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EAN : 9782234087514
280 pages
Stock (18/09/2019)
3.9/5   68 notes
Résumé :
Icône littéraire, auteur d’une oeuvre abondante, (Le Hussard sur le toit ; Un roi sans divertissement ; Colline...), Giono semble être l’écrivain patrimonial par excellence, voué à être étudié, admiré, célébré. Derrière l’image d’Épinal de l’écrivain provençal se cache pourtant un poète nerveux et tourmenté, un homme défait par la guerre et travaillé par la noirceur, l’amour et le désir tout autant que par la quête de paix et de lumière.
À la frontière de l’e... >Voir plus
Que lire après Giono, furiosoVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
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Une lecture des plus enrichissantes...redonnant vie à la personnalité pleine d'ombres et lumières du conteur, Jean Giono !------

"C'est au collège que nous avons lu, pour la première fois, Jean Giono. Nous n'y avons strictement rien compris. Je me souviens du -Chant du Monde-, de ses longues phrases et d'une réalité qui m'était parfaitement, hermétiquement étrangère. La montagne. Les radeaux. Les paysans. Tout
cela était loin dans l'espace et dans le temps, le livre charriait des mots, des métiers et des lieux disparus ou inventés. Nous n'étions pas coutumiers d'une langue si vivace. (...) Disons-le : à la première lecture, tout cela m'a beaucoup ennuyée. (p. 98)


Je pourrai faire mienne cette première appréhension "ingrate" du style de
Jean Giono...Emmanuelle Lambert décrit fort bien ses évolutions de
"lectrice" vis à vis de cet écrivain, ayant sûrement souffert de l'image de l'auteur dit "scolaire" ou plus exactement, faisant partie de ceux qu'on étudie à l'école, par obligation...

Emmanuelle L. évoque son enfance, sa grand-mère en Provence, un professeur admiré, transfiguré lorsqu'il parlait de Giono... et quelque part, ce souvenir est resté ancré dans la mémoire de la jeune élève...

Pour ma part, ce fut à la faculté de lettres, que j'ai rencontré un professeur
de stylistique...complètement emporté par le style de Giono...
J'aimerais avoir pu enregistrer ses cours, les réentendre; je pense que je
les apprécierai aujourd'hui à leur juste valeur !! En dehors de "L'Homme qui plantait les arbres"... je n'ai guère été plus loin dans ma lecture de Giono ,à ma grande honte !!

Cet hommage très franc et convaincant de Emmanuelle L. a donné un nouvel élan à mes tentatives précédentes , avortées, de lire "l'Homme de Manosque"...enfin !

J'adore ce titre... qui va à l'encontre des images stéréotypés qui collent
à la peau de Giono, écrivain de la Provence, du terroir !
Une image trop simpliste... réductrice... bousculée par ce texte de Emmanuelle Lambert, dont j'apprécie, pour la première fois, la plume alerte...et un style très chatoyant !!

"Peut-être était-il difficile de le [Giono ]saisir plus jeune. Les grands livres ont ceci que nous ne lisons jamais la même chose lorsque nous les relisons. Peut-être me fallait-il avoir empilé suffisamment d'épaisseur de temps, de joies, d'échecs et de lenteur pour comprendre ce que Giono dit, depuis son siècle lointain." (p. 36)

Ouvrage qui dépoussière Jean Giono, montre avec finesse ses complexités, son caractère torturé, sombre... loin des images des "santons de Provence"... Cet enfant de vieux, unique, choyé par un père, cordonnier, rempli de bonté, son parent préféré et une mère, repasseuse, ayant vécu de surplus ,la tragédie de la Grande Guerre...!

"J'étais loin de savoir, alors, que ce serait là mon premier contact avec Giono, que les immenses films de Pagnol, -Angèle-, - La femme du boulanger-, venaient de ses livres à qui ils devaient une part de leur grandeur. Et que, dans leur beauté et leur théâtre, ils avaient sans doute contribué à installer ce qu'il faut bien appeler le malentendu provençal, détesté par Giono et qui aujourd'hui lui colle encore à la peau.
Comme il était las qu'on lui entonne toujours la même chanson, Giono a dit
qu'il n'avait mis aucune cigale dans ses livres." (p. 32)

Emmanuelle L. nous raconte ses préférences littéraires...évoque un deuxième écrivain, sur lequel elle a beaucoup travaillé...Je ne résiste pas à la retranscription de ce parallèle quelque peu insolite...

