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sur 1912 notes
°°° Rentrée littéraire 2022 # 37 °°°

Dans le cadre de la collection Une nuit au musée, Lola Lafon a choisi de passer la sienne dans la Maison d'Anne Frank à Amsterdam, celle du 18 août 2021, de 21 heures à 7 heures du matin, expérience qu'elle relate dans ce livre. Mais pas que. La nuit dans l'Annexe - où la famille Frank a vécu clandestinement de l'été 1942 à l'été 1944 avant d'être déportée – se transforme en récit très intimiste d'une ampleur insoupçonnée et d'une délicatesse rare.

Anne Frank. Un sujet sur lequel on croit tout connaître et dont découvre des aspects insoupçonnés et saisissants. Les romans de Lola Lafon ont tous pour coeur une jeune fille dont la parole n'a pas été entendue, de Nadia Comaneci ( La Petite communiste qui ne souriait jamais ) à Cléo ( Chavirer ). Anne Frank est leur soeur, elle aussi est une adolescente qu'on n'entend pas alors que le monde entier l'a lu.

Son journal a été manipulé, censuré, mal lu. Trop de personnes ont tenté de se l'approprier, à commencer par les producteurs hollywoodiens lorsqu'ils ont monté à la fin des années 50 un film ( oscarisé ) et une pièce de théâtre ... en éludant toute allusion à la judéité, au nazisme pour en faire un récit jugée universel et positif. La personnalité d'Anne Frank a été complètement lissée, très loin de la jeune fille irrévérencieuse et acide qu'elle était.

Lola Lafon rappelle également qu'Anne Frank n'a pas été entendue car on considère à tort comme un journal ou un témoignage ses écrits, très réducteur. C'est ce que lui rappelle Laureen Nussbaum, dernière personne en vie à avoir connu les soeurs Frank, qui a été la première à étudier le « journal » comme une oeuvre littéraire à part entière. Anne Frank voulait devenir écrivaine. Aussi lorsqu'elle entend à une radio clandestine qu'un ministre demandait aux populations des Pays-Bas de conserver leurs écrits comme preuves. Avec la folie que peuvent avoir les adolescents, elle s'est dit qu'elle pouvait être publiée. Elle a alors totalement réécrit son journal afin de leur tourner vers l'avenir et un lectorat. Sa célébrité a évincé son talent.

Lola Lafon a sur tout de suite que c'est dans ce musée qu'elle choisirait de passer une nuit. Pas uniquement parce qu'elle s'intéresse aux adolescentes. Aussi pour se confronter à sa judéité. Je ne savais pas qu'elle avait des origines juives, elle a toujours été très discrète sur ce point. Sa mère est une enfant qui a été cachée pendant la guerre, son grand-père est un rescapé d'Auschwitz ( seul d'une nombreuse fratrie à avoir survécu ). L'autrice force ainsi les silences et se confronte à son histoire familiale avec une sensibilité touchante.

Et puis, il y a ce titre, une chanson qui lui fait ouvrir la porte de la chambre d'Anne Frank. Elle ne parvient à y pénétrer qu'au dernier moment, au terme d'une nuit blanche. Et dans ce lieu du vide qui crie l'absence, elle peut se confronter aux fantômes de son histoire. Lorsqu'elle révèle tout cela via le pouvoir évocateur de la chanson, on est totalement bouleversés par la confidence qu'elle nous offre.

Lola Lafon est une formidable passeuse qui redonne à Anne Frank sa vérité dans une superbe clarté. Elle sublime l'exercice de style de l'écrivain racontant sa nuit au musée en un vagabondage littéraire d'une grande richesse, couplé à un récit introspectif et intimiste qui s'ouvre à l'universel avec une subtilité vibrante et sobre. Magnifique.
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Après avoir apprécié « La petite communiste qui ne souriait jamais », qui retraçait le parcours de la gymnaste roumaine prodige Nadia Comaneci, j'étais curieux de voir ce que Lola Lafon pouvait encore nous apprendre sur Anne Frank et son célèbre « Journal ».

