Yanick Lahens, écrivaine haïtienne, nous parle d'un langage que son héroïne embrassera, corps et âme, pour apprendre, pour vivre son identité et toute sa liberté : la danse. Danser pour survivre, pour ne pas laisser la mort gagner la partie.
« l'indicible ce « en de-çà de l'écrit ». Ainsi naîtra de cette bi langue, neuvième conscience des mots : l'ainsité, le tout de la Parole, son universalité. » comme l'écrit
Patrick Chamoiseau.
Le mot, le geste, la main, le pied, la danse comme une bouche plantaire.
La castration identitaire et culturelle d'un peuple est dévastateur.
Haiti, la perle des Antilles, qui devint en 1804 la première République indépendante de population majoritairement noire, occupée de 1915 à 1934 par les Usa, dans les mains des Duvalier , dictateurs de père en fils, de 1957 à 1986. Haïti est fracturée. Fracturée dans son sol, fracturée dans sa mémoire. Pourquoi Haïti a-t-elle mis tant de temps à prendre entièrement conscience d'elle même ?
Plus de 80 % des haïtiens ont des origines africaines, descendants d'esclaves, majoritairement originaires du Bénin.
75 % de la population haÎtienne vit en dessous du seuil de pauvreté. Une « élite » politique, économique, marchande a totalement coupé les liens avec ses racines. Penser blanc, vivre blanc, étudier blanc, porter blanc, chanter blanc, voilà les fantômes culturels d'Haïti. Voilà les stigmates d'un colonialisme esclavagiste non expurgé.
Alice est haïtienne, enfant de la bourgeoisie de Port au Prince. Éduquée, cultivée. Mais ordre est communément admis de ne pas se mélanger, de ne pas se confondre avec le peuple haïtien, avec la culture des ancêtres. Deux Haïti se côtoie, l'une riche, l'autre pauvre. L'une de parquet et de pelouse entretenue l'autre des arrières cours et de la terre battue. Haïti la catholique, Haïti la vaudouiste.
Facture sociale profonde et injuste qui n'a de cesse de rejeter une identité commune. La parole commune. Cette lave qui sans cesse remonte dans les âmes, provoque transes et souvent torrents de colère et qui ressurgit.
Le traumatisme n'a pas été exprimé, expulsé. le refus de soi, la haine même de ses propres origines, le retournement de la violence à l'intérieur d'un groupe afin d'expulser une souffrance qui ne peut se faire entendre, à travers ses romans,
Toni Morrison a su nous le faire comprendre .
Alors comment aujourd'hui réduire toutes les fractures d'Haïti ?
Il est temps pour Haïti de se regrouper, de sortir du groupe des vaincus.
De ne plus parler d'exil, mais de retour.
Les intellectuels haïtiens sont et seront ceux qui n'ayant jamais perdu la parole, permettront à Haïti de retrouver sa mémoire à travers son langage. Langage de terre, d'odeurs, de verbe, d'algues, de plage, d'océan, de poussière, de larmes, de chair, d'esprit, d'ancêtres, de couleurs, de musicalité, d'oralité, de poésie. Cette « oraliture » dont nous parle Chamoiseau. La multitude de ses langages que contient son corps. Cette langue commune dans laquelle la beauté offre « consolance » à la blessure.
« "entre les mots et le moi
un mince fil les sépare
un mince fil de salive
reliant pont de parole
au moteur d'une barque
pour mieux prendre le large » ecrit le poète
James Noël.
Yanick Lahens nous parle du peuple haïtien, de son merveilleux multiculturalisme, elle nous écrit d'un retour
dans la maison du père.
Très belle écriture que celle de
Yanick Lahens.
Astrid Shriqui Garain