"Dans ma bibliothèque, on trouve, au premier rang, au moins deux poètes autodidactes et merveilleux façonnés par leurs lectures grandioses. Leur langue est une chose si personnelle qu'on ne peut les rapprocher d'aucun de leurs contemporains. Littérairement, Ils sont sans famille. il y a vous, Giono, et votre cadet de quinze ans, Jean Genet. (...)
Si vos oeuvres n'ont rien à voir, votre rapport à la langue et à la culture est le même : il est strictement, rigoureusement intime. vous vous foutez tous deux des passages obligés. On ne vous commandera pas.

Vous avez d'ailleurs atterri dans la même prison militaire, à Marseille, à un an d'écart. Aujourd'hui, vous avez tous deux des manuscrits dans les archives de la Bibliothèque nationale et un dossier dans celles de la justice militaire. Tous les deux, vous n'êtes pas bien commodes." (p. 59)

Ce texte très vivant est aussi le récit de Emmanuelle Lambert , préparant le cinquantenaire de la disparition de Giono...Directrice de la publication du catalogue de l'exposition Giono, qui débutera au MUCEM , à Marseille, vers le 30 octobre 2019...

Je commence à rêver de m'y rendre... L'occasion fabuleuse de découvrir enfin ce MUCEM...à travers cette importante manifestation !...Il me reste cette fois à me plonger dans l'univers et la prose de Giono...avec un regard nouveau, grâce à Emmanuelle Lambert, que je remercie abondamment pour cette publication passionnante et fort éclairante !
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En 2016, nous ne sommes pas allés à New York. Pourtant, tout était réservé : billets, logement, pass. On en rêvait depuis si longtemps... Tétanisée par les attentats, j'ai eu peur, peur pour mes quatre enfants. J'ai tout annulé. Ils m'en ont voulu. Mais c'était comme ça. Il a fallu trouver une autre destination, moins loin, moins risquée. Un petit village des Alpes de Haute-Provence ferait l'affaire. La mienne en tout cas. On se rattraperait pour New York, promis.
Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que nous posions nos valises dans une région que je connaissais très bien. Je n'y avais jamais mis les pieds. Mais j'avais lu. Beaucoup lu Giono. Depuis les années de fac. Je découvre Giono en licence : au programme, les « Chroniques » : Un Roi sans divertissement et noé. le coup de foudre. Les personnages me fascinent (je tombe amoureuse de Langlois, évidemment), je trouve la construction du récit et les points de vue narratifs particulièrement osés et tellement modernes pour l'époque. J'exulte. À la fin de ma licence, je suis comme Giono lorsqu'il écrit noé : incapable de passer à autre chose ni de travailler sur une autre oeuvre. Qu'à cela ne tienne : mon travail portera sur les chroniques : Un Roi, Les Grands Chemins, Les Âmes Fortes. Pour moi, il ne fait aucun doute que les personnages sont vivants (je vis avec), ils ont donc un corps (je les sens près de moi) : ce sera donc : « Le corps des personnages dans trois chroniques de Jean Giono ». le bonheur...
Bref, la région où j'entraînais mes mômes, je la connaissais bien et je savais qu'à quelques kilomètres de notre gîte, il y avait Manosque, il y avait le Paraïs, Montée des Vraies Richesses...
Nous n'y sommes pas allés tout de suite… Je crois que je voulais garder le meilleur pour la fin.
Et quel meilleur…
J'avais téléphoné quelques semaines avant notre départ. Il fallait réserver. Je n'avais pas bien compris comment ça se passait, on verrait bien...
D'abord, nous avons flâné dans la ville et lorsqu'il s'est agi de nous diriger vers la maison de Giono, impossible de trouver la route. Imaginez ma panique (les gamins s'en souviennent encore). Nous arrivons enfin, tout en sueur, essoufflés… la pente est raide. Nous sommes accueillis par une très vieille femme qui nous installe au jardin, à l'ombre. Il fait très chaud. Il y a un couple avec nous. C'est tout. Elle nous explique qu'elle vient de se faire opérer de la hanche, qu'elle nous fera visiter le rez-de-chaussée mais qu'elle ne pourra pas monter à l'étage. Un universitaire prendra le relais. Elle ajoute qu'elle perd un peu la tête, qu'il ne faut pas lui en vouloir. Et elle commence. Elle a connu Giono et sa femme Élise, elle se souvient très bien d'eux. Elle parle. Elle nous raconte Giono. Je suis assise à l'arrière. Mes enfants sont devant moi et ne me voient pas. Je suis dans un état second. Régulièrement, elle s'arrête. Nous demande ce qu'elle était en train de dire, s'excuse, se reprend. J'ai envie de la serrer dans mes bras tellement je la trouve touchante. Je bois ses paroles. J'ai l'impression que Giono va arriver, que l'on va boire un café, entre nous. J'ai envie que le temps s'arrête. Je ne respire plus. Je ne bouge plus. Je ne veux pas perdre un mot de ce qu'elle dit.
