L'homme a beau regarder et embrasser l'espace, la nature entière ne se compose pour lui que de deux ou trois points sensibles auxquels toute son âme aboutit. Otez de la vie le cœur qui vous aime : qu'y reste-t-il ? Il en est de même de la nature.
Faut-il s'étonner après cela que les plus sublimes scènes de la création soient contemplées d'un œil si divers par les voyageurs ? C'est que chacun porte avec soi son point de vue. Un nuage sur l'âme couvre et décolore plus la terre qu'un nuage sur l'horizon. Le spectacle est dans le spectateur.
Ce fut un coup au cœur de ces pauvres gens.
Graziella se mit à genoux devant moi, puis devant mon ami, pour nous supplier d'achever l'histoire. Mais ce fut en vain. Nous voulions prolonger l'intérêt pour elle, le charme de l'épreuve pour nous. Elle arracha alors le livre de mes mains. Elle l'ouvrit comme si elle eût pu, à force de volonté, en comprendre les caractères. Elle lui parla, elle l'embrassa. Elle le remit respectueusement sur mes genoux, en joignant les mains et en me regardant en suppliante.
Sa physionomie si sereine et si souriante dans le calme, mais un peu austère, avait pris tout à coup dans la passion et dans l'attendrissement sympathique de ce récit quelque chose de l'animation, du désordre et du pathétique du drame. On eût dit qu'une révolution subite avait changé ce beau marbre en chair et en larmes. La jeune fille sentait son âme jusque-là dormante se révéler à elle dans l'âme de Virginie.
Je m'enivrais de cet opium de l'âme qui peuple de fabuleux fantômes les espaces encore vides de l'imagination des oisifs, des femmes et des enfants.
Je vivais de ces milles vies qui passaient, qui brillaient et qui s'évanouissaient successivement devant moi, en tournant les innombrables pages de ces volumes plus enivrants que les feuilles de pavot. P155
J'y entrai comme le condamné a mort entre dans son dernier cachot. Les faux sourires, les hypocrites caresses des maîtres de cette pension, qui voulait imiter le coeur d'un père pour de l'argent, ne m'en imposèrent pas. Je compris tout ce que cette tendresse de commande avait de vénal. Mon coeur se brisa pour la première fois de ma vie, et quand la grille de fer se referma entre ma mère et moi, je sentis que j'entrais dans un autre monde, et que la lune de miel de mes premières années était écoulée sans retour. P135
Il voyait bien que je n'apprendrais jamais rien dans la maison de mon père qu'à bien vivre et à vivre heureux. Il voulait d'avantage. P133
Ce n'est pas le peuple qui a fait la Révolution, c'est la noblesse, le clergé et la partie pensante de la nation. Les superstitions prennent quelquefois naissance dans le peuple, les philosophies ne naissent que dans la tête des sociétés. Or, la révolution française est une philosophie. P51
...Après bien des années de constance, bien des obstacles surmontés, bien des oppositions de famille vaincues, la destinée, dont le plus puissant ministre est toujours l'amour, s'accomplit, et mon père épousa l'amie de sa soeur. P38
La tourelle, enfin, toute pleine de livres, dont ta mère tenait la clef, et qui ne s'ouvrait qu'en sa présence, de peur que nos mains ne prissent la cigüe pour le persil parmi cette végétation touffue et trompeuse de la pensée humaine, où la panacée croît si près du poison. P9
Notre vie était entre les mains de cette femme un sursum corda perpétuel. Elle s'élevait aussi naturellement à la pensée de Dieu que la plante s'élève à l'air et à la lumière. P115