Contrairement à beaucoup de mes compatriotes, je connais le nom d'Edy Lamarr depuis les années 60, c'est-à-dire depuis mon adolescence, très tôt " cinéphilisée " grâce à ma défunte mère, lectrice de Cinémonde et spectatrice des salles obscures, à ma famille d'une manière générale ; j'avais une tante, très belle, qui fut attirée dans sa jeunesse par le monde du cinéma.
Je fus moi-même un lecteur assidu, durant de longues années, de
Ciné Revue, des
Cahiers du Cinéma ; je voulus même au tout début des années 70 candidater pour l'émission de Pierre Tchernia Monsieur Cinéma où j'étais quasi incollable... ce ne se fit pas pour des raisons inintéressantes à évoquer.
Enfin, pour l'obtention de mon baccalauréat, je reçus entre autres comme cadeaux deux encyclopédies du cinéma et un dictionnaire cinématographique.
Donc, à l'époque, j'aurais pu vous parler d'
Hedy Lamarr ( de sa taille 1,67m, de son poids, de ses mensurations... ), d'"Extase"... le film mythique et de la suite de sa carrière promise à la légende mais dont la promesse n'arpenta les sentiers de la gloire que le temps d'un aller-retour entre Hollywood Boulevard et le Boulevard du Crépuscule, comme aurait dit
Gloria Swanson...
En revanche, ce n'est que bien des années plus tard que j'ai su qu'en plus d'être d'une beauté hors du commun des mortels, Hedy était, en sus de ses talents d'actrice, une passionnée de peinture, une bricoleuse et une inventeuse de génie ; sa mise au point de... je fais appel au joker Wiki, mes compétences dans le domaine des sciences étant si minables... " Outre sa carrière au cinéma, elle a marqué l'histoire scientifique des télécommunications en inventant avec le compositeur George Antheil, pianiste et inventeur comme elle, un moyen de coder des transmissions (étalement de spectre par saut de fréquence). Il s'agit d'un principe de transmission fondamental en télécommunication, utilisé actuellement pour le positionnement par satellites (GPS, etc.), les liaisons chiffrées militaires ou dans certaines techniques Wi-Fi."
Cette découverte, cette révélation m'incitèrent dès lors à acquérir l'autobiographie d'Hedwig Eva Maria Kiesler, rebaptisée aux États-Unis
Hedy Lamarr, quelques années après sa naissance en Autriche en novembre 1914.
L'autobiographie en question a été écrite en 1966 ; Hedy a alors 52 ans et sa carrière cinématographique est derrière elle.
La star déchue vit dans la précarité ; celle qui gagna 30 millions de dollars n'a plus à ce moment de sa vie de quoi se nourrir correctement et régulièrement.
Elle a dilapidé sa fortune, ne peut plus honorer ses factures, connaît quelques ennuis avec la justice pour des vols à l'étalage.
C'est dans ce contexte que s'inscrit cette autobiographie.
Sans rien divulgacher de ce que vous apprendrez en la lisant, si un jour vous la lisez, elle s'ouvre sur "une" Hedy nous parlant de sexualité et la boucle se boucle sur "une" Hedy qui, devenue octogénaire, confie qu'elle voudrait mourir après avoir fait l'amour.
Personnellement, chacun a la sexualité qu'il a, et je ne pense pas qu'elle dise tout d'une femme ou d'un homme, même s'il elle en est un des moteurs.
Qu'Hedy ait été diagnostiquée comme " nymphomane " par l'un de ses nombreux analystes, qu'elle ait eu d'insatiables besoins dont elle entretenait l'insatiabilité par le recours à un régime ultra polyvitaminé, qu'elle ait été une femme multiorgasmique, qu'elle ait été hétérosexuelle en passant épisodiquement par la case saphique, qu'elle ait vécu de temps en temps sa sexualité au pluriel, de manière soft ou " brutale ", et que tout ceci ait pris naissance dès la puberté à travers des rapports consentis ou pas, ne m'a pas vraiment intéressé.
J'ai plutôt aimé "la" Hedy à la conquête du Hollywood de l'âge d'or, celui des Majors et des Mogols et des légendes ou des mythes comme Garbo, Bogart, Cooper, Davis, Chaplin, Crawford, Garland ( la mère ), Sinatra, Crosby, Grant etc etc
"La" Hedy bénévole de " Hollywood Canteen " ( cette cantine d'Hollywood où les soldats américains pouvaient se substanter en approchant ces étoiles inaccessibles qui leur offraient un repas ).