Soudain, je tourne la tête vers l'intérieur de la maison. Derrière une large vitre, dans une pièce qui sert d'accueil, de bibliothèque et de librairie, je vois Sylvie Giono. Enfin, je vois... Giono. Elle lui ressemble tellement. Et là, mes larmes se mettent à couler, mon émotion est telle que je suis incapable de me maîtriser. Je croise les doigts pour qu'aucun de mes gamins ne se retourne et ne me voie dans cet état-là. J'ai les yeux rouges, les joues gonflées, je commence à renifler bruyamment, je tremble de partout. C'est la catastrophe. « Ça va maman? », m'interroge d'un air inquiet ma fille Hélène. C'est encore pire. Je ne contrôle plus rien. Je fais peine à voir. Un désastre. Heureusement, la petite dame ne se rend compte de rien, toute à ses souvenirs bientôt enfuis. Elle nous invite à entrer dans la maison. J'appréhende mes réactions. D'abord, la bibliothèque. La femme prend les livres, les ouvre au hasard pour nous montrer les annotations de Giono. Les yeux me sortent de la tête. L'écriture de Giono, là, petites pattes de mouche au crayon à papier. Nous attendons un peu dans l'entrée. La femme est fatiguée. L'universitaire vient prendre le relais. Soudain, je vois un musicien (un concert se prépare) entrer dans une pièce que l'on ne visite pas. Je sais que cette pièce est la cuisine. Je sais que si je ne force pas le passage, là maintenant, je ne la verrais peut-être jamais. Je le suis. J'entre. C'est incroyable comme la volonté donne des ailes. Il me dit que je n'ai pas le droit d'être là. Peut-être mais j'y suis. Je suis dans la cuisine et je ne bouge pas. Je reconnais les lieux. Je vois le tableau de Bernard Buffet. le musicien ne me dit plus rien. Il attend que j'aie fini de voir, de regarder, de sentir. Il finit par faire ce qu'il a à faire et je finis par sortir. Je rejoins les autres, à l'étage, dans... le bureau de Giono.
Alors là mes amis, c'est le pompon. Nous entrons : je connais tous les coins et les recoins de ce lieu. J'ai vu la pièce, photographiée ici et là, et surtout j'ai vu Giono assis derrière ce bureau. Il n'est plus là mais tout est là de lui, sa veste jetée sur le divan, son chapeau, ses pipes, ses plumes… La pièce n'est pas grande, il fait très chaud. L'universitaire tient à ce que nous soyons à l'aise (il a du boulot avec moi!), invite Hélène à s'asseoir sur le fauteuil de Giono, derrière le bureau. La gamine obéit. Hélène est À LA PLACE de Giono, derrière le bureau. Je ne vois que ça. Moi-même, je m'assois sur le divan. Ma main gauche touche la veste et le chapeau de Giono. Je crois que je suis à deux doigts de m'évanouir. L'universitaire est bavard, bavard, ma fille aînée commence à tourner de l'oeil et s'allonge par terre. Mon fils cadet a pris place dans un fauteuil bas. Je crois que j'ai communiqué à toute la famille mon émotion. Mes enfants découvrent une mère qui n'est plus dans son rôle, qui ne maîtrise plus rien, qui pleure et tremble comme une gamine. Nous redescendons et passons par la grande pièce qui sert d'accueil et de librairie. Sylvie Giono est toujours là. J'aimerais lui parler mais mon état ne le permet vraiment pas. J'envoie Hélène qui, du haut de ses dix ans, commence à trouver cette journée particulièrement pénible. Elle a la mission de demander une dédicace. La gamine y va, fait la demande. Je vois Sylvie Giono qui s'avance vers moi. J'aimerais lui parler. Je pleure, je bafouille un « vous lui ressemblez tellement », elle comprend, m'embrasse. Lorsque nous redescendons vers le centre de Manosque, je marche comme si j'avais bu. Je dois avoir de la fièvre. Je suis vidée, j'ai l'impression de finir un marathon. Mes gamins sont hilares. Ils auront des trucs à raconter en rentrant.
Bref, je me rends compte que je suis la reine de la digression et que je n'ai toujours pas parlé du livre d'Emmanuelle Lambert (mai je voulais vous préciser que mon rapport à Giono et à son oeuvre est un peu particulier, un brin viscéral peut-être...)
Une biographie de Giono. Bon. J'en ai déjà lu pas mal. Oui mais celle-ci, elle est vraiment bien. Ah d'accord. Allons-y. Voilà comment je suis entrée dans l'oeuvre...
