Enfin de la prison les gonds bruyants roulèrent ;
A pas lents, l’œil baissé, les amis s’écoulèrent :
Mais Socrate, jetant un regard sur les flots,
Et leur montrant du doigt la voile vers Délos :
« Regardez sur les mers cette poupe fleurie ;
C’est le vaisseau sacré, l’heureuse Théorie ! !
Saluons-la, dit-il : cette voile est la mort !
Mon âme, aussitôt qu’elle, entrera dans le port !
Et cependant parlez ! et que ce jour suprême
Dans nos doux entretiens s’écoule encore de même !
Ne jetons point aux vents les restes du festin ;
Des dons sacrés des dieux usons jusqu’à la fin :
L’heureux vaisseau qui touche au terme du voyage
Ne suspend pas sa course à l’aspect du rivage ;
Mais, couronné de fleurs, et les voiles aux vents,
Dans le port qui l’appelle il entre avec les chants !
La vérité, c’est Dieu.
Le soleil se levant aux sommets de l’Hymette
Du temple de Thésée illuminait le faîte,
Et, frappant de ses feux les murs du Parthénon,
Comme un furtif adieu glissait dans la prison ;
On voyait sur les mers une poupe dorée,
Au bruit des hymnes saints, voguer vers le Pirée,
Et c’était ce vaisseau dont le fatal retour
Devait aux condamnés marquer leur dernier jour ;
Mais la loi défendait qu’on leur ôtât la vie
Tant que le doux soleil éclairait l’Ionie,
De peur que ses rayons, aux vivants destinés,
Par des yeux sans regard ne fussent profanés,
Ou que le malheureux, en fermant sa paupière,
N’eût à pleurer deux fois la vie et la lumière.
Ainsi l’homme, exilé du champ de ses aïeux,
Part avant que l’aurore ait éclairé les cieux !
Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
Hâtons nous, jouissons !
L'homme n'a point de port,
le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons !
Poésie - Le papillon - Alphonse de Lamartine