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Critique de daniel_dz


Un essai sociologique passionnant par les questions de nature fondamentale qu'il pose sur les jugements prononcés dans les tribunaux. Certes, on reste sur sa faim car les questions restent sans réponse. Mais cela ne diminue pas l'intérêt. Je vous recommande donc la lecture de ce livre, que je vais vous inviter à prolonger par la lecture de deux autres textes, à propos du livre.

Geoffroy de Lagasnerie est né en 1981. Il est professeur de philosophie et de sociologie à l'École nationale supérieure d'arts de Cergy-Pontoise. Il dirige la collection « à venir » aux éditions Fayard, collection dans laquelle il publié quelques ouvrages, dont celui-ci.

L'essai est structuré en quatre parties principales (et une annexe dont je ne parlerai pas). Dans la première, l'auteur met en avant la violence qui est inhérente à un jugement: « L'enjeu n'est pas de savoir ce que le juge dit, mais ce qu'il fait ; et ce qu'il fait, objectivement, c'est blesser. Juger, c'est infliger une violence. Toute interprétation juridique inflige une souffrance aux individus auxquels elle s'applique, que ce soit en les emprisonnant, en leur retirant leurs biens ou en les tuant. » Ensuite, il dresse ensuite le portrait du justiciable comme étant une personne littéralement mise entre les mains de la Justice: « Contrairement à ce que met en avant une bonne partie de la théorie politique, être un sujet de droit, ce n'est pas, d'abord, être un sujet protégé, sécurisé. C'est avant tout être un sujet jugeable. C'est être emprisonnante, arrêtante, condamnable. » La troisième partie est consacrée au système du jugement, avec une réflexion particulière sur la notion de responsabilité (pourquoi se focaliser trop souvent sur une responsabilité individuelle, et sans tenir compte d'un contexte sociologique). Et enfin, la quatrième partie porte sur le système de la répression. L'auteur y oppose la justice civile (la réparation des dommages) et la justice pénale (les peines). J'y ai été frappé par cet exemple: un terroriste dépose une bombe dans un lieu public mais le dispositif s'enraye et la bombe ne provoque aucun dommage; il est néanmoins condamné à une lourde peine, non pas pour les dommages qu'il aurait causés, il n'y en a pas eu, mais pour les dommages qu'il aurait pu causer.

Je vous laisse découvrir d'autres morceaux choisis dans les citations que j'ai publiées.

« Les questions qu'il faut poser sont : quelles sont les différentes manières possibles de penser la responsabilité ? Quelles sont les différentes conceptions du crime ? Quelles autres manières de juger ou d'envisager le jugement, le sens de la peine, peut-on concevoir ? Si juger suppose des notions de« responsabilité », de« causalité », de « crime », de « victime », de « dommages », etc., quelles significations peut-on donner à ces concepts et quelles significations, de fait, revêtent-ils ? Selon quels principes est-on constitué comme jugeable et est-on jugé ? Bref, quels sont les fondements objectifs des opérations de jugement? Quels effets de pouvoir ces dispositifs exercent-ils ? » Voilà les questions que l'auteur porte à notre réflexion, mais sans y apporter lui-même de réponse. le livre est destiné au grand public, le langue est fluide et le texte est clair, mais il s'agit d'un essai, qui se lit moins vite qu'un texte d'Amélie Nothomb.

Tout cela m'intéresse, depuis longtemps, mais en dilettante, dirais-je. Car ces questions sont complexes. Il est difficile d'y apporter des réponses constituant un système cohérent. Telle décision que l'on pourrait prendre pour améliorer un aspect a tôt fait de paraître inacceptable sous d'autres aspects. J'essaie donc de trouver des penseurs qui ont pris le temps d'y travailler et qui proposent des synthèses intéressantes. Mais alors se pose la question d'estimer la valeur de tels travaux. Je me la suis en particulier posée pour cet essai et pour son auteur. La lecture m'a fait passer quelques bonnes heures dans le train, les questions sont interpellantes, mais sont-elles originales ? sont-elles porteuses ? sont-elles le fruit de la réflexion d'un réel expert qui a une connaissance suffisante des travaux de ses pairs ?

Le livre a connu un beau succès de librairie; l'auteur est médiatique. Mais celui qui critique l'État suscite toujours une sorte de sympathie démagogique… J'ai donc lu la vingtaine de pages de critique publiée par Vincent-Arnaud Chappe, Jérôme Lamy et Arnaud Saint-Martin sous le titre « Le tribunal des flagrants délires ‘sociologiques' » (voir https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/1647/files/2016/01/VAC-JL-ASM-Le-tribunal-des-flagrants-délires-«-sociologiques-»-30-janvier-2016-CZ.pdf). Ces chercheurs du CNRS dénigrent le travail de Geoffroy de Lagasnerie sans prendre de gants ! Ils le trouvent superficiel, pas suffisamment fondé… Et moi, le candide, qui dois-je croire ? Je ne porterai pas de jugement sur le fond de cette critique, mais la forme ne m'a pas plu du tout. Ça sent la frustration, la jalousie de ne pas être médiatisé. Ils auraient pu saluer le mérite de Geoffroy de Lagasnerie d'avoir fait connaître ses questions au grand public, et puis, à la jésuite, peut-être, suggérer des améliorations, noter quelques erreurs. Pourquoi ne publient-ils pas eux-mêmes un livre analogue, dans le fond ? Intéressant débat…

Mais ce n'est pas fini ! Parce qu'après ça, j'ai trouvé une critique de la critique: « Guide de survie existentielle en milieu académique : de la police du ressentiment. le cas Jérôme Lamy et Zilsel », sous la plume de Philippe Corcuff (voir https://blogs.mediapart.fr/philippe-corcuff/blog/180417/guide-de-survie-existentielle-en-milieu-academique-de-la-police-du-ressentiment). Philippe Corcuff dénonce l'attitude des trois chercheurs, dont il a été lui-même victime. Il cite entre autres la thèse de Laurence Viry sur « le monde vécu des universitaires », dans laquelle elle décrit le besoin obsédant de reconnaissance des universitaires (pas tous, heureusement), le climat de compétition, la jalousie envers les pairs…

Bref, je me suis régalé à tirer les fils de cet écheveau, qui m'a donné une petite vue du monde académique que j'ai trouvée plus prenante à lire que les caricatures de David Lodge.

Je vous recommande la même expérience ! Moi, je vais me mettre à la recherche d'autres livres. Et relire Foucault. Et s'il se trouvait un volontaire pour parler de Nietzsche lors d'une prochaine réunion de notre Navire bruxellois, je suis preneur !
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