Comme je me suis régalée ! Et ce, pour plusieurs raisons : un, c'est un texte vivant, personnel, sensible (et rien ne me touche plus que le lien qu'un lecteur entretient intimement avec une oeuvre), puis, c'est un texte qui ne cherche pas l'exhaustivité (on s'en moque) mais plutôt, le coeur, l'essence, l'esprit de l'oeuvre et de l'auteur, un texte qui sait s'attarder sur ce qui à première vue pourrait sembler être un détail mais qui en réalité est lourd d'un sens qui n'apparaît pas au premier regard et puis, Emmanuelle Lambert, et c'est bien là l'essentiel, a compris Giono, a compris son oeuvre (et en plus, on est d'accord… donc elle a raison, n'est ce pas? Oh ces mots sur Un Roi « les plus aguerris portent dans leur coeur Un roi sans divertissement, livre étincelant de blancheur, enrobé dans un désespoir calme. le point final apposé auprès du mot « chef-d'oeuvre ») Elle évoque aussi cette maison dont je vous ai très longuement parlé (inutile de vous dire que j'ai lu ces pages avec beaucoup d'émotion et adoré que me soient données des précisions sur l'alarme, la clenche montée à l'envers…) C'est tellement vrai que cette maison tient « du mémorial et de la location de vacances »… Lors de notre visite, on nous avait dit que la maison avait été rachetée par la mairie, qu'on ne rentrerait plus comme ça dans les pièces, qu'il y avait eu des vols. Visiblement, Emmanuelle Lambert y est allée un peu après nous, au moment du grand déménagement.
Et puis, j'ai appris des choses, l'une en particulier m'a éclairée. Et j'ai mieux compris ce que je pressentais, ce que j'avais deviné… Jusque là, un morceau du puzzle n'entrait pas. Il me restait une pièce que le livre d'Emmanuelle Lambert m'a enfin permis d'emboîter. Je ne vous dirai pas laquelle. À chacun sa part de mystère… Il m'a fallu du temps pour la trouver. Vous allez, avec Giono, furioso prendre un sacré raccourci ! Veinards !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Quand Emmanuelle Lambert écrit : « Giono s'est tant laissé aller à son goût de l'auto-invention qu'on le perd légèrement en route : lovés dans la chaleur de sa parole, pris dans le plaisir de se laisser mener au bout du compte, on oublie les livres, on inverse l'ordre des priorités. », elle ne croit pas si bien dire, elle aurait pu écrire tellement sa phrase le suggère : pris dans le plaisir de se laisser mener au bout du conte.
Dans son Giono furioso, elle rappelle à chacun a son Giono, un Giono multiple que l'on découvre différent à mesure qu'on le lit mais aussi à mesure que l'on vieillit que l'on gagne en sagesse ou en extravagance.
Elle regarde l'homme Giono, ce moqueur à la pipe dont le regard vous dévisage avec un rien de goguenardise comme s'il vous défiait de le débusquer. La photo du N° 100 de la revue l'Arc consacrée à Giono est révélatrice de ce regard facétieux et mérite le détour https://www.babelio.com/livres/LArc-N-100-Jean-Giono/716513.
En nous faisant partager son amour pour Giono, Emmanuelle Lambert interroge le lecteur sur sa propre passion ou sa détestation de Giono.
Loin de l'homme de Manosque ou du provincial, elle présente son Giono, un Giono écrivain reconnu par la littérature, ses auteurs les plus prestigieux - Malraux qui le considère comme « cette eau de source du roman » - Paulhan, Gide et ses éditeurs phares Grasset et Gallimard.
La leçon du livre est qu'il faut garder son propre Giono, celui dont Emmanuelle Lambert a lu le chant du monde dans un collège de la banlieue parisienne – au pied d'une ligne de RER - dont elle dit « Nous n'y avons strictement rien compris. », elle avait douze ans, et dont elle écrit maintenant qu'il est un « apôtre de l'écologie avant la lettre. » osant écrire à l'époque nous n'avons « pas plus de droit que la bête. »…Une phrase qui sonne dans l'époque actuelle.
Elle nous parle aussi du Giono dont la mère lorsqu'elle évoque ses livres « les prend pour de la rigolade », du Giono dont le père avait prophétisé « tu te tromperas comme moi. », du Giono pacifiste et soupçonné de collaboration avec l'occupant.
Alors qu'elle est dans la maison de Giono en compagnie de l'association des amis de l'auteur, Emmanuelle remarque une étiquette apposée par une de ses deux filles sur un tiroir « papa en vrac ».
Je partage cette idée d'un Giono « En vrac », qui se livre à nous sans artifices.
Plus jamais ça nous dit Emmanuel Lambert « (…) on dit Giono et l'affaire est dans le sac. « Ah oui, Giono » (air pénétré). »
Un des meilleurs livres sur Giono qui n'ait jamais été publié. Qu'on se le dise !