Dans le cadre de cette collection « Ma nuit au musée » des Editions Stock, Lola Lafon choisit donc de passer une nuit dans le musée de la maison d'Anne Frank à Amsterdam, dans cette fameuse annexe où Anne Frank vécu recluse avec sept autres personnes de juillet 1942 au 4 août 1944. Vingt-cinq mois de clandestinité et d'enfermement racontés dans son journal intime, avant d'être déportée et tuée à Bergen-Belsen…

« Quand tu écouteras cette chanson » retrace certes le parcours d'Anne Frank et de sa famille, mais s'intéresse également au destin de ce célèbre « Journal », adapté au théâtre, puis édulcoré par Hollywood, tout en soulignant l'ambition de cette jeune adolescente mondialement connue de devenir écrivaine. Anne Frank a en effet elle-même retravaillé son journal en espérant un jour être lue… mais qu'avons-nous fait de ses écrits ?

En passant une nuit en compagnie du fantôme d'Anne Frank, Lola Lafon réveille également ses propres fantômes, transformant cet ouvrage au cahier des charges pourtant assez claire en récit beaucoup plus intimiste que prévu. L'histoire d'Anne Frank fait en effet écho à l'histoire familiale de l'autrice, de sa propre judéité à l'exil familial en France au début des années 1930, en passant par les membres de sa famille décédés à Auschwitz… et par cette grand-mère maternelle, Ida Goldman, survivante de la Shoah, qui lui a un jour offert une médaille dorée frappée du portrait d'Anne Frank, accompagnée d'une consigne : « N'oublie jamais ! »

Cette nuit passée dans l'Annexe, confronte également l'autrice au silence et à l'absence d'Anne Frank, qui en réveille forcément d'autres, dont ce vide laissé par Charles Chea, un jeune adolescent d'origine cambodgienne qu'elle a connu à Bucarest, également privé d'avenir… mais par les Khmers rouges.

« Quand tu écouteras cette chanson » est finalement l'histoire de deux écrivaines, qui se font écho le temps d'une nuit passée dans un musée.
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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« C'est elle. Une silhouette, à la fenêtre, surgie de l'ombre, une gamine. Elle se penche, la main posée sur la rambarde, attirée sans doute par un bruissement de rires […] Elle est vivante, elle trépigne, celle qu'on ne connaît que figée, sur des photos en noir et blanc. Elle a 12 ans. Il lui en reste quatre à vivre. […] Ce sont les uniques images animées d'Anne-Frank […] Sept secondes de vie, à peine une éclipse »
C'est sur une image fugitive de la jeune adolescente que débute cette magnifique introspection de Lola-Lafon une nuit d'août 2021 dans l'Annexe secrète où les membres de la famille Frank vécurent entassés deux ans durant, avant leur déportation au camp de Bergen-Belsen. A la lumière de ma liseuse, ses mots poignants empreints de pudeur et de sensibilité m'ont emportée d'emblée. Sa nuit dans l'annexe où Anne-Frank écrivit son célèbre journal, elle la doit aux éditions Stock et à leur sublime collection « ma nuit au musée ».
Le choix de ce lieu culte, lui, elle le doit à sa grand mère juive, qui lui a offert à ses dix ans une médaille dorée frappée du portrait d'Anne Franck en prononçant ces mots qui résonnent encore « N'oublie pas ».
Elle ne sait pas ce qui ressortira de cette immersion car « L'écriture est un chemin sans destination, L'écriture à la beauté inquiétante de ce qui ne mène nulle part ». Elle se défend pourtant d'écrire un roman sombre alors même que Anne « a été drôle, futile, adolescente en dépit du reste. Ce reste qu'elle n'a pas pu nous écrire ».
Son journal s'arrête brusquement un matin d'août 1944 lorsque des agents de la Gestapo envahissent l'annexe et mettent tout à sac, ses cahiers sont éparpillés sur le sol car ces sentinelles de la mort, ces pilleurs, n'y voient rien d'interessant. Ils seront rendus à Otto Frank, le père, seul survivant, des mois plus tard. Par un jeu de miroir l'autrice raconte l'héritage traumatique des descendants des déportés, la lourdeur de survivre à la place des disparus, son attachement pour les déracinés.
Figée devant la porte de la chambre d'Anne, incapable d'y pénétrer car trop de voix y font écho, c'est finalement le souvenir traumatisant d'un fantôme de son enfance qui l'aidera à pousser la porte…
L'aube commence à poindre. Il est temps de partir. Elle dépose le talkie-walkie qui la relie au gardien du musée, tourne le dos à la maison aux portraits en noirs et blanc et s'échappe dans le petit matin abandonnant l'annexe où résonne encore la voix des enfants disparus dans et de par L Histoire laissant le lecteur profondément ému.

