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EAN : 9782493213310
368 pages
NOUVEL ATTILA (18/08/2023)
3.01/5   279 notes
Résumé :
L’éblouissante Céline Wachowski, architecte de renommée internationale, dévoile enfin le Complexe Webuy, un projet ambitieux et structurant; surtout, le premier grand projet public qu’elle réalise pour Montréal, sa ville. Pourtant, les critiques de la population et de groupes militants ne tardent pas à fuser : on accuse Céline de détruire le tissu social, d’accélérer l’embourgeoisement des quartiers, de péchés plus capitaux encore. L’architecte est prise dans la tou... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (53) Voir plus Ajouter une critique
3,01

sur 279 notes
* ALERTE DAUBE *

Ca y est, je la tiens, la fameuse daube encensée de la rentrée littéraire. Chaque année, il y en a au moins une, cette fois, là voilà ! Je devrais d'ailleurs cesser de dire DAUBE, car la daube, c'est quand même un bon ragoût alors que ce bouquin est proprement indigeste et sans saveur.
Qu'est-ce que je me suis emmerdée ! 355 pages sur 355. C'est pas qu'il y en ait une qui m'ait plus attirée que l'autre. C'est d'un plat.

Je vais quand même vous raconter ce qu'il se passe là-dedans.
Céline W. Est architecte. pas le petit architecte, non la superstar internationale de l'architecture qui possède sa société d'archi. Bref, la Calatrava de Montréal. Elle est hyper riche et a plein de copain, qui comme elle, sont super riches, connus, influents. Sa petite fête, elle est pleine de beau monde.
Un jour la société américaine Webuy lui demande de construire un building. On choisit Montréal pour faire ce joli bâtiment et patatras, c'est dans un quartier populaire. On va devoir exproprier 10 personnes pour construire.
S'ensuivent des manifestations, une diabolisation de Céline. Oui, apparemment au Québec quand ils ne sont pas d'accord avec le bâtiment, ils s'en prennent à l'architecte mais pas au maitre d'oeuvre.
Cette pauuuuvvvrrree pauuuvvvreeeee pauuuuvvvrrrrre Céline va se faire mettre à la porte de son entreprise par le Comité, et se faire ravager sa maison peuplée d'oeuvres d'arts par des jeunes manifestants pendant sa fête d'anniversaire.

Pour faire nouvel auteur en vue adepte de Proust, on nous fait des phrases d'une page. Là où chez Proust c'est délicieux, ici on a la sensation du collégien qui confond les points et les virgules.

Niveau fond, je le cherche encore "TU ES OU ???? LE FONDDDDD ???? ALLEZ MONTRE TOI !!!!". J'avais pensé d'abord à la gentrification où l'on repousse les masses populaire à l'extérieur des villes. Si c'est ça c'est tellement mal traité que l'on n'en a rien à kicker. Ensuite vient la vie des hyper riches ("Pour rentrer tu peux prendre mon avion, ça me fera plaisir!") et la fameuse comparaison avec les personnages de Proust dans lesquels on ne travaille pas, mais que maintenant les très riches ils travaillent 12 heures par jour et donc ils ont perdu le goût de ne rien faire. Les pauvres....

Bref, le roman creux et ronflant qui permet de se passer Sediplus sleep forte. Mon seul bonheur concernant cette lecture est d'être arrivée au bout et de pouvoir passer à autre chose.
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« Nous devons protéger les intérêts des minorités, et les riches sont toujours moins nombreux que les pauvres ». Après deux romans pointant les inégalités du point de vue vengeur des perdants, le Québécois Kevin Lambert annonce la couleur dès cette épigraphe empruntée à John A. Macdonald : cette fois, nous voilà invités chez les nantis, ceux qui voudraient surtout que rien ne change, pour que leur joie demeure.


Céline Wachowski, célèbre et richissime architecte montréalaise désormais sexagénaire, se retrouve au coeur d'une polémique suffisamment violente pour la faire chuter. Elle, si sûre de sublimer la vie des gens par la grandeur de ses réalisations, est accusée de gentrification au cours de ce qui tourne peu à peu à un lynchage médiatique en règle. Mais cette violente remise en cause suffira-t-elle, sinon à la ruiner, au moins à ébranler ses certitudes ? Rien n'est moins sûr...


