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EAN : 9782070385744
216 pages
Gallimard (23/10/1992)
3.81/5   45 notes
Résumé :
""Longtemps, je me suis couché de bonne heure", "la Petite Madeleine", le cabinet sentant l'iris, la lanterne magique, le grelot ferrugineux, le baiser du soir, les aubépines, les clochers de Martinville, les sources de la Vivonne, la petite phrase de la sonate de Vinteuil, "une femme qui n'était pas mon genre", les parties de barres aux Champs-Élysées : autant de "morceaux choisis", autant d'épisodes, autant de mots autour desquels s'est précipitée la réflexion sur... >Voir plus
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On ne saurait, je crois, beaucoup mieux qualifier l'écriture de Proust que comme le style pathologique de la digression – et, si j'osais et ne craignais pas qu'on me prît pur une personne drolatique, j'ajouterais : style passablement encombray. On peut adjoindre à cette appellation, du point de vue de l'intrigue si le terme n'est pas trop connoté, le thème du parasitisme (loin de moi l'idée d'abonder une représentation antisémite : l'origine d'un auteur n'a pour moi nul intérêt dans l'analyse d'une oeuvre, je n'use du mot qu'à dessein d'approcher le sens particulier d'une existence sociale), tant il appert que ce style même procède d'une conception oisive de la vie, vie passée à flâner en se divertissant jusqu'à l'exacerbation de problèmes mineurs, et en occupant de sujets dérisoires des relations qui seraient détournées des questions d'importance si elles étaient sensibles aux suggestions. L'entourage curieux et régenteur d'un homme prend facilement une domination sur lui s'il ne parvient pas, par quelque force intérieure et centripète que doit lui recommander son intégrité, à se blaser d'interventions et de conseils qui n'aspirent qu'à le conformer à des intentions étrangères. Or, toute la famille de Proust, du moins celle de son narrateur…
– Il faut d'emblée lever le malentendu : où donc l'auteur, peinant déjà si singulièrement à réaliser une intrigue, eût-il trouvé la ressource mentale pour inventer rien qu'en majorité cet univers de souvenirs ? Plus encore, s'il ne s'agissait pas du souvenir personnel, si tout de À la recherche du temps perdu n'était que le récit imaginaire d'un personnage qui se rappelle tant de détails et si peu d'actes, en infimes variétés descriptives, inactuelles et anodines, et tiré de l'imagination de l'écrivain désoeuvré au point qu'il n'eût pas trouvé les péripéties par lesquelles remplir une intrigue, alors peut-on seulement concevoir quelle vertu présenterait cette oeuvre à peu près incapable de faire fiction ? Et d'où, par ailleurs, ce roman tiendrait-il l'essentiel de sa teneur, qu'on peut résumer en sensations, hormis de l'écrivain-même ? Quoi ? Il eût oeuvré par extrapolation à partir d'un être imaginaire ? Alors pourquoi, s'il en avait été capable, n'eût-il pas imaginé aussi des actions, une intrigue, des péripéties ? Et puis allons ! ce n'est ni logique ni vraisemblable : on n'écrit pas un livre entier avec pour principe de se départir entièrement de soi-même ! –
… cette famille, écrivais-je, attentive aux symboles, processive, exclusive et intrusive, vit constamment en une mentalité ancien-régime d'apparat et d'exiguïté morale, et le narrateur est le fruit d'un pareil esprit de conventions solliciteuses et d'insidieuses incitations auxquelles il n'a, semble-t-il, su résister que sur des points secondaires, et encore : il ne se rend pas compte, dès son plus jeune âge, combien il constitue une gêne anormale pour le reste de son monde, tant il fut – sa famille aussi – placé sur un piédestal immérité au sein de son environnement, et que seule une distinction de statut pouvait justifier.
Pour l'exprimer compendieusement, je trouve que Proust, issu assez évidemment d'un foyer d'importuns – ce qu'il ne nierait pas lui-même et confirme indirectement dans nombre d'extraits (mais je crois que c'est involontairement, parce qu'il ne cesse en quelque sorte malgré lui de révéler ces défauts comme s'il ne s'en rendait pas bien compte ; ce n'est jamais tant cette dénonciation explicite que maints critiques ont prétendue) –, est imprégné du goût, transmis par une vie de mondanités et d'indiscrétions, de pérorer à l'attention d'autrui sur des infimités. Il est resté, dans sa docilité de petit garçon exemplaire et sans crise, reconnaissant et perméable à l'influence de son milieu, au point qu'on peut dire que son oeuvre constitue un hommage à une existence de parasite dont les usages l'ont habitué à ne faire que quêter, dans la torpeur d'un quotidien étal et morne, des divertissements réglés et peu créatifs, des changements minuscules, de ridicules prétextes à exaltations, souvent au détriment des âmes fortes d'acteurs véritables qu'il dénigre ou dédaigne presque automatiquement, qu'il n'envisage du moins que comme des exceptions. Voilà pourquoi en dernier lieu, après la digression et le parasitisme, je parlerais de féminité chez Proust, du moins de son effémination, c'est-à-dire de ce qui, dans ce texte, renvoie à la conception dévirilisée d'un être qui s'occupe entièrement à des décorations et à des poses, qui rattache l'importance du monde à la mondanité, et pour qui rien n'émane tant de soi, d'une pulsion ou d'une vitalité, que de ce qu'il est convenable et permis de concevoir, au point que ce roman peut se lire comme un recueil de bienséances ou seulement de petites objections à la bienséance et chargées de rétablir la bienséance : les personnages ne sont jamais critiqués avec vigueur, avec audace, avec truculence et culot, même si des lecteurs verront par contraste, dans des nuances falotes, des condamnations sans ambages, et chaque image employée est un respect inconditionnel pour tout l'environnement typique de la littérature « noble », au point qu'il est difficile, impossible peut-être, de découvrir dans tout le récit un seul propos ou un thème dont l'abord soit d'une certaine innovation, fût-ce une innovation partielle, au-delà d'infinitésimales variations de ce qui s'est déjà écrit sur chacun de ces sujets – c'est ainsi la garantie toujours de rester bienséant, de n'emprunter aucune insolence, de ne prendre jamais aucun risque. Tout le témoignage de Proust sur l'existence est à en somme peu près celui qu'on porte sur un salon de personnes bien mises et respectables, et dressé avec la mentalité d'un hôte qui se soucie surtout du rapport que fera, le lendemain, telle gazette locale dans ses articles sur le beau monde.
Si j'exagérais, je sous-titrerais À la recherche du temps perdu : « Comment accaparer son milieu en faisant l'élégant ». Jean Lorrain écrivit quelque chose de semblable à l'endroit de Proust s'agissant de son premier livre, une publication pour femmes et à compte d'auteur où il exprimait combien tout ceci était inane et ridiculement pompeux : Proust en fut contrarié au point de lui envoyer sa carte, mais il ne le fit, selon toute vraisemblance, que parce que le geste, en vertu d'un certain code, lui paraissait nécessaire et requis, attendu qu'il sentit qu'une femme de sa connaissance était visée et insultée avec lui ; la galanterie, c'est-à-dire décidément un usage appris, ne lui permettait pas moralement de ne pas se porter chevalier. Je suppose qu'en outre c'est parce que la critique le perça à jour que, duel mis à part, Proust en fut profondément vexé, que ce dut être un bouleversement et une révolution en lui, ce petit homme puérilement romantique : quelquefois, une critique suffit à lever les malentendus profitables à une existence ou à une carrière, découvrant sous le vernis stylé une turpitude qu'on ne s'imaginait pas, qu'on ne se serait pas attribuée auparavant et qui vous atteint avec justesse, et l'on ne se regarde plus soi-même sans ce complexe, c'est pourquoi il faut le laver aux yeux d'autrui puisqu'on se sent incapable de voir avec d'autres yeux que les siens ni de se changer pour se redorer, pour devenir meilleur. Quelqu'un met impudemment le doigt sur qui vous êtes et que peut-être vous vous ignoriez, cruellement il vous désigne au monde, il vous publie plus franchement que vos livres, il vous expose en pleine lumière crue : alors ce n'est pas votre oeuvre qui en sort définitivement défigurée – il est toujours possible de la défendre –, mais bel et bien le masque de votre oeuvre, et c'est d'autant plus intolérable que votre oeuvre ne saurait exister sans ce masque, et que vous ne connaissez pour votre oeuvre que la modalité du masque.