Merci infiniment à #netgalley #NetGalleyFrance @netgalleyfrance pour cette lecture #quandtuecouterascettechanson
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Lola Lafon décide de vivre l'aventure pas banale de se laisser enfermer une nuit dans un musée.
Son choix va se révéler encore moins banal, car elle jette son dévolu sur un musée qui n'en est pas vraiment un, ici pas d'oeuvres à découvrir ni devant lesquelles s'émerveiller, rêver, adorer, détester (vivre finalement). Non, ce musée est celui dans lequel le visiteur est ému par l'absence, le vide, les pas qui résonnent, le sentiment d'oppression, d'étouffement, de pesanteur.
Ce musée, je l'ai visité il y a plusieurs années à Amsterdam, c'est l'Annexe dans laquelle Otto Frank a décidé de se cacher avec cinq autres personnes et ses deux filles, Margot et Anne. Un lieu très singulier, chargé d'une histoire mondialement connue, et dans lequel on ressent un grand malaise.
Bien sûr, l'histoire d'Anne Frank tout le monde la connait me direz-vous, alors quel intérêt a ce livre ?
Lola Lafon remet les pendules à l'heure sur bon nombre de sujets, en particulier la croyance selon laquelle Otto Frank a voulu censurer dans Le Journal les passages relatifs à la sexualité de sa fille. L'auteure a interviewé plusieurs personnes qui ont côtoyé Anne Frank de leur vivant et elle nous livre leurs témoignages émouvants, en particulier celui de Laureen Nussbaum.
J'ouvre ici une petite parenthèse, la professeure d'histoire-géographie de 3ème de ma fille a eu une démarche très intéressante, elle a demandé à ses élèves d'établir leur arbre généalogique en remontant à leurs arrière-grands-parents, en précisant leurs dates et lieux de naissance. Elle voulait par là leur faire toucher du doigt que l'histoire qu'ils vont étudier cette année, les deux guerres mondiales, ont directement impacté leur famille, des membres pas si éloignés, leurs arrière-grands-parents ou leurs grands-parents, qui les ont vécues dans leur chair, ont connu la guerre, ses bombardements, ses privations, les hommes tués, faits prisonniers, les camps de travail, de concentration... Et je me suis fait la réflexion que je ne m'étais jamais posé la question de comment l'Histoire avait pu irrémédiablement impacter la vie de mes amis juifs, et que c'était un sujet que je n'avais jamais abordé avec eux. Et pourtant, cette Histoire, elle est là, tellement proche, même si peu à peu tous ses témoins directs sont en train de s'éteindre.
Ce récit m'en a rappelé un autre, celui d'Anne Berest avec sa magnifique Carte Postale. Ces deux autrices, sensiblement du même âge, s'interrogent sur leur judéité. Qu'est-ce que cela signifie pour elles d'être juives à notre époque, comment l'histoire de leur propre famille résonne en elles ? Quels stigmates en portent-elles ? Cela a-t-il influencé les femmes qu'elles sont devenues, la façon dont elles se sont construites ?
Dans leurs deux récits très pudiques, j'ai retrouvé, pour ces deux femmes, la difficulté de parler de la Shoah en famille, la douleur est encore trop pesante, les fantômes trop proches pour s'exprimer librement. Lola Lafon s'interroge très justement sur une question essentielle, comment parler de ce passé aux adolescents actuels, aux générations futures, que dire et comment ?
J'ai été très touchée par la sensibilité et la délicatesse de Lola Lafon, qui, tout en arpentant les pièces de l'Annexe, mêle avec beaucoup de naturel et de précision ses pensées concernant Anne Frank, les informations passionnantes sur leur vie quotidienne de reclus qu'elle a collectées et des pans de sa propre vie. Tout cela est d'une étonnante fluidité, et on passe d'un sujet à l'autre avec facilité, des temps d'intense émotion succèdent à des temps plus calmes, dans un rythme subtilement dosé. En refermant ce livre, j'ai eu l'impression d'une conversation avec une amie qui se serait livrée avec une profonde sincérité, m'aurait fait part de ses réflexions les plus intimes sur ce qui la définit, l'anime, la révolte, l'obsède.
Un superbe hommage très émouvant à Anne Frank rendu tout en finesse par Lola Lafon, ainsi qu'à ses propres aïeux.
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Une nuit au musée avec Lola Lafon, un musée qui fut le dernier lieu de vie de la famille Frank à Amsterdam et où Anne écrivit son journal. le titre de ce témoignage émouvant peut paraître étrange, le mystère qu'il porte sera dévoilé à la fin du livre puisque Lola Lafon évoquera un autre génocide tragique, survenu près de quarante années après la Shoah.