Lien : https://camalonga.wordpress...
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J'ai adoré cet ouvrage de la main d'Emmanuelle Lambert. Elle évoque la vie de Jean Giono sans en dresser la froide biographie. Sa vie et son oeuvre dois-je préciser, ou plutôt sa vie à partir de son oeuvre. Ses ouvrages les plus connus comme ceux restés presque confidentiels. Ces derniers surtout dans lesquels elle est allée dénicher les pans les plus intimes de la personnalité de l'écrivain. Ceux qui à défaut de briguer la célébrité dévoilent des dessous, des travers aussi bien que des qualités étouffées par la pudeur. Comme cet amour qu'il vouait à son père, sans jamais le dire ou l'écrire, ou celui dirigé vers son ami Louis dont la guerre a enseveli l'innocence dans la boue des tranchées. Autant de sentiments qu'il faut trouver entre les lignes, ou dans ce regard un brin malicieux de son auteur.

Emmanuelle Lambert fait naître une intimité avec son sujet. Elle s'adresse à lui dans cet ouvrage, lui témoigne son assentiment quand il se déclare pacifiste après la première guerre mondiale, écologiste avant l'heure quand il voit ses contemporains mépriser les campagnes, mais elle l'admoneste aussi quand il a une position beaucoup plus ambigüe durant la seconde guerre mondiale. Mais toujours elle admire l'auteur. Elle aime celui qui sait parler au coeur, trouver et arranger les mots qui font vibrer l'être intérieur. Elle l'intronise comme l'un des plus grands stylistes de la langue française.

