Je trouve plutôt sadique de fixer la période des examens au mois de juin, alors que c'est le seul mois de l'année où il fait un temps acceptable. Je me demande pourquoi on ne les met pas en novembre, quand on n'a rien de mieux à faire. (p.31)
Je n'aurais pas su expliquer à qui que ce soit que tout avait changé pour moi et que rien ne serait plus comme avant. Je me sentais différente des autres, comme si je m'étais mise à parler une langue jusque-là inconnue, comme si je portais de nouvelles lunettes ou comme si la vie avait pris pour moi une autre dimension. (p.154)
Elle savait, comme nous le savions tous, que nous ne nous en remettrions jamais, parce qu'on ne se remet jamais de rien. On finit par vivre avec, c'est tout. (p.148)
D'après maman, Katy avait la grippe et le docteur pensait qu'il s'agissait d'un virus. C'est ce qu'il disait chaque fois. On peut être tout bleu avec des plaques vertes, avoir la tête qui éclate, tousser comme le Vésuve en pleine éruption, c'est toujours un virus et la seule chose qu'il puisse faire c'est de vous conseiller de rester bien au chaud et de boire beaucoup. Je préfère les maladies qui ont des noms répertoriés comme la varicelle ou les oreillons. Vous savez au moins ce que vous avez. (p.136)
Seules les horreurs imprévisibles vous laissent démuni. p.46)
- De quoi as-tu peur, alors ? dit-elle. De leur compassion ? Ne sois pas stupide, Anna. Nous avons tous besoin de compassion. Il faut seulement que tu apprennes à l’accepter. Il est quelquefois plus difficile d’être celui qui reçoit que celui qui donne. (p.44)
Le problème, c’était que je me sentais coupable envers Katy. Il est vrai que je lui préférais Ben. Était-ce vraiment parce qu’il était handicapé ? ç’aurait été un peu étrange et intéressé ? Non, certainement pas. Plus j’y pensais, plus je me disais que ça n’avait rien de méchant. Il me fallait aimer Ben pour lui-même, rien que pour lui-même. Je ne pourrais pas le guérir, naturellement, mais je pourrais le rendre heureux en l’aimant de tout mon cœur. (p.37)
« Grave arriération physique et mentale », disait le certificat que maman avait rapporté de l’hôpital. Il n’était pas nécessaire d’avoir du génie ou d’avoir fait des études de médecine pour comprendre ce que cela voulait dire. Mais je n’en aimais pas moins mon petit frère. Je l’aimais même encore plus, j’en suis sûre. Mon désir était plus fort que jamais de le protéger contre tous ceux qui ne comprenaient rien, qui pouvaient se moquer de lui, ou qui, d’une façon ou d’une autre, auraient la cruauté de le rejeter. (p.32)
Au bout d'un moment, des idées horribles me sont venues de nouveau à l'esprit. Handicapé, qu'est-ce que cela signifie ? De quoi aura-t-il l'air, mon petit frère ? Aura-t-il les yeux bridés ? Aura-t-il des gestes saccadés ? (…)
- Qu'est-ce que vous entendez par handicapé ?
Le docteur Randall a hoché la tête.
- J'étais en train d'expliquer tout ça à tes parents, dit-il. On ne peut encore rien savoir. C'est une question de temps.
- Mais… est-ce qu'il sera sourd ou aveugle ?
Papa et maman étaient étrangement calmes et je savais combien ils redoutaient la réponse. Mais le docteur Randall s'est montré enjoué.
- Certainement pas ! Je suis même tout à fait sûr qu'il verra bien et qu'il entendra bien.
- Est-ce qu'il sera aussi mignon que les autres bébés ? Il n'aura pas l'air bizarre, avec la bouche ouverte qui bave tout le temps ?
La question retentit brutalement. Mais cela m'importait plus que toute autre chose.
- Je n'en sais rien, Anna, a répondu le docteur Randall. Franchement je n'en sais rien. Mais, à mon avis, tous les bébés sont mignons, même ceux qui…
Il se tut. Mais j'ai insisté.
- Seriez-vous capable de dire s'il pourra jouer comme les autres enfants, aller en classe et parler et rire et tout et tout ?
Le docteur Randall perdit alors son expression enjouée.
- Il saura rire, ajouta-t-il doucement, j'en suis absolument sûr. Mais pour le reste, il nous faut patienter ; je ne peux pas en dire plus. (p.18-19)