Lola Lafon avance à petits pas dans l'Annexe où les Frank furent cachés, puis malheureusement arrêtés, déportés, le père Otto étant le seul survivant. Elle transmet à ses lecteurs son émotion dans ces lieux silencieux, elle s'interroge sur les sentiments éprouvés par Anne, sur son attente de l'inéluctable, malgré l'espoir qui l'animait, elle partage sa jeune vie brisée, elle-même atteinte par la Shoah dans sa famille maternelle.

Sa nuit au musée n'est pas celle de la désespérance, ni de la pitié facile, mais plutôt celle d'une entrée sur la pointe des pieds dans un univers où une étoile portait le signe d'une ignoble ségrégation débouchant sur les wagons plombés en direction des camps de la mort.

Lola Lafon partage les informations qu'elle a recueillies sur le journal, sa transformation quelque peu dénaturée en pièce de théâtre, puis la réalisation d'un film gommant trop de vécus d'Anne pour refléter une réalité indicible.

Anne était pourtant parvenue à exprimer cette réalité en travaillant d'arrache-pied sur un journal qu'elle a réécrit plusieurs fois pour obtenir un résultat dont elle espérait une publication que la pauvre ne verra pas.

Il y avait aussi certainement le journal de sa soeur aînée, Margot, disparu avec elle et Lola Lafon ne peut qu'établir la relation avec tous les souvenirs détruits et perdus de sa propre famille.

Pour ma part, je garde le souvenir immuable d'une présence bien plus brève dans la maison d'Anne Frank, j'entends le silence de la foule autour de moi, je vois les feuilles du marronnier mais c'est trop peu de temps pour entrer comme Lola dans le mystère pathétique des journées d'Anne dans l'Annexe.

Elle évoque aussi Simon Wiesenthal, "chasseur de nazis", à la recherche de l'officier qui arrêta la famille Frank, nommé Silberbauer pour lequel la justice autrichienne jugea qu'il n'avait fait son travail en arrêtant les Frank et en les envoyant vers les camps. La France, elle-même, en laquelle de nombreux juifs avaient espéré une sécurité, participa on le sait à la déportation, la plus grande honte de la mémoire de notre pays.

Cette nuit au musée a certainement été une épreuve pour Lola Lafon, elle lui a remémoré le souvenir d'un jeune homme connu bien plus tard, victime d'un autre génocide sur lequel elle conclut son propos en évoquant cette chanson qu'elle ne peut parvenir à écouter.
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Je n'avais aucune envie de lire ce livre de Lola Lafon ! En premier lieu, tous ces romans sur la Shoah éveillent en moi une suspicion, je ne parle pas des livres d'histoires, ni des témoignages, ni des documents, ni des récits-enquêtes, mais plutôt de ces écrits romanesques sur la Shoah ! Il me faut néanmoins reconnaître une qualité à ces récits, ils enseignent, ils relèvent d'un défi majeur, celui de la lutte contre l'oubli bien qu'ils soient en dessous de la réalité mais les mots peuvent-ils être à la hauteur de la réalité ? En deuxième point, j'avais déjà lu de Lola Lafon « Mercy, Mary, Patty ». L'auteure s'emparait d'un fait divers des années 70 : l'enlèvement de Patricia Hearst, petite-fille du magnat de la presse, William Randolph Hearst, récit qui ne m'avait absolument pas convaincue. C'est en lisant le retour de Dominique @larmordbm et sur ses encouragements que je me suis lancée dans cette lecture habitée.