***

J'ignore si la critique littéraire (déjà trop de critiques universitaires ont illégitimement ennobli Proust : il n'y a pas une gloire française déjà établie qui ne soit chaque années ennoblie davantage par les universitariens qui ne savent que confirmer des succès : il n'a a d'audace de critique qu'à désigner avec justice des grandeurs inédites) s'est déjà penchée sur la question de la psychologie nécessaire à écrire un du côté de chez Swan ; j'en doute, à vrai dire, car il y faut des compétences philologiques qui relèvent d'autres domaines que de produire des effets et des réflexions sur le mode de l'éloge, et, notamment, on devrait pour cela développer la volonté et la faculté d'analyser un texte du point de vue de l'état intérieur et mental de l'écrivain, c'est-à-dire entrer dans la genèse d'un esprit plutôt que dans celle d'une oeuvre à travers le texte même plutôt que des pièces de contexte, ce qui n'est guère d'usage, ce qu'on n'estime pas une science, ce qui est même tout à fait intempestif comme méthode – c'est pourquoi il n'y a plus de critique littéraire et philologique, plus de critique qui soit fondée et étayée avec la connaissance pratique et profonde de l'acte d'écrire. Cette recherche est rare, très exceptionnelle même pour des récits célèbres et commentés avec abondance, parce que le critique n'admet plus, après la postérité et le triomphe, que le respect d'office (qui serait l'exact contraire du fameux « mépris d'avance » que promeut le Solal d'Albert Cohen dans Belle du Seigneur), et tout lecteur contemporain est foncièrement imprégné de l'envie grégaire de concorde avec l'héritage des siècles, qu'il veut son legs, son patrimoine, qu'il se sent désireux de reconnaître comme sacré : tout est ainsi plus stable, il existe alors une patrie, des valeurs attachées au proverbe, une vox populi de noblesse belle et indiscutée, on a une confiance en l'univers et on la lui rend par une agréable gratitude – ô homme heureux d'échanger des services ! – Il y aurait là une analyse non moins pertinente à dresser autour de ce roman pour en comprendre la bonne réception contemporaine : la peinture de la mentalité du lecteur d'aujourd'hui qui s'y plonge en amateur conquis d'emblée. D'ailleurs, il faut s'y livrer avant celle de l'auteur, avant le plus difficile ; pourquoi y sursoirais-je ? Voilà :
Du côté de chez Swann est presque indéniablement un récit qu'un lecteur prétendument « bienveillant » lit sous le registre de l'hypnose. Pour apprécier cette oeuvre, il a surtout besoin de ne rien vouloir tirer de ce qu'il lit, car on ne saurait faire de ce livre un travail d'édification ; je veux dire que la condition pour aimer Proust, c'est surtout de ne pas se faire une conception pratique du livre et de la lecture comme un temps utile, comme net profit, comme complément d'être quantifiable et qui dresse un bilan : il faut résolument ne pas savoir pourquoi on lit pour se complaire à Proust, ou, plus exactement, il est nécessaire de lire généralement sans ambition que de s'abandonner à un temps perdu – il faut admettre la littérature comme désoeuvrement. Et notez qu'en écrivant ceci je ne blâme pas encore, car d'aucuns jugeront que lire sans attente, que lire sans désir que lire, que lire sans y assigner un rôle ou une fonction, est une générosité en l'absence totale d'a priori et de volonté critique ; oui, mais c'est une générosité qui incombe à des benêts ou des fainéants qui lisent par hasard et qui n'ambitionnent jamais de faire du livre un objet d'activités, un objet de réflexions diffuses, un objet de changements personnels, qui ne projettent même pas d'en penser beaucoup quelque chose, qui refusent au livre une direction et une destination parce qu'ils n'acceptent pas d'y réfléchir ni beaucoup ni vraiment : chez eux, on ne voit pas davantage de progrès dans l'ordre de ce qu'ils lisent que dans la succession de leurs divertissements, car pour qu'il y en ait, il y faudrait l'inspiration d'une hiérarchie, et cette hiérarchie ne peut venir qu'au terme d'une sélection qui procède justement du jugement. Il faut juger pour aimer avec des raisons, juger pour aimer à quelque autre titre que parce qu'on aime perdre son temps. C'est tout à fait logiquement qu'on ne peut élire ce qu'on ne critique point : ainsi perpétuellement plutôt passe-t-on à autre chose. C'est précisément au registre du passage que ce roman fut écrit, on ne peut y trouver qu'à contempler de longues transitions – de longues traditions – proprement inutiles, inutiles aussi pour l'art et pour l'esprit, car à aucun moment des 130 premières pages le récit n'est susceptible d'enseigner ou d'apprendre quelque chose sur le monde réel ou sur une sensibilité vraiment personnelle : c'est d'un tel égocentrisme – on sait bien que je n'attache nulle péjoration à ce terme – mais d'un égocentrisme si absolu où rien n'est généralisable ou transposable pour autrui, où l'on doit s'intéresser aux goûts du narrateur pour les lilas, aux habitudes insipides de sa tante, à la forme sentimentale qu'il prête à l'église de Combray, sans y pouvoir prendre la moindre part individuelle, comme si j'expliquais que je ne mange plus de rognons depuis que j'en vomis. On ne peut avaler