Citations sur Quatre aveux pour un seul crime (53)
C’était peut-être un mensonge. Peut-être Emily avait-elle surtout envie de jouer les voyeuses. D’apercevoir la vie de son ex-meilleure amie et de s’émerveiller sur son mariage, aussi épanoui que rassurant. De la voir gaga de ses trois angelots parfaits. De voir de ses propres yeux ce que la vie avait donné à Ginger et de s’assurer – d’être absolument certaine – qu’elle appréciait tout ce dont elle jouissait. Même si Ginger et elle n’étaient pas amies sur Facebook, Emily avait pu y voir sa photo de profil, qui la représentait avec sa famille heureuse et pleine de vie.
Elles avaient bu du lait de poule alcoolisé et braillé des chants de Noël à pleins poumons, jusqu’au moment où le responsable de la résidence universitaire avait frappé à leur porte, avec en main un document concernant le tapage nocturne, que Ginger avait également réduit en confettis.
Ce rire réchauffa le cœur noircissant d’Emily, adoucit le goût amer qu’elle avait dans la bouche, comme s’il avait ajouté du miel à du thé ayant infusé trop longtemps. Elle – Emily Brown – avait fait rire cet homme charmant mais renfrogné. Ce parfait inconnu.
L’alcool se propageant déjà paresseusement dans son cerveau, elle se demanda quel effet cela ferait de poser la joue contre son épaule et de fermer les yeux. De sentir sa main danser avec légèreté sur sa peau en sombrant dans une sieste rassurante.
Désormais, Emily n’était plus qu’une coquille amère de celle qu’elle avait été, et plus elle en prenait conscience, plus elle se complaisait dans ce rôle, comme dans un vieux pull confortable.
Emily avait en effet été suffisamment longtemps institutrice en maternelle pour savoir précisément combien il était ardu de se faire obéir par des enfants en bas âge, sans parler de les faire se tenir sages durant un voyage en avion. Cependant, sa patience pour ce type de travail s’était depuis longtemps envolée.
Whitney méritait tout le bonheur du monde, alors pourquoi était-il si frustrant, bon sang, de l’imaginer passionnément amoureuse, bavardant en toute décontraction tandis qu’une masseuse lui caressait les épaules, qu’une autre personne lui dorlotait les pieds et qu’une troisième lui étalait de la crème hydratante sur la peau ? Comme si sa naïveté béate constituait un péché.
Ginger était une femme drôle, patiente et pleine d’énergie. Elle n’avait rien d’une enquiquineuse et, plus important, elle aimait Frank. Elle aimait ses loisirs idiots et ses projets stupides. Sa joie de vivre était une des raisons pour lesquelles elle était tombée folle amoureuse de lui.
Puis la vie avait suivi son cours, avec des enfants, des soucis financiers, des assurances à souscrire et des chaussures roses égarées. Et dans ce fatras de vie banlieusarde et d’emplois complémentaires mâtiné de la monotonie de la routine quotidienne, l’amour avait parfois un mal fou à se manifester.
Cela étant, Elsie, à bientôt seize ans, était presque infréquentable, et se disputer avec elle ne faisait qu’empirer les choses. Elle avait développé un nouveau comportement, scotchée à son téléphone, incapable de finir une phrase, et d’une humeur maussade qui affectait tous les habitants de la maison. La perspective de cette escapade en Californie avait à peine fait naître un sourire sur ses lèvres.
Elle se figea et tendit de nouveau l’oreille, le cœur battant si fort qu’elle se concentra sur son bras gauche, en quête de signes annonciateurs d’une crise cardiaque. Hélas, son cœur ne s’emballait que parce que son mari parfait lui cachait quelque chose. Et Lulu mourait d’envie de découvrir ce secret.