Je me suis enfoncée dans la nuit de l'Annexe avec Lola avec autant d'appréhension qu'elle. J'ignorais sa judéité comme j'ignorais que sa mère fut une enfant cachée, nous avons donc pu fonctionner en miroir. Lola Lafon est originaire de la Roumanie de Ceausescu. Elle porte en elle une révolte, un désir de vivre sans aucune limitation, qui se traduit par ses aspirations libertaires : ce qui se conçoit aisément au regard de l'histoire familiale.

Je me posais la question « qu'allait-elle chercher dans cette annexe sacralisée ? ». Dans cette intimité littéraire, encouragée par son projet de passer la nuit du 18 août 2021 dans l'Annexe, j'y ai retrouvé les perpétuelles questions existentielles qui peuvent tarauder les descendants des rescapés du génocide. Lorsque Ronald Léopold, directeur du musée, lui demande ce que représente la jeune fille pour elle, elle adopte un ton détaché qui masque son obsession irraisonnée pour la jeune fille. A la vérité, elle ne comprend même pas son désir ; pas plus que je ne saurais expliquer cette attirance, ce besoin impérieux qui me pousse à lire régulièrement des livres d'histoire, des témoignages qui ont trait à la Shoah. Ce sont les mêmes symptômes qui trouvent leur origine dans les mêmes ténèbres, c'est une relation angoissée qui relie le passé au présent.

Lola ouvre son coeur et se confie, elle parle d'Anne Frank, d'Otto Frank, elle n'oublie pas Margot - Margot qui est la première à recevoir la funeste convocation puisqu'elle vient d'avoir seize ans. Je découvre chez l'auteure une intense sensibilité, une grande profondeur de réflexion, un réel talent d'auteure, elle pèse ses mots, ils sont justes, émeuvent, chaque page tournée suscite un recueillement, une méditation approfondie sur la nature et le sens de ce qu'il y a de plus intime dans la vie de chacun d'entre nous. Et je capte chez Lola, une personne authentique, altruiste. Ses questions portent sur l'identité juive, est-elle façonnée par l'Histoire ou ontologique, déterminée par les relations aux autres ou les relations aux parents, aux enfants ? Dans cette traversée de la nuit, hantée, connectée à la Shoah, c'est un véritable dialogue qui s'installe entre La famille Frank, l'auteure et la lectrice que je suis.

Elle écrit des mots sur l'absence qui peuvent résonner en chacun de nous : « Tout ici se veut plus vrai que vrai, or tout est faux sauf l'absence, Elle accable, c'est un bourdonnement obsédant, strident. »

Elle sollicite notre sensibilité, notre réflexion sur le mot « essentiel » en donnant du sens à un petit objet familier qui prend symboliquement toute son importance :

« Je m'approche du papier peint encadré et au coeur même du vide, je ne vois que quelques chiffres et de fines lignes, bien droites. Au coeur même du vide, un père inscrit, tous les mois, au crayon à papier, des preuves de vie. Otto Frank note qu'ici, en deux ans, Margot a pris un centimètre et Anne, treize. »

Lola écrit sur Ida, sa grand-mère, de très jolies lignes. Ida qui n'a pas eu le temps d'apprendre à lire et à écrire en français mais qui ne répondait plus au téléphone dès qu'il y avait Apostrophes à la télévision, Ida qui lui a offert une médaille dorée frappée du portrait d'Anne Frank en lui intimant « N'oublie pas ».

Avant d'être une icône, Anne Frank fut surtout une adolescente irrévérencieuse, rebelle, ne supportant pas d'avoir tort et qui voulait être absolument journaliste ou écrivaine et qui espérait être un jour éditée. C'est avec colère que j'ai appris la trahison des éditeurs, des metteurs en scène de cinéma comme du théâtre, chacun retouchant les écrits d'Anne Frank selon « le politiquement correct du pays ou le désir d'avoir la main sur le destin d'une jeune fille », c'est une part de son histoire qui lui a été confisquée. C'est odieux !