ce recueil d'impressions assez ordinaires et inconséquentes que dans un moment d'inactivité intellectuelle qui se signale aux antipodes de la prédilection. On a besoin, certes, de ne rien vouloir, pour aimer Proust – ce qui s'inscrit logiquement au terme de décennies d'une littérature fin-de-siècle progressivement appauvrie en actions narratives – ; il faut n'avoir rien à faire de particulier, rien à penser pour soi, rien à désirer améliorer en soi, aucune occupation plus constructive ni souci d'édification, pas même de projeter l'application d'un livre sur quelque chose de réel, comme on aspirerait à fixer durant des heures le ciel bleu et prévisible à dessein exclusif de prétendre ensuite avoir longtemps respiré le « bon air » en sage mélancolique – en l'occurrence la « bonne littérature » à « thèmes classiques ». Je ne connais pas une personne qui se soit imposé un Proust entier sans le sentiment valorisant du devoir ou sans préconception sur la vertu de lire et d'un livre, de n'importe quoi en relation avec le fait de tourner des pages d'une certaine réputation, pour qui la littérature ne fût pas avant tout un trompe-ennui et un faire-valoir. La plupart du temps, ceux qui finissent librement du côté de chez Swann, après n'en avoir extrait qu'un accomplissement de tâche ardue, enchaînent aussitôt avec À l'ombre des jeunes filles en fleurs parce que, quitte à perdre son temps comme ils s'y sont résolus pour poursuivre jusque-là – on vérifie aisément qu'ils n'en ont rien tiré : il ne savent pas expliquer pourquoi ils continuent, c'est seulement la suite logique d'une résolution antérieure, c'est juste ce qui était prévu, parce qu'après tout ce n'est pas non plus si désagréable (ancêtre du « page turner » qu'on mesure, quand on range le livre dans sa bibliothèque après un vide incommensurable et obstiné, par l'impression de fierté d'avoir lu une « masse », sorte de martyre entêté et absurde) –, autant, comme ceux qui dévorent d'un coup la saga crétine des Star Wars, ne pas s'empêcher de se « décaler » bien à fond, retiré comme les déments dans leur petite vie d'imaginations recluses et absurdes : on lit ainsi presque avec religion, sans justification qu'un état de décision farouche distinct de l'acte rationnel. Plus on s'accorde une pareille stupidité, plus on se démarque, plus on « sort du monde et du temps », et plus, parce qu'on n'y gagne rien, on est imbécile heureux.
Ce mode de lecture est même en l'occurrence plus méthodique, plus systématique qu'on ne pense, car il est probablement impossible de lire Proust en ayant une véritable considération pour chaque mot ainsi qu'il convient d'ordinaire de s'appliquer à dessein de mesurer un auteur à la ressemblance de la vérité ou de la réalité, et de le juger, lui et son style, à la grandeur inédite de cette adéquation ; c'est-à-dire qu'il ne saurait s'agir de lire À la recherche du temps perdu en admettant que chaque terme d'un texte, ni même chaque paragraphe ou chaque page, doit porter une signification pleine et nécessaire. Je ne parle pas d'incorrections ou de surabondances qui s'y rencontrent et font une impression fautive qu'on s'empresse d'oublier – comme dans : « Sans trop savoir pourquoi, ma grand-mère trouvait au clocher de Saint-Hilaire cette absence de vulgarité, de prétention, de mesquinerie, qui lui faisait aimer et croire riches d'une influence bienfaisante, la nature, quand la main de l'homme ne l'avait pas, comme faisait le jardinier de ma grand-tante, rapetissée, et les oeuvres de génie. » (page 63) –, la plupart du livre, pour ne pas dire tout le livre (car je n'ai pas lu au-delà de la 134), ne sert à rien, à rien même relativement, je veux dire y compris dans une perspective de progression, dans le sens pratique d'informations à retenir pour ne pas oublier les éléments d'une intrigue qui resserviront plus tard, car, il faut être honnête même si l'on a décidé d'aimer Proust, jusque-là rien ne « sert pour plus tard », rien n'est à « mettre de côté », il est tout à fait superflu de garder en réserve, dans sa mémoire, la moindre donnée si longuement dissertée, ce dont on s'aperçoit assez vite de sorte qu'on ne tâche plus à retenir quelque chose. C'est ainsi qu'un lecteur normal – j'y fus moi-même maintes fois tenté, moi dont la contention de lecteur est extrême, moi qui ne répugne jamais à relire quatre fois un extrait difficile et pénible, moi qui ne lis pas un mot sans y accorder toutes les ressources de la visulaisation – finit nécessairement par prendre l'habitude de ne pas se soucier du détail, de ne pas vraiment tout lire, de ne plus accorder qu'un soin distrait dès qu'un passage est ardu puisqu'il est comme les autres sans objet, indifférent et impersonnel, parce qu'on sait, à force, que nul de ces détails n'a d'importance pour le dessin d'ensemble, que par exemple la page 80 ne sert absolument pas à introduire la 90, que les personnages abondamment décrits sont en général absents de la suite, de sorte qu'on en vient à lire a contrario d'une lecture attentive et d'un ouvrage fait pour l'esprit de concentration, c'est-à-dire en « passant », dans l'oubli presque automatique de ce qu'on vient de lire et qu'on ne cherche plus tant à comprendre, en particulier quand la formulation contournée de Proust rend la première lecture incompréhensible, parce que la teneur des passages qu'on a parfois relus prouve qu'il n'était nullement besoin, compte tenu de leur vanité emphatique ou décorative, d'y accorder tant d'effort comme on fit d'abord par scrupule et par art. On en vient à ne plus s'intéresser à « l'histoire »,