Formidable ouvrage fait d'une écriture riche, érudite et sincère. Un ouvrage très personnel quand Emmanuelle Lambert entremêle des pans de sa propre vie dans sa démarche à la rencontre d'un Giono qu'elle est allée dénicher dans ses murs à Manosque. Regrettant que les palmiers qui font le décor de certaines photos de l'auteur soient dévorés par le parasite qui a gagné toute la Provence. C'est une partie de Giono qui se dissout dans le temps. Son ouvrage à elle a lui aussi ses tournures poétiques et allégoriques qui lui confèrent la chaleur de l'amitié. Si ce n'est plus. Ouvrage d'une passionnée à l'égard d'un écrivain pétri d'émotions. Avec cette pointe d'amertume à l'égard de l'espèce à laquelle il appartenait quand elle se fourvoyait dans la guerre ou dans la destruction de son milieu de vie. Très bel ouvrage, incitatif à se précipiter vers ceux de son sujet pour se frotter à l'âpreté des caractères de personnages qu'il a si bien dépeints.
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Emmanuelle Lambert, commissaire de l'exposition en honneur à Jean Giono et son oeuvre, et qui ouvrira ses portes le 30 octobre prochain au MUCEM de Marseille, se décide à écrire un essai sur cet auteur emblématique. Je peux d'emblée vous dire que j'en ressors conquise.

Jean Giono est incontestablement l'une des grandes figures de la littérature du vingtième siècle. Qui ne connaît pas ce grand auteur, duquel on a lu tant de livres, parfois avec un ennui poli lorsque nous étions jeunes, tout comme l'auteure, mais en apprivoisant peu à peu ce style si particulier ? C'est d'ailleurs grâce à l'enthousiasme immodéré de l'un de ses professeurs, monsieur S., que l'auteure admet ne pas avoir renoncé à découvrir Giono plus tard.

C'est un bel hommage que va ici livrer Emmanuelle Lambert à cet auteur. Elle ne va pas se contenter de consacrer son essai à l'oeuvre de l'écrivain, mais elle mettra également en avant la source de ses écrits. Lorsque l'on évoque Giono, on pense immanquablement à la lumière, à la Provence, mais Emmanuelle va mettre en exergue cette part d'ombre qui ressort des romans, cette obscurité qui, sans elle, ne permettrait pas à toute la luminosité de l'oeuvre de Giono de ressortir. Il y a une véritable dualité que l'auteure nous explique avec finesse et clarté.

Rédiger un essai sur un écrivain nécessite une parfaite connaissance de ses oeuvres. Et il faut dire que l'auteure a excellé dans ce domaine, maîtrisant les écrits de Giono à la perfection. Elle connaît son sujet et c'est essentiel pour une parfaite immersion du lecteur.

En marchant dans les pas de Giono, Emmanuelle Lambert va nous rapprocher de lui, et laisser de côté la part uniquement écrivaine de l'auteur. Elle va nous présenter diverses facettes, qu'elles soient humaines ou sociales, de cet auteur au quotidien si riche. J'ai tour à tour découvert une personnalité sensible, complexe, lumineuse, mais également avec ses parts d'ombre. Pour Emmanuelle, Jean Giono est le « furieux » et cette fureur de vivre se reflètera tout au fil des pages.

La plume est sublime. Tantôt délicate, tantôt furieuse, elle s'harmonise à la perfection avec le sujet du livre. L'auteure parsèmera son essai de quelques réflexions personnelles que j'ai trouvées fort intéressantes, et nous livre une analyse des oeuvres de Giono, avec beaucoup de respect, d'admiration et de justesse.