Lola Lafon a écrit un récit contre l'oubli, elle y a mis tout ce qu'elle voulait oublier, ignorer, comme sa judéité, la Shoah. Ce livre, elle le portait en elle depuis longtemps, parvenu à maturité, le résultat est puissant. Je le rapprocherais d'une pierre tombale, « une matzevah » d'autant plus qu'au moment où Lola trouve le courage de pénétrer dans la chambre d'Anne Frank, elle n'est pas seule, elle est accompagnée du souvenir d'un ami d'enfance, un jeune homme rencontré à Bucarest dont l'ombre vient renforcer la symbolique.

Après une telle expérience, une telle réconciliation avec elle-même, Lola se doit de reconstruire son identité en prenant en compte son histoire, une histoire qui se veut parsemée de silences, de paragraphes absents mais qui est son héritage comme l'étoile que nos mères ont portée. Lola Lafon nous offre avec ce livre une très belle introspection à l'écriture maîtrisée que je suis ravie d'avoir lu.

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Quand on écoute sa chanson,
avant que vaincue par la haine des hommes,
Anne Frank nous dit son désir de devenir écrivain ou journaliste.
Pas d'être un témoin singulier
qu'on adore, encense ou même dénigre,
mais un écrivain comme Lola Lafon,
juive comme elle,
qui une nuit entière dans l'Annexe, sa dernière demeure,
a tenté de percer le secret.
Celui d'Anne Frank, celui de Lola Lafon.
« Quoi que vous fassiez, que vous le fassiez seule ou non, à quelque moment que vous le fassiez, de quelque façon que vous le fassiez, pour quelque raison que vous le fassiez, quelque mystérieux que soit le but dans lequel vous le fassiez, n'oubliez jamais que sur l'autre plateau de la balance il y a toujours le néant, la mort, l'oubli. Que c'est vous contre l'oubli.  » Joyce Carol Oates
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Ce sont les jolis retours de mes babelpotes qui m'ont incitée à ouvrir à mon tour "Quand tu écouteras cette chanson" de Lola Lafon. Un livre qui tombe plutôt à pic puisque j'ai relu dernièrement le "Journal" d'Anne Frank, encore frais dans ma tête.

Lola Lafon revient sur la nuit qu'elle a passé à l'Annexe, lieu dans lequel huit personnes juives s'y sont cachées pendant la Seconde Guerre mondiale, dont Anne Frank et sa famille. Lieu dans lequel, pendant vingt-cinq mois, Anne Frank a écrit et entretenu son Journal, qui lui a survécu...

Lola Lafon nous raconte l'Annexe, devenu aujourd'hui un musée. Ce lieu laissé tel quel après le pillage des Nazis, à la demande d'Otto Frank, seul survivant du groupe. Ce lieu presque vide, froid, peuplé d'absences omniprésentes, de cartes postales, de quelques photographies.

Pourquoi Lola Lafon a-t-elle choisi de passer une nuit dans ce musée précisément ? Elle qui a en partie rejeté son héritage familial, celui d'un passé douloureux pour ses ascendants, qui ont dû eux-mêmes se cacher des Nazis et des Collabos. Qui était fière de sa blondeur, fière de ne pas paraître juive. Qui a ignoré tous les films et livres évoquant cette période de l'Histoire pendant longtemps. Je vous laisse le découvrir par vous-même, vous comprendrez par la même occasion le choix du titre de cet ouvrage, "Quand tu écouteras cette chanson", qui prend tout son sens et qui m'a totalement retournée.

Là encore, il m'est difficile d'admettre qu'un tel livre m'a plu, puisque c'est le souvenir d'un drame qui est évoqué, de plusieurs même...

Et pourtant, j'ai été touchée...

Touchée par la belle plume tout en simplicité, douceur et sensibilité de l'autrice.

Touchée par la reconstitution des événements pendant et après ces difficiles mois d'enfermement et d'isolement de la famille Frank. Touchée que Margot, la soeur aînée d'Anne, ne soit pas mise sur la touche, d'habitude transparente (que serait-il advenu si le journal qu'elle tenait également avait été retrouvé lui aussi ?).

Touchée par la propre histoire familiale de l'autrice. Par cette rencontre éphémère qui aura marquée à jamais la petite fille roumaine qu'elle était et la femme qu'elle est devenue. Par ses appréhensions, ses doutes, ses peurs. Par tous ses ressentis, qu'elle évoque pourtant avec pudeur.