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du côté de chez Swann
Marcel Proust (1871-1922)
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » Ainsi commence la première partie du long fleuve littéraire que constitue « À la recherche du temps perdu » qui comporte sept volumes. Je dois à la vérité de dire que pour aborder la littérature de Marcel Proust, il faut être préparé, puis prendre son temps et savoir qu'une grande concentration est requise quand on découvre la longueur des phrases. Il m'a bien fallu arriver au terme du chapitre I soit la page 47 (édition Folio) pour commencer à me sentir mieux dans ce monde à part qui est celui de cet immense écrivain. Alors, pour en revenir à la première phrase, très brève certes, celle-ci résume en fait un peu tout le premier chapitre qui nous montre l'attachement de l'enfant qu'était alors Proust le narrateur pour sa mère qui parfois le privait d'une affection dont le garçon était avide. Il n'est que de lire le magnifique passage de la page 23 pour tout comprendre : « le seul d'entre nous pour qui la venue de Swann devint l'objet d'une préoccupation douloureuse, ce fut moi. C'est que les soirs où des étrangers, ou seulement M. Swann, étaient là, maman ne montait pas dans ma chambre. Je dînais avant tout le monde et je venais ensuite m'asseoir à table, jusqu'à huit heures où il était convenu que je devais monter ; ce baiser précieux et fragile que maman me confiait d'habitude dans mon lit au moment de m'endormir il me fallait le transporter de la salle à manger dans ma chambre et le garder pendant tout le temps que je me déshabillais, sans que se brisât sa douceur, sans que se répandît et s'évaporât sa vertu volatile et, justement ces soirs là où j'aurais eu besoin de le recevoir avec plus de précaution, il fallait que je le prisse, que je le dérobasse brusquement, publiquement, sans même avoir le temps et la liberté d'esprit nécessaires pour porter à ce que je faisais cette attention des maniaques qui s'efforcent de ne pas penser à autre chose pendant qu'ils ferment une porte, pour pouvoir, quand l'incertitude maladive leur revient, lui opposer victorieusement le souvenir du moment où ils l'ont fermée. »
Il faut avoir présent à l'esprit que La Recherche du temps perdu est l'histoire d'une vie, de l'enfance à l'âge adulte racontée à la première personne par un narrateur sans nom, mais dont on devine vite l'identité. Comment le narrateur va devenir écrivain constitue le fil conducteur de ce roman très philosophique où la recherche de la vérité accompagne celle du temps perdu. C'est aussi la vie d'un idéaliste esthète grand amateur d'art en une époque qui n'est plus la nôtre.
Au fil des pages on note des remarques qui retiennent l'attention comme la tyrannie de la rime qui torture les poètes ou bien l'inanité des journaux qui tous les jours attirent notre attention sur des choses insignifiantes tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie les livres où se trouvent les choses essentielles. L'humour n'est pas absent et le bourg de Combray, village d'enfance du narrateur, est le lieu de situations cocasses : « On connaissait tellement bien tout le monde, à Combray, bêtes et gens, que si ma tante avait vu par hasard passer un chien « qu'elle ne connaissait point », elle ne cessait d'y penser et de consacrer à ce fait incompréhensible ses talents d'induction et ses heures de liberté. »
Et le style somptueux et d'une foisonnante richesse de Proust s'attache à nous décrire parfaitement l'ambiance paisible et surannée de Combray, le village où il passait aussi ses vacances d'enfant : « Beaux après-midi du dimanche sous le marronnier du jardin de Combray, soigneusement vidés par moi des incidents médiocres de mon existence personnelle que j'y avais remplacés par une vie d'aventures et d'aspirations étranges au sein d'un pays arrosé d'eaux vives, vous m'évoquez encore cette vie quand je pense à vous et vous la contenez en effet pour l'avoir peu à peu contournée et enclose – tandis que je progressais dans ma lecture et que tombait la chaleur du jour – dans le cristal successif, lentement changeant et traversée de feuillages, de vos heures silencieuses, sonores, odorantes et limpides. » Sublime !
Et Proust sait aussi avec style nous mettre l'eau à la bouche : « Françoise (la cuisinière et servante) tournait à la broche un de ces poulets, comme elle seule savait en rôtir, qui avaient porté loin dans Combray l'odeur de ses mérites, et qui, pendant qu'elle nous servait à table, faisaient prédominer la douceur dans ma conception spéciale de son caractère, l'arôme de cette chair qu'elle savait rendre si onctueuse et si tendre n'étant pour moi que le propre parfum de ses vertus. » Plus loin il décrit la vision du poulet dans le plat apporté à table avec « sa peau brodée d'or comme une chasuble et son jus précieux égoutté d'un ciboire… »