Cet essai constitue un magnifique hommage à la mémoire de Jean Giono, l'une des grandes figures littéraires du vingtième siècle. Sous une plume sensible et furieuse à la fois, et grâce à une connaissance exhaustive de l'oeuvre de cet écrivain, Emmanuelle Lambert nous livre ici un document de poids, qui mettra en exergue bien d'autres facettes de Giono que celle du simple écrivain. Une réussite.
Lien : https://mavoixauchapitre.hom..
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« Giono »
On dit de lui, c’est un solaire. Un amoureux des hommes, des bêtes et de la nature, aux jambes plantées droit dans la terre. On dit, Giono, sorcier de la langue, conteur, poète traversé de légendes comme on en racontait au pays lorsqu’il était enfant. Elles sont des temps lointains, des origines où l’on croyait au cosmos. L’homme s’y sentait petit. Posé tout nu sous le ciel étoilé, il était pris dans l’immensité qui l’englobait, l’avalait, le digérait, par-dessus l’espace et par-delà le temps. Alors, nous savions qu’il y avait des choses plus grandes que nous-mêmes, et qu’on entend dans le vent.
Il vient de là, Giono. C’est une image ancienne, une aquarelle aux couleurs naïves et bientôt effacées. Les pieds dans le sol, il tend le menton à l’air du Sud. Les cheveux clairs et ondulés sont peignés en arrière, et pour un peu, pour rendre l’image vraiment parfaite, on lui ceindrait le front d’une couronne de laurier. Ses yeux pâles sont clos. Il renifle la brise qui fuse dans les arbres, là-bas, au pied des montagnes. Les fruits qui, en s’ouvrant, éclatent, il sait les entendre. Il connaît dans sa chair la chaleur qui monte et le tremblement de la colline. Et il écrit.
Il écrit tout, la pierre, la lavande, la terre ocre, les fleurs, les rivières, les bosquets, les bois et les pins odorants, maître en son domaine où s’ébrouent bergers, paysans, artisans, femmes, enfants. Et taureaux, chiens, vaches, moutons, sangliers, poissons, grenouilles, cochons, truies, chèvres, biches, oies, cerfs, loutres, écureuils, loups, chevaux, chats, marmottes, renards, crapauds, lièvres, serpents. Oiseaux, des oiseaux, par milliers. Rien n’échappe à son œil, pas même les fourmis.
Il écrit tant qu’on le croirait fou, possédé par l’urgence de pondre des chefs-d’œuvre à la pelle, l’un après l’autre, telle une déesse primitive engendrant les premiers hommes à la queue leu leu, prêts à partir au combat, lequel, on ne sait encore, il y a toujours un combat à mener pour un homme en vie.
Il écrit des livres pleins ; ils débordent, ils explosent de gros temps qui approche, d’épidémies menaçantes, de maux qui accablent les hommes (inondations, éboulements, incendies), d’arbres qui ploient et de fleuves à franchir, de périples dans la neige, d’échappées sur des toits. D’aventuriers en cape, en canne et en chapeau, de femmes à cheval, de temps lointains, d’histoires d’amour charnel, filial, amical. Chacun est une odyssée, une aventure, une cavalcade. Ces livres agités ne finiront pas sages, endormis sur une étagère. Littéralement, ils déboulent.
On dit aussi, Giono, c’est la beauté de la langue et du chant. On en a les preuves, dans les livres, mais aussi dans les enregistrements. Accent. Débit. Sa voix surgit du passé. Giono a publié son premier livre, Colline, en 1929. C’était il y a quatre-vingt-dix ans.
Les écrivains, alors, avaient dans la gorge la terre d’où ils venaient. Colette roule la Bourgogne, Genet traîne le Morvan, Paulhan pointe, aigu, et les lettrés, les éduqués, déjà n’ont plus d’accent, déjà, après guerre, ils commencent à parler tous pareil. Un jour, ils écriront des livres tout lisses, tout blancs, des livres de culture hors sol et qui seront parfois très beaux.
Lui, il charrie dans sa voix le troupeau des ancêtres et le souvenir des lieux. La brûlure du soleil qui pleut, l’ennui des insectes qui bourdonnent les jours d’été. Et le vent. On ne dit pas que, sur les photos qui nous restent de lui, il nous regarde comme s’il se payait notre tête. Si on l’observe attentivement, on lui trouvera un air à la fois bonhomme et détaché, un air narquois. Mais enfin non, c’est impossible, Giono c’est la poésie, la Provence. Cela, on le dit volontiers. L’Italie. La chaleur. On dit, l’humanité.
Et pourtant, regardez bien ce regard d’amande. Ce nez busqué, ces lèvres minces qui jamais ne sourient en plein. La manière dont il tient le corps en retrait, derrière sa pipe, à demi caché dans la fumée. Ou alors il pose comme l’écrivain qu’il est, mettant ses mains en valeur, et la plume et le sous-main, le bureau, le manuscrit. Le plaid.
Et toujours ce demi-sourire, derrière les lèvres pincées. Tendez l’oreille, vous l’écouterez nous dire : « Vous en voulez, de l’écrivain ? En voici. » Oui, on ne le dit pas, mais on dirait bien qu’il se fout de nous.
Son air faussement aimable me confirme dans mon tempérament méfiant. Il me semble en effet que la première disposition à avoir, lorsqu’on s’attaque à l’œuvre d’un écrivain, est de tenir l’écrivain lui-même à bonne distance. Surtout s’il sourit comme ça.
Pour l’exposition qui m’a été commandée, j’ai un but, un « agenda » comme disent les Anglo-Saxons, en ajoutant un soupçon de sournoiserie (ou de stratégie) à l’affaire : rendre intelligible le sujet Giono, mettre un ordre dans le désordre de l’écriture, les contradictions des déclarations, les images successives, les témoignages. Composer avec le bruit du temps et de la postérité. Tracer une ligne ou un propos, offrir aux autres une vision et leur faire saisir le mouvement de la création, la beauté du style et la chair de l’homme qui a écrit.
Il peut bien continuer de sourire, il n’est là qu’en pensée, s’amusant par-dessus mon épaule. Il est mort voilà cinquante ans.
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C'est au collège que nous avons lu, pour la première fois, Jean Giono. Nous n'y avons strictement rien compris.
Je me souviens du -Chant du Monde-, de ses longues phrases et d'une réalité qui m'était parfaitement, hermétiquement étrangère. La montagne. Les radeaux. Les paysans. Tout cela était loin dans l'espace et dans le temps, le livre charriait des mots, des métiers et des lieux disparus ou inventés. Nous n'étions pas coutumiers d'une langue si vivace. (...) Disons-le : à la première lecture, tout cela m'a beaucoup ennuyée. (p. 98)
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Dans ma bibliothèque, on trouve, au premier rang, au moins deux poètes autodidactes et merveilleux façonnés par leurs lectures grandioses. Leur langue est une chose si personnelle qu'on ne peut les rapprocher d'aucun de leurs contemporains.Littérairement, Ils sont sans famille.
il y a vous, Giono, et votre cadet de quinze ans, Jean Genet. (...)
Si vos oeuvres n'ont rien à voir, votre rapport à la langue et à la culture est le même : il est strictement, rigoureusement intime. vous vous foutez tous deux des passages obligés. On ne vous commandera pas.

