la circonstance les services d'un déménageur et son camion, qui nous avait emmené en bord de mer chez une famille paysanne pendant quatre semaines... J'ai une image comme cela qui me vient, celle d'être à l'arrière de ce camion, toutes bâches ouvertes, adossé aux bagages et de regarder le paysage se déployer, deviner l'océan au loin et tout ce qui allait avec... Plus tard, je me souviens que l'odeur de la mer et du goémon venait parfois selon les vents jusqu'à la ferme. C'était une odeur particulière qui se mêlait aux odeurs de la ferme, pour ne faire brusquement qu'une seule odeur, celle de la terre et de la mer, mélangée, unique. Parfois on aurait dit que ces odeurs avaient toujours existé ensemble. Je me souviens que les seules toilettes étaient dehors, derrière la grange, qu'il s'agissait d'une planche avec un trou bien rond au milieu, et en-dessous, il y avait ce vide que je trouvais, du haut de mes six ans, immense comme le gouffre de Padirac. Je me souviens qu'il fallait crier " Y' a du monde ! " quand on entendait des pas contourner l'angle de la grange... Mais le vieux Joseph, le père des patrons de la ferme, qui était sourd comme un pot, n'entendait jamais... Je me souviens que le patron de la ferme s'appelait justement aussi Joseph comme son père, ce dernier avait l'habitude de faire la sieste après le repas de midi dans la fameuse grange où nous avions justement pris la manie de jouer à cache-cache au même endroit et au même moment... le jaja du coin l'aidait sans doute à rejoindre les bras de Morphée... Quand on le réveillait, il nous faisait peur avec sa grande moustache. Comme il ne parlait que le breton et qu'il chiquait sans cesse, on ne le comprenait pas et on avait encore plus peur de lui avec ses dents noircies par la chique qu'il avait un malin plaisir à recracher devant nous... Alors, on s'envolait comme une volée de moineaux... Plus tard, à l'âge de seize ans, le premier festival rock en plein air auquel j'ai assisté se tenait sur cette commune. Avec un ami, nous sommes allés au culot tenter de chercher un hébergement dans cette ferme. La patronne, - elle s'appelait Angélique, ne m'a pas reconnu tout de suite, mais elle se souvenait bien de ma famille. Elle a eu un immense sourire. Son mari, Joseph, qui était dans les parages, nous a serré la main chaleureusement et waouh! je me souviens encore de sa poigne, tiens... Elle nous a offert le café dans des bols grands comme ça et nous a désigné la fameuse grange en nous invitant à déposer nos affaires. Plus tard dans la nuit, nous avons dormi sur un tas de foin, presque le même, celui où le vieux Joseph qui s'en était allé depuis quelques temps de l'autre côté du paysage, faisait autrefois sa sieste... Je me souviens que nous avons eu un fou rire idiot quand les portes de la grange se sont ouvertes dès six heures du matin et que nous avons vu Joseph entrer fier et droit comme un if sur son tracteur comme si de rien n'était, venir déposer des balles de foin à nos pieds puis repartir... Je me souviens presque davantage de cette scène que d'avoir vu quelques heures plus tôt Murray Head devant mes yeux ébahis chanter "Say it ain't so Joe". Presque...
Voilà à quoi me fait penser ce soir le prénom de Joseph...
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