Et il nous faire apprécier la nature du cadre de Combray : « C'est ainsi qu'au pied de l'allée qui dominait l'étang artificiel, s'était composées sur deux rangs, tressés de fleurs de myosotis et de pervenches, la couronne naturelle, délicate et bleue qui ceint le front clair-obscur des eaux, et que le glaïeul, laissant fléchir ses glaives avec un abandon royal, étendait sur l'eupatoire et la grenouillette au pied mouillé, les fleurs de lis en lambeaux, violettes et jaunes, de son sceptre lacustre. »
Toute cette première partie se déroule en une seule nuit alors que le narrateur se couche et se remémore le passé, avec les visites de M.Swann, les soirées chez Mlle de Vinteuil et la duchesse de Guermantes.
La seconde partie est en fait un roman dans le roman : c'est un retour en arrière dans la vie de Charles Swann et comme les faits se déroulent avant la naissance du narrateur, il use de la troisième personne pour narrer cet amour de Swann.
Swann, intellectuel séducteur, érudit et esthète, mondain et cultivé, a rencontré Odette de Crécy, une jeune femme un peu farouche et vulgaire, au passé déjà lourd, qui l'introduit chez des bourgeois très riches qui se sont constitués un salon qu'ils veulent brillant et intime, la famille Verdurin. Devenu amoureux d'Odette qu'il juge toutefois assez imparfaite, Swann reconnaît avoir la faiblesse de lui rendre visite dans son appartement et il justifie cette passion par des mobiles d'ordre esthétique. Peu à peu la passion faiblit mais la sonate de Vinteuil, l'air national de leur amour, la revivifie par le message qu'elle leur envoie. Odette de son côté trouve Swann intellectuellement inférieur à ce qu'elle aurait cru et regrette qu'il conserve toujours son sang-froid ce qui l'empêche de le définir. Elle s'émerveille davantage de son indifférence à l'argent, de sa gentillesse pour chacun et de sa délicatesse. Peu à peu Swann devient misanthrope car dans tout homme il voit un amant possible pour Odette.
Tout au long des conversations sont faites références à des oeuvres d'art en particulier à la peinture, Proust ayant été un très grand amateur d'art. Il ne pouvait en être autrement pour Swann qui se consacre à une étude exhaustive de l'art de Ver Meer. La musique occupe aussi une grande place dans la vie de Swann et sa passion pour Chopin se répète tout au long de cette partie du roman : « …les phrases au long col sinueux et démesuré de Chopin, si libres, si flexibles, si tactiles, qui commencent par chercher et essayer leur place en dehors et bien loin de la direction de leur départ, bien loin du point où on avait pu espérer qu'atteindrait leur attouchement, et qui ne se jouent dans cet écart de fantaisie que pour revenir plus délibérément – d'un retour plus prémédité, avec plus de précision, comme sur un cristal qui résonnerait jusqu'à faire crier – vous frapper au coeur… Swann tenait les motifs musicaux pour de véritables idées, d'un autre monde, d'un autre ordre, idées voilées de ténèbres, inconnues, impénétrables à l'intelligence, mais qui n'en sont pas moins parfaitement distinctes les unes des autres, inégales entre elles de valeur et de signification. »
Vient un jour où une lettre anonyme sème le doute dans l'esprit de Swann quant à la moralité d'Odette qui serait entre les mains d'entremetteuses pour se livrer à des ébats étrangers d'une part et à des amours saphiques d'autre part. Sur cette dénonciation qui lui paraît invraisemblable, Swann l'interroge et le peu qu'elle lui avoue révèle bien plus que ce qu'il eût pu soupçonner ! Faible, Swann lui sourit avec la lâcheté de l'être sans force qu'ont fait de lui ces paroles accablantes. Ainsi il découvre que même dans les mois où il avait été le plus heureux avec elle, ces mois où elle l'avait aimé, elle lui mentait déjà. « Mais la présence d'Odette continuait d'ensemencer le coeur de Swann de tendresses et de soupçons alternés. »
La troisième partie se passe à Paris et évoque les rêveries du narrateur et le temps où Charles Swann est marié à Odette de Crécy : ils ont une très jeune fille, Gilberte dont le narrateur encore adolescent est follement amoureux. On est alors dans la continuité de la première partie.
le titre général appelle un commentaire en soi, à savoir que le temps perdu, c'est le souvenir et tout le livre est construit sur des souvenirs à retrouver, perdus qu'ils sont dans le passé. Et les madeleines dans tout cela ? C'est leur goût retrouvé qui permet au narrateur d'entamer cette plongée dans les réminiscences.
Mon aventure proustienne est commencée et comme bon nombre de lecteurs de Proust, j'ai connu tour à tour des moments d'émerveillement de par le style et la poésie dans le récit de la vie à Combray et des moments où il faut accepter les détails extrêmes de la psychologie de l'amour de Swann au sein d'une prose assez complexe mais brillante.
Proust rappelons-le, est au panthéon de la littérature française selon tous les experts. Courage, vous pouvez le lire à condition de prendre votre temps, de perdre un peu de temps pour vous y retrouver.
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Tome 1 de A la recherche du temps perdu. (1913)+
Marcel Proust (1871-1922)