Comme une pièce en trois actes, le récit s'étage entre l'avant, le pendant et l'après de la crise. L'on découvre d'abord, à l'occasion d'une très mondaine fête d'anniversaire, un tableau tout en subtilité, jamais satirique ni caricatural, d'un sélect entre-soi d'artistes, de personnages politiques et de dirigeants de grandes entreprises, tous très en vue et influents, moulés dans les mêmes attitudes par les mêmes références, mais s'ennuyant ferme quand il ne s'agit plus directement de leurs ambitions personnelles et de leurs intérêts financiers. Une fois la mesure prise de cette caste de privilégiés si narcissiquement convaincue de ses mérites et de sa supériorité, il est maintenant temps de s'intéresser de plus près à l'une des invitées, cette « starchitecte » peut-être d'autant plus sanglée dans la suprématie de son autorité et de son prestige que d'extraction populaire – comme son bras droit gay et d'origine haïtienne – et en proie aux affres de la création artistique. le temps de s'appesantir sur l'avantageuse image qu'elle se fait d'elle-même et sur la genèse de l'ultime projet qui doit couronner sa carrière en lui assurant enfin la seule consécration qui lui manque encore – fâcheuse vexation, sa propre ville lui boude encore la reconnaissance que le reste du monde lui accorde –, et là voilà, d'abord violemment confrontée à la contestation des Montréalais expropriés pour sa gloire, puis égratignée par des révélations médiatiques peu flatteuses pour son ego, enfin bien vite lâchée par ses pairs. Extirpée de sa bulle ouatée de privilégiée, son sentiment de toute-puissance écorné, tirera-t-elle les leçons de cette confrontation à la réalité existant au-delà de sa mégalomanie ? C'est une autre célébration d'anniversaire qui marque la dernière partie du roman. L'on s'apercevra que, loin de lui avoir ouvert les yeux, l'épreuve n'aura que trempé plus encore sa détermination à se refaire, quitte à mordre à son tour sans vergogne pour défendre son apanage.


Si terriblement ennuyeux soit-il, de molles longueurs en harassantes phrases serpentines se réclamant sans doute d'une influence proustienne – les références au grand oeuvre de l'écrivain lui rendent un hommage appuyé –, le roman impressionne par la subtilité de ses observations. Se gardant de prendre parti, déjouant tout jugement politique, le texte préfère s'attacher au portrait, dans toutes ses nuances et ses complexités, surtout avec ses ressorts et ses raisons, de cette coterie de puissants qui ne fera jamais que tolérer, du haut de ses étroits remparts, une transfuge de classe et un gay à la peau noire. Ne parlons donc pas des revendications égalitaires qui peuplaient les précédents romans de Kevin Lambert : l'on comprend ici qu'elles sont totalement et désespérément hors sujet et que, contrairement à Proust qui croyait au déclin de la suprématie bourgeoise et aristocratique consécutivement à la première guerre mondiale, l'inébranlable pérennité des (dés)équilibres de la société garantit pour longtemps que la joie des plus puissants demeure.

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Des trois romans de Kevin Lambert, c'est sans doute celui que j'ai le moins aimé – ce qui signifie que je l'ai « juste » trouvé excellent : il faut dire que la barre était placée démesurément haut avec Querelle de Roberval, alias ma plus grosse claque littéraire de ces dernières années.

Céline Wachowski, célèbre architecte montréalaise, dévoile le projet censé être le couronnement de sa carrière : le complexe Webuy (équivalent d'Amazon dans l'univers du roman). Rapidement, la controverse éclate quant aux retombées sociales du projet – à la grande surprise de Céline qui, bien qu'ultrariche, se considère encore comme étant de gauche…

L'histoire se découpe en trois parties, qu'on pourrait très grossièrement résumer à « avant, pendant et après » le scandale. La première partie, qui décrit une fête mondaine sur près de cent pages, m'a d'abord parue moins forte et plus longue à démarrer que le plongeon brutal dans les deux romans précédents de l'auteur. Une impression d'autant plus marquée que Kevin Lambert, avec les très longues phrases de cette première partie, rend à l'une de ses autrices fétiches Marie-Claire Blais un hommage stylistique un peu trop appuyé pour mes goûts personnels.