"La" Hedy qui arpentait les USA pour lever des fonds pour l'effort de guerre.
"La" Hedy épouse ( mariée six fois )
"La" Hedy mère ( trois enfants dont un adopté ).
"La" Hedy productrice ( trois films dont un qui n'est jamais sorti ).
"La" Hedy immigrée, parlant mal l'anglais et l'apprenant à grands efforts de " cours "... en autodidacte.
"La" Hedy choisissant des films de série B et refusant des chefs-d'oeuvre par manque de flair, d'instinct ou par paresse quand ce ne fut pas par caprice.
Bref, "la" Hedy européenne de la Mitteleuropa, confrontée à une culture qui n'était pas la sienne, elle l'Autrichienne ( pas
Marie-Antoinette ) issue d'une famille de grands bourgeois et en route pour la Conquête de l'Ouest.
Je m'attendais dans cette autobiographie à ce qu'Hedy évoque sa judéité, elle la fille unique d'un couple de Juifs ashkénazes, elle qui avait assisté à la montée du nazisme, à l'accession au pouvoir d'
Adolf Hitler ; Hitler qu'elle a rencontrée, comme elle a rencontré Mussolini.
Elle qui a connu la Nuit de Cristal, l'Anschluss.
Elle qui, en 1966 au moment où elle écrit
Ecstasy and Me, n'ignore pas l'existence de la Shoah...
Mais pas un mot, pas un !
Je m'attendais à ce que fut sa réaction ( elle est alors aux États-Unis ) le 7 décembre 1941 après Pearl Harbor et l'entrée en guerre de l'Amérique de Roosevelt.
Je m'attendais à ce qu'elle nous confie ce qu'elle ressentit lorsque les 6 et 9 août 1945 Truman, pour la première fois dans l'histoire de l'homme se servit de " l'atome " sur les villes d'Hiroshima et de Nagasaki.
Mais là, rien non plus.
Je m'attendais à ce que, en tant qu'actrice, fréquentant ou ayant fréquenté des acteurs, des scénaristes, des metteurs en scènes victimes de la terrifiante chasse aux sorcières orchestrée par le sinistre sénateur Joseph Raymond McCarthy (1953-1954 ), elle nous en dise quelques mots.
Encore une fois, rien !
Rien non plus sur l'assassinat de John. F. Kennedy, qu'elle connut intimement... et pas même un mot sur la Guerre du Vietnam ( j'insiste, nous avons affaire à un livre datant de 1966 )... ses deux fils ayant l'âge pour être appelés... et un zapping total concernant la ségrégation raciale...
Je m'attendais enfin à ce qu'elle fasse mention de son hobby de bricoleuse et d'inventeuse et de sa fabuleuse découverte, une découverte révolutionnaire... silence radio... mais en postface il nous est expliqué le pourquoi précis de cette " omission "...
De même qu'en postface il nous est précisé que ce livre n'est pas une autobiographie... relisez le titre -
Ecstasy and Me : my life as a woman " ( Extase et Moi : ma vie en tant que femme ) mais, je cite, " les mémoires érotiques d'
Hedy Lamarr... dans la tradition des récits du XIXème siècle..."
Donc, Hedy s'est livrée à un phénoménal exercice de nombrilisme.
Car, rien de rien sur ses congénères ; la liberté des moeurs dont elle a été sa vie durant un parangon, la contraception, l'avortement, l'égalité hommes femmes etc...
Cela étant, avoir pendant plus de 400 pages le nez collé ( sourire ) à l'ombilic de celle qui incarna sublimement la magnifique tentatrice que fut Dalila, et qui reste, à ce jour et selon mes goûts, avec Gene Tierney l'une des plus belles femmes qu'ait porté en son sein la lignée de Sapiens, fait que ce bouquin, qui pourrait être déceptif, réserve de bons moments de lecture.
Il faut le prendre pour ce qu'il n'est pas et l'abandonner pour ce qu'il s'est avéré être.
Une rencontre rare avec ce qui pouvait résulter de plus inouï de ce caprice qui s'empara de Dieu lorsqu'il créa la femme : une divinité imparfaite, un génie inachevé ; le tout doutant de lui et faisant douter Dieu d'elle.
Dernier pied de nez d'Hedy l'inqualifiable qui confie en toute fin de bouquin que son personnage de fiction préféré est un certain Bart Simpson, là je dis : chapeau bas, Miss Lamarr !