Le nouveau livre de Geoffroy de Lagasnerie,
PENSER DANS UN MONDE MAUVAIS, pose avec clarté et passion une question urgente de la pensée critique et innovante dans le monde contemporain: comment pouvons-nous devenir et rester producteurs de pensée, dans un monde "mauvais", c'est-à-dire dans un monde qui s'adonne à la reproduction de la violence, de la pauvreté, et de la domination physique et symbolique?
Plus simplement, on peut se poser la question: comment se construire après son éducation? Une des lectures possibles de cette question serait: comment continuer à construire sa pensée après la mort de ses éducateurs? Cette question s'avère particulièrement pressante pour quiconque a construit sa pensée dans le sillon des grands philosophes de la deuxième moitié du 20ième siècle:
Deleuze,
Lyotard, Foucault,
Derrida, et Bourdieu. Ces ainés sont partis, et il ne reste pas grand-chose à leur place.
Vingt ans plus tard le monde a changé, et nous avons changé. La question devient: comment penser dans le monde actuel, un monde "mauvais" qui ne favorise pas la pensée?
C'est la question que se pose le sociologue-philosophe
Geoffroy de Lagasnerie dans son nouveau livre
PENSER DANS UN MONDE MAUVAIS, où il propose sa propre mise en perspective de cette question et des éléments de réponse. Cette question est au centre de toute son oeuvre publiée, depuis son premier livre, paru en 2007, "L'EMPIRE DE L'UNIVERSITÉ Sur Bourdieu, les intellectuels et le journalisme", jusqu'aujourd'hui.
La question qu'on peut se poser: comment continuer à se construire après la fin de son éducation?, devient dans ce livre: comment vivre et penser après la mort de ses éducateurs?, et ensuite comment traiter ses éducateurs comme des co-producteurs et non pas comme des maîtres? Comment avoir un rapport productif à son éducation et non pas un rapport reproductif?
Geoffroy de Lagasnerie ne nous enseigne pas à faire le deuil de nos éducateurs d'antan ni à les imiter, mais nous encourage à prolonger leur démarche de critique et d'innovation conceptuelle dans un monde qu'ils n'ont pas anticipé dans tous ces détails. On ne peut qu'applaudir ce sentiment et ces analyses.
Cependant, il est surprenant de voir ces penseurs de l'affirmation vitale et pensante discuté dans un ton aussi nostalgique. Les penseurs qui ont mise en oeuvre la même logique de création que la génération de référence du livre ne sont pas pris en compte.
Alain Badiou,
Bruno Latour,
Bernard Stiegler,
François Laruelle ne sont pas mentionnés.
Le livre en tant qu'il accentue l'opposition plutôt que la création me semble marquer un moment de transition. Certes la nostalgie présente dans la problématique ("construire des champs oppositionnels" pour résister au "monde mauvais") n'est pas totalement réactif, ni un appel au deuil. Cette nostalgie sans deuil peut mener non seulement à des actes de résistance au monde "mauvais" mais aussi à de vraies actes de création dans un monde qui, selon
Deleuze, contient l'intolérable et abonde en devenirs. Penser ce n'est pas seulement s'opposer au monde mauvais mais aussi composer ensemble un monde meilleur.