Il m'a fallu arriver à la deuxième partie pour être véritablement rassurée – enfin, rassurée, façon de parler. Disons plutôt pour retrouver ce qui m'avait tant plu dans Tu aimeras ce que tu as tué et dans Querelle de Roberval : l'impression d'assister, phrase après phrase, à une implacable succession d'événements, marqueurs d'une violence sociale inouïe, jusqu'à un point insoutenable où le drame ne peut qu'éclater. La troisième partie renoue stylistiquement avec la première, mais cette fois, la lecture a coulé toute seule, soit parce que cet aspect est moins marqué, soit parce que j'étais véritablement rentrée dedans.

La plongée dans la psychologie des personnages et l'analyse sociologique est encore une fois incroyable et percutante. L'auteur a le don pour nous dépeindre la réalité intérieure des personnages, leurs failles, leurs distorsions cognitives, l'influence plus ou moins consciente et assumée de leur milieu social, et les idées toutes faites qu'iels ressassent et auxquelles iels se raccrochent en croyant mener de profondes réflexions intellectuelles sur la société (on se reconnaît parfois là-dedans et c'est assez embarrassant). On avait déjà cet aspect dans Querelle de Roberval avec des personnages issus des classes populaires. Mais ici, l'auteur nous montre que les classes supérieures, si instruites et éduquées soient-elles, n'échappent pas à ce travers – et c'est même pire, dans la mesure où leur instruction, leur éducation et leur richesse les amènent à se croire plus intelligent·es que les autres, alors qu'iels ont simplement plus de pouvoir. Et même leurs bonnes intentions et leurs bonnes actions ne suffit pas à compenser les ravages que cause le simple fait qu'iels soient si riches.

Avec le dénouement, Kevin Lambert semble vouloir éviter de faire redite avec ses romans précédents ou de tomber dans une surenchère grotesque après Querelle de Roberval. Les choses sont amenées plus subtilement, la violence est plus insidieuse, parfois même pas perçue comme telle par les personnages – et c'est là tout le point du roman. On gagne en finesse ce qu'on perd en catharsis. Étrangement, c'est une des raisons pour lesquelles je pense que des trois romans de l'auteur, c'est celui-ci le plus abordable pour le grand public, bien qu'il soit (à mon avis) le moins percutant.
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Architecte et femme d'affaires célébrissime, role-model pour plusieurs générations de femmes et star d'une série Netflix, Céline Wachowski est au sommet de sa gloire. Pourtant, son empire est sur le point de vaciller.

Dès les premières lignes, on sait qu'on a affaire à un roman très écrit : ces longues phrases tourbillonnantes qui semblent s'enrouler sur elles-mêmes, ce style tellement secoué de fulgurances qu'on peine à reprendre ses esprits. Les choix syntaxiques virevoltants de Kevin Lambert nous plongent dans un flux sans répit entre les chapitres, nous précipitant au coeur d'une fête capiteuse. Une vraie fresque, saisie dans l'instant, du monde des nantis avec leurs rôles et leurs apparences, leur satisfaction d'eux-mêmes et le vin qu'il faut boire jusqu'à la lie. J'ai lu les 80 premières pages d'un trait et mon malaise est allé croissant face à ces puissants obsédés par une chose : que rien ne change et que leur joie demeure.

Ensuite il y aura la controverse sur le nouveau projet de Céline, celui qui devait couronner sa carrière mais qui pourrait bien, finalement, la faire tomber. Elle s'est toujours appliquée à fermer les yeux sur le revers de la médaille de ses grands complexes élégants – édification de vitrines pour des clients peu regardants sur le plan éthique, rythme de travail stakhanoviste, gentrification, optimisation fiscale, etc. Mais ceux qui en souffrent vont se rappeler à elle de la manière la plus douloureuse possible.

Le troisième acte est une sorte de miroir du premier puisque nous assisterons à une nouvelle fête qui nous donne à voir les traces laissées par la tourmente.

