J'ai été envouté par la petite musique de
Marie-Hélène Lafon. Une petite musique qui m'a fait passer par bien des états, du rire à la tristesse, de l'espérance au dépit, m'a tourneboulé les sens, m'a rappelé mes longues traversées par temps clairs ou orageux… Car c'est de cela dont parle ce livre avec émotion, amour, et un poil d'ironie aussi : de
nos vies. de l'inéluctabilité de
nos vies ; de tous ces moments précieux qui les jalonnent et dont il ne faudrait jamais perdre une miette ; du temps long et de l'ennui mou ; du hasard et du destin ; du corps qui se fatigue ; des amis qui nous quittent ; des rires ébouriffants, des villes grises, des cafés du matin ; du père majuscule, indépassable, insubmersible, et des enfants qui s'éloignent ; de l'amour qui ensoleille et du chaud câlin muet ; des vieux en paix avec leurs fantômes familiers et des petits accommodements du quotidien…
La narratrice se nomme Jeanne. Elle est à la retraite désormais et vit seule. Elle a mené sa vie de main de maître, sans trop faire de concessions. En vivant au présent sans trop se préoccuper de l'avenir. Jeanne a quelques moments savoureux à se mettre sous la dent : son lumineux Karim, quelques amitiés inébranlables et de gros orages que, bravement, elle a su traverser.
Est-ce pour conjurer la solitude que Jeanne imagine la vie des autres, de ces silhouettes furtives, de ces inconnus qui passent, dans ce Franprix de la rue du Rendez-vous ? Qu'elle les flaire, les hume, les suit à la trace ? Qu'elle brode, enjolive, embellit, enguirlande la vie de
Gordana, caissière au Franprix, à qui il a manqué une « étincelle pour être de la race de ceux qui foudroient » ? Qu'elle enrichit de multiples passés l'homme sombre qui, tous les vendredis, vient, ses courses à la main, mendier vainement le regard de
Gordana ?
Jeanne raconte sa vie. Raconte celle des autres. Raconte
nos vies. Un beau livre.