Alors qu'en est-il de cette Madeleine de Proust qu'on nous sert à toutes les sauces, en tout bien tout honneur, je lui ai même mis une majuscule, tant j'y accède avec le plus grand respect. Je sais qu'il y a ici des spécialistes de Proust qui me reprendront évidemment si je dis des bêtises (de Cambray) (*), spécialistes dont je ne suis pas et qu'ils veuillent bien me pardonner si j'entre avec mes gros sabots dans leur jardin secret. Pour ma défense, j'ai juste idée qu'on ne peut pas courir dans le monde de la littérature après plusieurs lièvres à la fois tant nous avons des Maîtres à explorer qui méritent le détour mais force est de reconnaître que cette Madeleine de Proust c'est bien lui qui l'a inventée et qu'il faut savoir, invention peut-être involontaire, -j'en appelle ici aux experts pour expliciter - quand chez sa mère, qu'il retrouva en hiver on lui a servi du thé bien chaud et cette fameuse madeleine qui lui a rappelé les temps anciens de l'enfance qui nous caressent l'esprit avec volupté. En termes de souvenirs, on parle plus de réminiscences.

L'eau m'est venue à la bouche en terminant à la fraîche mes madeleines offertes par ma voisine, faites de sa main, qui ont fait quand même la semaine, et que j'ai appréciées, restées fraîches incomparablement, et je me suis dit alors que je ne voulais pas mourir idiot quand on me sert dans une conversation entre amis, cette expression passée dans le langage courant, grâce à qui, à Marcel Proust. J'ai même un ami adorateur de Proust qui me l'a sortie récemment lors d'une retrouvaille et je n'ai pas cru bon en rajouter tellement me remontait à la tête la gêne de mon ignorance ou de mon trop vague souvenir. Mais je sais maintenant que je suis sur le chemin de Swann écrit plus d'un siècle plus tôt par le Maître français. Je me fais une piqure de rappel, car ma lecture date franchement..
Je vois d'ici un concert s'élever me récitant par coeur le passage de la Madeleine. Je leur en laisse le soin.. Je les salue bien volontiers avec déférence.