Les dernières pages sont bouleversantes.
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Les confidences recueillies dans les différents écrits relatifs à cette collection Nuit au musée ont une teneur variable et on peut le comprendre en raison de l'artifice censé ouvrir les portes de la création littéraire par le biais d'une réclusion quelques heures nocturnes au sein d'un musée.

Cet opus a une tonalité particulière car le choix de Lola Lafon n'est pas anodin. Il la renvoie à l'histoire de sa propre famille et au coeur de souvenirs qui sont autant de plaies mal guéries.


Qui ne connaît pas Anne Frank ? Lecture quasi incontournable, par choix ou par obligation scolaire, la jeune fille prisonnière d'un étroit logement de fortune à la fin de la seconde guerre mondiale a suscité de nombreuses vocations de diaristes en herbe. Mais au-delà de cette publication très médiatisée, au point d'être revue et corrigée dans un souci de séduire le plus grand nombre, elle a été traduite, trahie et redessinée dans un souci de conformité ….

Pour Lola Lafon, qui redécouvre elle aussi à l'occasion de cette expérience l'historique de ce succès éditorial, la nuit est aussi une plongée en enfer, celles de la mémoire douloureuse de son histoire, celle de l'identité vis à vis de cette appartenance qui n'a plus rien de religieux, celle de la honte passée et des souffrances vécues. Anne Frank est encore plus pour elle la grande soeur que toutes les jeunes lectrices ont un jour rêver d'avoir. Parce qu'elle partage avec elle le poids d'un passé à refouler.


Cette nuit au musée est très émouvante, par ce qu'elle révèle de l'histoire du célèbre journal et par ce que suscite pour l'écrivaine cette expérience sans doute nécessaire.


180 pages Stock 17 Août 2022

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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J'ai vu passer plusieurs des livres de cette collection « Ma nuit au musée » sans être tentée plus que cela. J'avais lu un livre de Lola Lafon sans être vraiment séduite (La petite communiste qui ne souriait jamais). Alors pourquoi avoir ouvert celui-ci ? Bien sûr, j'ai lu « le journal d'Anne Franck » dans ma jeunesse, mais je ne m'en souviens pas plus que cela. La réponse c'est Babelio : j'y ai lu tant de belles critiques, qui toutes parlaient d'émotion, que je n'ai pas résisté.

J'en sors bouleversée. Bouleversée par les mots de Lola Lafon, par l'immense humilité de cette femme, par son cheminement au cours de cette nuit, par ce récit qui plonge au coeur de ce qu'elle est, une enfant de survivants, d'exilés :
« Ce sont des parents follement inquiets à l'idée de ne pas parvenir à protéger leurs enfants. Ce sont des parents qui les somment de ne pas se faire remarquer, qui leur inculquent l'art de disparaître, de se fondre dans le paysage.
Ce sont des grands-parents follement fiers de la plus minuscule réussite de leurs petits-enfants, de tout ce qui confirmera l'appartenance au pays d'accueil. Des grands-parents qui, lorsqu'on leur récite une banale poésie française en sixième, ont les larmes aux yeux »

Elle se livre sans détour, laissant les souvenirs remonter dans cet environnement vide, mais si plein de l'histoire avec un petit et un grand H . Elle m'a profondément touchée par les mots avec lesquels elle évoque ces hommes et ces femmes emplis de « plus jamais », parce que privés d'une partie de leurs racines. Elle m'a aussi profondément émue par le respect qu'elle porte à l'autrice Anne Franck. Elle sortira à coup sûr changée, par rapport à celle qu'elle était la veille, peut-être plus « rassemblée »,
Et que dire de ces derniers chapitres qui éclairent ce titre un peu intrigant.

Il y a eu beaucoup de critiques, dont celles de Marie-Laure, Yvan, Bichette, Afleurdelivres, Fanny, Michel et tant d'autres, à qui je dois cette lecture, qui parlent si bien de ce livre.
Que rajouter, sinon Lisez-le

Merci à NetGalley et aux éditions Stock pour cet envoi #Quandtuécouterascettechanson #NetGalleyFrance
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