J'ai aimé l'épaisseur des personnages, la restitution de l'autosatisfaction des hommes et femmes d'affaire, les forteresses justificatives qu'ils convoquent en défense de leurs privilèges. Céline, notamment, est tiraillée entre la fierté de l'empire construit à la force du poignet et la culpabilité qui la ronge, des réflexes bien entraînés de mise à l'écart du syndrome de l'imposteur et une sensibilité à fleur de peau, la rage de résister et la tentation d'emporter d'autres milliardaires dans sa chute. C'est prenant car nuancé, on ne sait pas dans quelle mesure les clameurs de protestation feront mouche et comment cela se terminera. J'ai trouvé l'épilogue saisissant.

Je serais plus réservée sur la crédibilité du scénario. J'ai pris ce roman comme une expérience de pensée parce que dans la vraie vie, la joie des riches se porte comme un charme, merci beaucoup. On imagine mal une femme d'affaires de l'envergure de Céline sérieusement affectée par les militants opposés à la gentrification et aux inégalités, qui prêchent dans le vide depuis des décennies. Ce n'est pas un sujet qui fait vendre des journaux ou qui génère du clic. Or dans le roman, les personnages semblent presque ne parler que de ça. Et je me suis lassée en lisant le dernier tiers. Ces pages m'ont appris une foule de choses passionnantes sur les réflexions artistiques, sociales et politiques qui traversent le travail architectural mais elles sont d'un sérieux à faire trembler un gratte-ciel.

Ce roman sort résolument des sentiers battus, il m'a séduite par sa plume trempée dans le vitriol qui montre si bien l'ambiguïté de l'art architectural et la manière dont le capitalisme trouble le discernement de celles et ceux qui en profitent. Mais j'imagine aisément que ce texte, en lice pour le Goncourt, ne fera pas l'unanimité.
Lien : https://ileauxtresors.blog/2..
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Un roman audacieux, une charge contre l'entreprise dont la seule morale devient la rentabilité pour les actionnaires.

Une première partie en un seul chapitre, dans une soirée pipole, mais décrite sur un ton tout à fait anti-pipole, hypocrisie et conventions sociales, vulgarité et excès de toutes sortes.

On y constate une ignorance envers les moins nantis et peut-être un certain mépris. (Comme dans l'actualité québécoise où une certaine ministre de l'habitation, devant les plaintes des gens qui peinent à trouver un loyer abordable, leur recommandait simplement « d'investir dans l'immobilier ». Des propos qui lui ont valu d'être qualifiée de Marie-Antoinette…)

Une seconde partie d'une écriture plus convenue, des chapitres et des péripéties. Une architecte mondialement célèbre, un projet controversé, elle devient un bouc émissaire. Comment réagir ? Que va faire le conseil d'administration ? Une victime à sacrifier ?

Une troisième partie reprend l'écriture continue de la première. On y trouve les magouilles financières, l'ironie cinglante face aux riches : « je me sens coupable, mais ça ne m'empêche pas de vous envoyer mon avion privé ».

