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EAN : 9782895961055
368 pages
Lux Éditeur (10/09/2010)
3.38/5   8 notes
Résumé :

Après avoir obtenu un succès européen considérable lors de leur parution en 1702-1703, les trois livres de Lahontan sur l'Amérique connurent une longue éclipse jusque vers la décennie 1970. Ils sont alors apparus comme indispensables pour mieux comprendre l'évolution d'une forme littéraire (la relation de voyage) et le courant libertaire qui avait gagné l'Europe des Lumières. Les Dialogues avec le Hur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Il est certain que Lahontan a travaillé littérairement ses textes ethnographiques en vue d'une publication, de la même manière qu'Antoine Galland au même moment était en train d'arranger les contes arabo-persans des Mille et une Nuits (premier tome publié en 1704) pour les accommoder aux goûts des lecteurs Français. Cette transformation était sans doute la condition pour une large diffusion de ces oeuvres qui ont préparé les Lumières – auraient, selon l'anthropologue David Graeber (dans Au commencement..., en 2023), habitué l'Européen à la vision d'un ailleurs, d'un être au monde différent, l'auraient confronté à un regard critique sur lui-même (effet de décentrement qui sera utilisé dans les Lettres persanes, Micromégas, Candide…), rendant possible l'idée centrale des Lumières : ce monde pourrait être différent. le chef indien s'exprime ainsi dans un français soigné (comment pourrait-il en être autrement ?), lui ont été conservées quelques touches de couleur locale comme "mon frère", "le grand Esprit", "le monde des âmes" (évoquant une compatibilité avec les conceptions chrétiennes - fraternité chrétienne, le Saint Esprit, le paradis -, et donc une autre application possible de celles-ci dans la société), et surtout "le Tien et le Mien", expression aux allures primitives, caractérisant une certaine attitude infantile des Européens quant à la possession, comme des enfants refusant de se prêter un jouet, exprimant parfaitement la division des individus provoquée par l'importance exagérée accordée à la propriété exclusive.

Si Graeber identifie volontiers Adario avec le célèbre chef Huron Kondiaronk qui a voyagé en France, la forme choisie du dialogue platonicien amène inévitablement à rapprocher le chef indien de la figure de Socrate, et à le considérer davantage comme une reconstruction-synthétisation des représentations indiennes. En face de lui, Lahontan, aventurier, est le porteur des positions caractéristiques d'un Français cultivé qui regarderait le monde indien avec naïveté et défendrait la logique de sa civilisation. Ré-exprimées par le point de vue indien, comme mises à nu et poussées par une ironie de type socratique, les certitudes de supériorité de l'Europe s'ébranlent. Cela dit, les conclusions de la dispute sont laissées au lecteur, et certaines failles dans la sagesse indienne apparaissent aussi, comme le mépris de la tribu voisine des Iroquois et la nécessité de se battre avec eux pour faire des esclaves (mais quel colon européen pourrait alors se permettre la critique ?). Ainsi, Lahontan tente de proposer à ses lecteurs une expérience de remise en question comparable à celle qu'il a probablement connue lors de ses Voyages en Amérique septentrionale.