(*) Cambray que j'aime bien, c'est aussi ce lieu où la tante de l'auteur Léonie lui servait une infusion, une madeleine avait laquelle il faisait trempette ..
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Il libro, primo della Ricerca, fu inizialmente rifiutato dagli editori perché ‘illeggibile'. Lì capisco. al primo approccio sono riuscita a leggere faticosamente 20 pagine, nelle quali Proust non aveva ancora finito di descrivere cosa pensasse la notte quando si sveglia… Ho creduto non poter andare avanti. E' venuta in mio aiuto la versione audio del libro, cosa da me mai sperimentata prima, ma che senza la quale non credo sarei riuscita ad andare avanti (complimenti alla lettrice che riusciva a dare la giusta intonazione, senza perdersi, a frasi lunghe più di una pagina!!) !
La struttura stessa dell'opera è particolare : primo libro di sette, Dalla parte di Swann è ulteriormente diviso in 3 parti ben distinte:
la prima, Combray, ci immerge nei ricordi infantili dell'autore ( ma quanti anni ha realmente? 5? 10? 15? Non ci è dato saperlo) delle vacanze passate nel paese della nonna e della zia, con un ritmo lentissimo e frasi sproporzionate, dove l'esercizio di stile prevale drasticamente sulla trama : auliche descrizioni di un filo d'erba che si sposta al vento, immagini di gocce rimaste dell'ultimo acquazone e disperazioni malate per un bacio della buona notte negato. Fra una bucolica passeggiata e l'altra, in cui scopriamo mille dettagli su campanili e siepi fiorite, appare anche, la famosissima scena della madeleine (che la Disney ha illustrato magistralmente con la “ratatouille” gustata dal critico culinario nell'omonimo film). Se la lettura ci stanca spesso fra i lunghi voli pindarici, è utilissima per conoscere dettagli sull'educazione di un giovinetto di una certa élite francese ai tempi della Belle Epoque e il suo modo di vivere al quotidiano.
La seconda parte “Un amore di Swann” è un romanzo dentro il romanzo (tanto per fare un'ennesima digressione!!), tanto che si può trovare venduto a parte in libreria, come un libro indipendente da tutta l'opera. Lo stile cambia, l'argomento anche. Finalmente c'è una trama in quel che si legge! La storia di come un vicino di Combray, Swann appunto, si sia innamorato anni prima di una ‘Cocotte' mondana e frivola, che gli fa perdere tempo e soldi, rendendolo malato di gelosia, per rendersi conto alla fine che non gli è neanche mai piaciuta!!!! Descrizioni di paranoie e di mentalità dell'epoca molto dettagliate…
L'ultima parte di qs primo tomo, Nomi di paesi: il nome, torna a volteggiare fra le fantasie di Proust, di come si immagina Paesi lontani che vorrebbe visitare, con un affresco di Giotto o un dipinto di Botticelli come guida alla sua ispirazione.
Stilisticamente ci sono delle perle unique, almeno leggendolo in francese in cui i trapassati remoti e i condizionali usati a profusione da Proust (modi e tempi verbali ormai spariti completamente dal linguaggio francese odierno) conferiscono subito al testo un fascino fuori dal tempo; le descrizioni, seppur “un tantino” abbondanti (piangerete!), sono di un'eleganza unica e la maestria nel costruire frasi con vagoni di subordinate che si rincorrono da una pagina all'altra, resta, credo, ineguagliato.
Da affrontare solo se siete dei “robusti lettori” a vostro agio con i Classici !
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Du coté de chez Swann T. 1 de Marcel PROUST ( France Loisirs - 279 pages )


> > Je ne me sens pas qualifiée pour vous donner un avis sur ce livre.

> > Je vais juste vous raconter ce que j'ai ressenti durant cette lecture.

> > J'ai adoré certains passages et je me suis ennuyée dans d'autres.....

> > Ce jeune garçon d'un milieu bourgeois catholique était d'une sensibilité extrême qui lui a permis de nous décrire des promenades champêtres à la perfection.

> > Qui peut l'égaler à décrire les fleurs, les clochers, les scènes familiales etc.. Un vocabulaire à jamais perdu aujourd'hui dans les romans actuels.

> > Evidemment ces longues phrases interminables sont pour nous profanes, surannées.

> > Tout le monde connait le passage de la madeleine de la tante Léonie trempée dans le thé ou le tilleul ainsi que le baiser du soir de sa mère.

> > Quand il se réveille le matin et il se demande où il est .....Cela m'arrive quand je me réveille dans une chambre inconnue chez des amis ou un hôtel...

> > Je me suis même amusée à me décrire les chambres où j'ai vécu de nombreuses années depuis ma naissance. L'emplacement des fenêtres, des meubles, les murs et la porte.

> > Ce n'est pas un roman mais un recueil de ses souvenirs plein de sentiments.

> > Certainement un livre à lire au moins une fois dans sa vie.....pour moi j'en suis à la troisième lecture.
>

> > Si vous l'avez lu, pouvez vous me donner vos impressions ....



> > Bonne lecture

> >

> > Marie Reine
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Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
Et pourtant, parce qu’il y a quelque chose d’individuel dans les lieux, quand me saisit le désir de revoir le côté de Guermantes, on ne le satisferait pas en me menant au bord d’une rivière où il y aurait d’aussi beaux, de plus beaux nymphéas que dans la Vivonne, pas plus que le soir en rentrant – à l’heure où s’éveillait en moi cette angoisse qui plus tard émigre dans l’amour, et peut devenir à jamais inséparable de lui – je n’aurais souhaité que vînt me dire
bonsoir une mère plus belle et plus intelligente que la mienne. Non ; de même que ce qu’il me fallait pour que je pusse m’endormir heureux, avec cette paix sans trouble qu’aucune maîtresse n’a pu me donner depuis, puisqu’on doute d’elles encore au moment où on croit en elles et qu’on ne possède jamais leur cœur comme je recevais dans un baiser celui de ma mère, tout entier, sans la réserve d’une arrière-pensée, sans le reliquat d’une intention qui ne fût pas pour moi – c’est que ce fût elle, c’est qu’elle inclinât vers moi ce visage où il y avait au-dessous de l’œil quelque chose qui était, paraît-il, un défaut, et que j’aimais à l’égal du reste ; de même ce que je veux revoir, c’est le côté de Guermantes que j’ai connu, avec la ferme qui est peu éloignée des deux suivantes serrées l’une contre l’autre, à l’entrée de l’allée des chênes ; ce sont ces prairies où, quand le soleil les rend réfléchissantes comme une mare, se dessinent les feuilles des pommiers, c’est ce paysage dont parfois, la nuit dans mes rêves, l’individualité m’étreint avec une puissance presque fantastique et que je ne peux plus retrouver au réveil. Sans doute pour avoir à jamais indissolublement uni en moi des impressions différentes, rien que parce qu’ils me les avaient fait éprouver en même temps, le côté de Méséglise ou le côté de Guermantes m’ont exposé, pour l’avenir, à bien des déceptions et même à bien des fautes. Car souvent j’ai voulu revoir une personne sans discerner que c’était simplement parce qu’elle me rappelait une haie d’aubépines, et j’ai été induit à croire, à faire croire à un regain d’affection, par un simple désir de voyage.
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[...]peut-être cette absence de génie, ce trou noir qui se creusait dans mon esprit quand je cherchais le sujet de
mes écrits futurs, n’était-il aussi qu’une illusion sans consistance, et cesserait-elle par l’ intervention de mon père qui
avait dû convenir avec le Gouvernement et avec la Providence que je serais le premier écrivain de l’époque. Mais d’autres fois, tandis que mes parents s’impatientaient de me voir rester en arrière et ne pas les suivre, ma vie actuelle, au lieu de me sembler une création artificielle de mon père et qu’il pouvait modifier à son gré,
m’apparaissait au contraire comme comprise dans une réalité qui n’était pas faite pour moi, contre laquelle il n’y avait pas de recours, au cœur de laquelle je n’avais pas d’allié, qui ne cachait rien au-delà d’elle-même. Il me semblait alors que j’existais de la même façon que les autres hommes, que je vieillirais, que je mourrais comme eux, et que parmi eux j’étais seulement du nombre de ceux qui n’ont pas de dispositions pour écrire. Aussi, découragé,
je renonçais à jamais à la littérature, malgré les encouragements que m’avait donnés Bloch. Ce sentiment intime, immédiat, que j’avais du néant de ma pensée, prévalait contre toutes les paroles flatteuses qu’on pouvait me prodiguer, comme chez un méchant dont chacun vante les bonnes actions, les remords de sa conscience.
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L'athéisme proustien accepte la mort, mais la refuse éternelle. Qu'il postule une migration de l'âme dans les objets ou son retour vers une patrie heureuse et infinie, il ne veut pas la voir clore "à jamais" le cycle de la vie. Ce paradis qu'il évoque pourrait s'appeler l'Art : c'est par ses livres "symboles de sa résurrection", que Bergotte survit, et c'est par ses romans que Proust entend ne pas mourir tout entier.