Un roman fort (et fort intéressant), mais une forme complexe qui pourrait rebuter. de plus, bien que le propos ait une portée universelle (mondialisation oblige…), de subtiles références à des personnes ou des situations réelles que l'auteur québécois glisse dans son texte pourraient échapper aux lecteurs d'autres pays.
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critiques presse (11)
Culturebox
10 novembre 2023
Avec son écriture immersive, Kevin Lambert fait pénétrer le lecteur dans les secrets bien gardés de la classe dominante. Avec ce troisième roman, il offre une peinture édifiante des puissants de ce monde, à travers le portrait de son héroïne Céline et de ses proches.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LePoint
10 novembre 2023
Dans son rendu de la démesure qui frappe les grands de ce monde, propulsés dans des bulles spéculatives susceptibles d'éclater à l'instant, Kevin Lambert fait penser à un jeune Balzac ayant l'accent de Xavier Dolan.
Lire la critique sur le site : LePoint
Bibliobs
27 octobre 2023
Portrait d’une architecte star et de son microcosme, ce roman de l’écrivain québécois vaut bien mieux que la polémique qui l’a opposé à Nicolas Mathieu pour avoir eu recours à une « sensivity reader ».
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Culturebox
20 octobre 2023
Sans répit, souvent au bord de la noyade, le lecteur est contraint à l'apnée de bout en bout de ce roman puissant et asphyxiant, comme le monde qu'il décrit.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LeMonde
16 octobre 2023
Un roman qui fait de l’asphyxie un régime de lecture prospère, à condition d’en accepter la dégringolade.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeMonde
12 octobre 2023
La bourrasque qui souffle sur le troisième roman de Kevin Lambert emporte tout sur son passage. Non contente de laisser ses personnages pantelants, elle s’en prend aussi au lecteur, ébouriffé par ce livre impitoyable.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LesEchos
09 octobre 2023
Derrière les questions éditoriales, le texte déçoit par ses insuffisances : son héroïne a beau s'appeler Céline, c'est la transposition maladroite de Proust qui heurte à la lecture.
Lire la critique sur le site : LesEchos
RevueTransfuge
03 octobre 2023
Dans la lignée de Proust qu’il cite, et de Tom Wolfe à qui il ressemble, il nous dépeint un monde où les « dominants » ne sont pas toujours si salauds, les indignés pas toujours si héroïques, et les cabales rarement grandioses. Un monde où chacun, à sa manière, court à sa perte, et à sa joie.
Lire la critique sur le site : RevueTransfuge
LaPresse
06 septembre 2023
"Que notre joie demeure", un roman engagé, très fouillé sur le sujet de l’architecture, discute des dérives de la classe dominante et de l’embourgeoisement à Montréal.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LeJournaldeQuebec
26 septembre 2022
Kevin Lambert nous fait entrer dans ses pensées et dans celles de son entourage en les présentant comme un ruban qui se déroule en phrases très longues et en paragraphes peu nombreux.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LeDevoir
05 septembre 2022
Avec Que notre joie demeure, l’écrivain de 29 ans risque, tout en poursuivant sa réflexion sur le capitalisme, de surprendre les lecteurs de ses deux premiers romans.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Citations et extraits (34) Voir plus Ajouter une citation
Si Proust s’est trompé quelque part, croit-elle, c’est précisément à ce sujet. Il a vu juste sur le passé mais s’est fourvoyé sur l’avenir. Toute la fin de la Recherche laisse planer l’idée d’une décrépitude, d’une déréliction des puissants, la Première Guerre mondiale aurait amorcé la lente agonie des aristocrates et des bourgeois qui se prennent pour des aristocrates, Marcel retrouve ses anciennes connaissances vieillies, maganées par la vie, ils ont perdu leur éclat d’antan, la mort se donne à lire sur les visages, on n’avait pas encore inventé les chirurgies esthétiques à l’époque, aujourd’hui le narrateur aurait retrouvé la Guermantes liftée, la peau lisse comme une vingtenaire, la Verdurin aurait des fesses brésiliennes, Charlus serait accro aux liposuccions, il arborerait fièrement des abdominaux de silicone et des implants pectoraux, le narrateur aurait probablement essayé tous les traitements d’extension du pénis sur le marché, Céline rigole, mais pense sérieusement que Proust s’est fourvoyé en imaginant le déclin d’une classe sociale plus pimpante que jamais. Les millionnaires sont plus nombreux aujourd’hui qu’ils ne l’ont jamais été, Céline a vu leur nombre augmenter de manière impressionnante, surtout à Montréal, la ville n’a pas cessé de générer des fortunes, il y avait pas mal moins de riches à ses débuts, que des Anglais