Vous avez d'ailleurs atterri dans la même prison militaire, à Marseille, à un an d'écart. Aujourd'hui, vous avez tous deux des manuscrits dans les archives de la Bibliothèque nationale et un dossier dans celles de la justice militaire. Tous les deux, vous n'êtes pas bien commodes. (p. 59)
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On peut sans trop s'avancer dire qu'en termes de chaleur maternelle, de protection, de fusion, on a vu mieux. Si ces qualités, culturellement attendues chez les mères, sont déniées à Pauline, c'est aussi parce qu'elles sont attribuées à Jean-Antoine. C'est lui qui remplit la fonction éternelle de soin: il lave, soigne, rassure et veille. (...)
Sur les photos de sa famille, il a ainsi souvent un bébé ou l'autre dans les bras. Ses petites filles, il les touche, les soulève, les embrasse, quant tant d'hommes de sa génération ne s'intéressaient aux enfants qu'une fois doués de langage et d'autonomie. C'est un père charnel. (p. 118)
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La guerre profite au capital. Pas à la vie, pas à l'avenir. Et dans "Recherche de la pureté", une fois qu'il a compris que la chair tendre des enfants jouant au soleil n'est que "viande bouchère", une seule chose lui reste à faire : "pleurer".

Son pacifisme n'a rien d'une philosophie de planqué, comme il serait aisé de le croire depuis aujourd'hui, tant il est simple de crier à l'irresponsabilité d'autrui quand on n'a jamais eu à risquer sa peau. C'est le cri de désespoir de celui qui dit ce que la guerre fait : rien, sinon déshumaniser les humains, et engraissent les industriels. (p. 152)
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Vidéo de Emmanuelle Lambert
Colette by Deborah Levy, Michèle Roberts, Emmanuelle Lambert & Diana Holmes. Once a figure of scandal, now a literary icon – Colette (1873-1954) is being hugely celebrated in France as 2023 marks the 150th anniversary of her birth. Acclaimed authors Deborah Levy, Michèle Roberts, Emmanuelle Lambert and Diana Holmes join the celebration with a discussion on her colourful life but above all on her luminous writing, with its implicit feminism and affirmation of a profound joie de vivre. Fri 19 May 2023 - 6.30pm, French Institute, London
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Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

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