Ce thème mélancolique, élégiaque, se situe dans la tradition latine et française de la fuite du temps.

(p.147)
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Mais plus loin le courant se ralentit, il traverse une propriété dont l’accès était ouvert au public par celui à qui elle
appartenait et qui s’y était complu à des travaux d’horticulture aquatique, faisant fleurir, dans les petits étangs que forme la Vivonne, de véritables jardins de nymphéas. Comme les rives étaient à cet endroit très boisées, les grandes ombres des arbres donnaient à l’eau un fond qui était habituellement d’un vert sombre mais que parfois, quand nous rentrions par certains soirs rassérénés d’après-midi orageux, j’ai vu d’un bleu clair et cru, tirant sur le violet, d’apparence cloisonnée et de goût japonais. Çà et là, à la surface, rougissait comme une fraise une fleur de nymphéa au cœur écarlate, blanc sur les bords. Plus loin, les fleurs plus nombreuses étaient plus pâles, moins lisses, plus grenues, plus plissées, et disposées par le hasard en enroulements si gracieux qu’on croyait voir flotter à la dérive, comme après l’effeuillement mélancolique d’une fête galante, des roses mousseuses en guirlandes dénouées.
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Et une fois que le romancier nous a mis dans cet état, où comme dans tous les états purement intérieurs toute émotion est décuplée, où son livre va nous troubler à la façon d’un rêve mais d’un rêve plus clair que ceux que nous avons en dormant et dont le souvenir durera davantage, alors, voici qu’il déchaîne en nous pendant une heure
tous les bonheurs et tous les malheurs possibles dont nous mettrions dans la vie des années à connaître quelques-uns, et dont les plus intenses ne nous seraient jamais révélés parce que la lenteur avec laquelle ils se produisent nous en ôte la perception ; (ainsi notre cœur change, dans la vie, et c’est la pire douleur ; mais nous ne la connaissons que dans la lecture, en imagination : dans la réalité il change, comme certains phénomènes de la nature se produisent assez lentement pour que, si nous pouvons constater successivement chacun de ses états différents, en revanche, la sensation même du changement nous soit épargnée)
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Vidéo de Thierry Laget
Lecture par Thibault de Montalembert
Avec Thierry Laget "Des nouvelles de Proust"
Rencontre animée par Nathalie Crom
On n'avait pas tout lu. On ne savait pas tout. D'une part : neuf nouvelles que Bernard de Fallois a découvertes en rassemblant des manuscrits dispersés, de brefs récits initialement destinés à figurer dans Les Plaisirs et les Jours mais que Proust a écarté, sans doute en raison de leur audace qui aurait pu heurter son milieu. D'autre part : un récit passionnant et haletant que nous livre Thierry Laget sur la base de nombreux documents inédits eux aussi. 10 décembre 1919 : le prix Goncourt est attribué à Marcel Proust pour À l'ombre des jeunes filles en fleurs. Aussitôt éclate un tonnerre de protestations. Pendant des semaines, Proust est vilipendé dans la presse, brocardé, injurié, menacé. Son tort ? Ne plus être jeune, être riche, ne pas avoir fait la guerre, ne pas raconter la vie dans les tranchées. Pour cette soirée consacrée à l'immense Marcel, Thibault de Montalembert nous lira quelques nouvelles et Thierry Laget nous contera cette « émeute littéraire ».

À lire – Marcel Proust, le Mystérieux correspondant et autres nouvelles inédites, éditions de Fallois, 2019 – Thierry Laget, Proust, prix Goncourt, une émeute littéraire, Gallimard, 2019.
Le lundi 9 décembre 2019 - 21H00
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