La civilisation indienne apparaît parfois presque comme le renversement de l'Europe (rappelant le fonctionnement carnavalesque de textes comme le Voyage dans la Lune de Cyrano ou le théâtre de foire de Lesage - ce monde aux valeurs inversées ne serait-il pas au final presque plus désirable ?). Par la comparaison avec la simplicité des moeurs indiennes, sont mises en évidence la fausseté et les contradictions du mode de vie européen qui assujettit sa population sous des lois morales ou judiciaires extrêmement exigeantes - par quoi justement l'Européen se sent plus civilisé -, mais qui sont en contrepartie les générateurs d'un vice généralisé... plus haut est le mur, plus grande est l'ombre... foyer d'intolérance (bêtise des guerres de religion, où chacun veut persuader qu'il a le "bon" dieu, alors que la différence est relative), célibat des prêtres, virginité avant le mariage, monogamie stricte (les pêchés les plus visibles y dissimulent les plus graves), le triomphe des apparences, le pas vu pas pris des crimes évidents mais non jugés... le mensonge à soi d'une société qui veut se soigner avec des médicaments miracles au lieu de changer son hygiène de vie, la protection exagérée de la propriété, la fièvre de l'argent, et le gonflement terrible du sentiment d'envie et de frustration des exclus...
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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Une intéressante rencontre ente deux représentants de deux cultures radicalement opposées ( pas totalement, cela dit...). le dialogue est un moyen efficace de rendre ce choc dynamique, la rhétorique est plus que jamais mise à l'honneur, et "lire" Adario est un plaisir, le plaisir de voir dépeinte notre société (ou plutôt celle d'il y a plus de quatre siècles) sous le regard d'un Huron! Car on ne peut nier le plaisir d'explorer, page après page, le ridicule ö combien ahurissant du mode de vie à l' "Européane", voir écrasées nos moeurs, saccagées nos certitudes, et ces mots ont des échos retentissants avec la société actuelle, basée sur des valeurs perdues dans le néant de l'Histoire...
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Des disputes sur la vraie religion, p. 32
La diférence que je trouve entre vôtre créance, & celle des Anglois, embarasse si fort mon esprit, que plus je cherche à m'éclaircir, & moins je trouve de lumiéres. Vous feriez mieux de dire tous tant que vous étes, que le grand Esprit a donné des lumiéres sufisantes à tous les hommes, pour conoître ce qu'ils doivent croire & ce qu'il doivent faire, sans se tromper. Car j'ay ouï dire que parmi chacune de ces Réligions diférentes, il s'y trouve un nombre de gens de diverses opinions ; comme, par exemple, dans la vôtre chaque Ordre Religieux soutient certains points diférents des autres, & se conduit aussi diversement en ses Instituts qu'en ses habits, cela me fait croire qu'en Europe chacun se fait une religion à sa mode, diférente de celle dont il fait profession extérieure. Pour moy, je croy que les hommes sont dans l'impuissance de connoître ce que le grand Esprit demande d'eux, & je ne puis m'empêcher de croire que ce grand Esprit estant aussi juste & aussi bon qu'il l'est, sa justice ait pû rendre le salut des hommes si dificile, qu'ils seront tous damnés hors de vostre religion, & que même peu de ceux qui la professent iront dans ce grand paradis. Croi-moy, les affaires de l'autre monde sont bien diférentes de celles-ci. Peu de gens sçavent ce qui s'y passe. Ce que nous sçavons c'est que nous autres Hurons ne sommes pas les auteurs de nôtre création ; que le grand Esprit nous a fait honnêtes gens, en vous faisant des scelerats qu'il envoye sur nos Terres, pour corriger nos défauts & suivre nostre exemple. Ainsi, mon Frére, croi tout ce que tu voudras, aïe tant de foy qu'il te plaira, tu n'iras jamais dans le bon pais des Ames si tu ne te fais Huron. L'innocence de nôtre vie, l'amour que nous avons pour nos fréres, la tranquilité d'ame dont nous jouissons par le mépris de l'intérest, sont trois choses que le grand Esprit exige de tous les hommes en général. Nous les pratiquons naturellement dans nos Villages, pendant que les Européans se déchirent, se volent, se diffament, se tuent dans leurs Villes, eux qui voulant aller au pais des Ames ne songent jamais à leur Créateur, que lors qu'ils en parlent avec les Hurons. Adieu, mon cher Frére, il se fait tard ; je me retire dans ma cabane pour songer à tout ce que tu m'as dit, afin que je m'en ressouvienne demain, lorsque nous raisonnerons avec le Jésuite.
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Comment prétendez vous que vos Femmes vous soient fidéles, si vous ne l'étes pas à elles? Si les maris ont des Maîtresses, pourquoy leurs Epouses n'auront-elles pas des Amans? Et si ces Maris préférent les jeux & le vin à la compagnie de leurs femmes, pourquoy ne chercheront elles pas de la consolation avec quelque Ami? Voulez-vous que vos Femmes soient sages, soyez ce que vous appellez Sauvages, c'est à dire, soyez Hurons ; aimés les comme vous mêmes, & ne les vendés pas.
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Il n'est rien de si naturel aux Chrêtiens, que d'avoir de la foy pour les saintes Ecritures, parce que dés leur enfance on leur en parle tant, qu'à l'imitation de tant de gens élevés dans la même créance, ils les ont tellement imprimés dans l'imagination, que la raison n'a plus la force d'agir sur leurs esprits déjà prévenus de la vérité de ces Evangiles ; il n'est rien de si raisonnable à des gens sans préjugés, comme sont les Hurons, d'examiner les choses de prés.
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Pas de bonheur dans la propriété, p. 53
Nous avons parlé de Religion & de Loix, je ne t’ay répondu que le quart de ce que je pensois sur toutes les raisons que tu m’as alléguées ; tu blâmes notre manière de vivre ; les François en général nous prénent pour des Bétes, les Jésuites nous traitent d’impies, de foux, d’ignorans & de vagabons : & nous vous regardons tous sur le même pied. Avec cette différence que nous nous contentons de vous plaindre, sans vous dire des injures. Écoute, mon cher Frére, je te parle sans passion, plus je réfléchis à la vie des Européans & moins je trouve de bonheur & de sagesse parmi eux. Il y a six ans que je ne fais que penser à leur état. Mais je ne trouve rien dans leurs actions qui soit au dessous de l’homme, & je regarde comme impossible que ça puisse estre autrement, à mois que vous ne veuilliez vous réduire à vivre, sans le Tien ni le Mien, comme nous faisons. Je dis donc que ce que vous appelez argent, est le démon des démons, le Tiran des François ; la source des maux ; la perte des ames & le sepulcre des vivans. Vouloir vivre dans les Païs de l’arget & conserver son ame, c’est vouloir se jetter au fond du Lac pour conserver sa vie ; or ni l’un ni l’autre ne se peuvent.
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Car un homme n'est pas homme à cause qu'il est planté droit sur ses deux pieds, qu'il sçait lire & écrire, & qu'il a mille autres industries. J'appelle un homme celui qui a un penchant naturel à faire le bien & qui ne songe jamais à faire du mal.
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