au centre-ville ou sur la montagne, Céline a été aux premières loges de l’apparition de richesses neuves, surtout à partir des années 1980, des populations ont commencé à se lancer sans gêne dans l’entrepreneuriat, de nouveaux visages sont apparus, leur argent n’a pas fini de mener le monde. Céline fait partie de la population qui s’est enrichie dans ce contexte favorable. Elle accepte de faire partie du groupe à condition de lui cracher dessus, elle n’adhère à aucune idéologie, à aucune communauté. Son plaisir est de faire rager les autres. Devant Nathan et Pierre-Moïse, Céline prétend mentir pour se divertir, pour se venger de ses ennemis, elle mène une entreprise strictement personnelle, faire chier celles et ceux qui la détestent l’enchante, son vice, ce qu’elle appelle son vice, est tout ce qui lui reste, elle en profite, l’exprime, le raffine. Elle se repaît dans la haine. Des connaissances lui envoient des messages de bêtises, l’accusent de traîtrise, les puissants sont fragiles, ils se sentent persécutés dès qu’on parle d’eux. Elle leur répond par des courriels effrontés, en citant une phrase de Shakespeare: «Hell is empty and all the devils are here. »
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Au fond les choses n’ont pas vraiment changé depuis l’époque de Proust, la plupart des gens du milieu des affaires se font croire qu’ils sont issus de nulle part, artisans de leur réussite, sans mentionner les parents médecins, banquiers, hauts fonctionnaires, les études dans les écoles privées de grandes villes, l’aristocratie existe toujours, plusieurs politiciens français qu’elle connaît ont des particules et poursuivent une entreprise de possession qui trouve ses origines au Moyen Âge, dans quelque baronnie acquise par les armes par des ducs du même sang que celles qui ne manquent jamais de vous révéler ces nobles origines, après deux ou trois rencontres, empreints d’une fausse humilité ou d’une honte exagérée (s’ils sont de gauche) trahissant un regret pour ces temps prémodernes, Céline peut presque entendre dans leurs voix les lointains pleurs des monarques d’autrefois se plaignant, juste avant d’être guillotinés, des aménagements légaux les ayant détrônés. Aujourd’hui on ne va plus en voyage à Balbec, ces stations balnéaires ont été prises d’assaut par les classes moyennes qui ont fini par imposer leur mauvais goût sur tous les bords de mer, on se trouve plutôt des lacs privés, surpeuplés et ravagés par les constructions humaines, à quelques heures d’une grande ville, dans lesquels on peut à peine nager en paix sans se faire rentrer dedans par un yacht, les embarcations pullulent sur ces eaux souillées dans lesquelles engraissent des algues toxiques gavées d’essence et de chardonnay renversé par accident. Proust capte les énergies d’un monde que Céline a fini par connaître, ses amitiés, ses collègues et ses clientes évoluent dans cet univers parallèle, au sujet duquel Proust écrit des choses hilarantes (parce que vraies), sur la nécessité de jouer la simplicité, par exemple, jeu qui coûte très cher, surtout qu’il faut indiquer aux autres qu’on pourrait ne pas être simple (c’est-à-dire très riche). Céline réalise au milieu du livre un trait frappant du monde de Proust: personne ne travaille. La foule de millionnaires qu’elle connaît ressemble à celle de la Recherche, à la différence près qu’aujourd’hui, les gens ne font que ça, travailler, c’est le seul sujet de conversation possible et la seule raison de vivre de beaucoup de monde, les riches de nos jours ne dorment plus, ne parlent que d’argent, n’ont plus d’intérêt pour la culture, ni même pour les mondanités, trop occupés qu’ils sont à bosser douze heures par jour, on a perdu le sens de la paresse, croit Céline, le plaisir de la discussion, l’art de l’oisiveté. Il est difficile pour elle de prendre une fin de semaine de congé sans répondre à ses courriels, sans ouvrir un document dans lequel jeter quelques notes pour un projet en cours; elle a des choses à apprendre des Verdurin et des Guermantes.
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« La seule résolution possible des paradoxes de notre temps réside dans la dépossession des puissants.»
On manque de nuance pour parler de la richesse, cela est palpable dans la manière dont nous accusons indifféremment les gens qui ont réussi, comme s’ils formaient une classe homogène, comme si avoir du succès était foncièrement mauvais, Céline veut recentrer l’attention sur les milliardaires, groupe méconnu dont elle fait partie, la plupart des problèmes que nous connaissons, les famines, la pauvreté, le manque d’accès à l’eau potable, les catastrophes climatiques pourraient être réglés si les très grandes fortunes sortaient un peu d’argent de leurs poches; il existe près de 3000 milliardaires dans le monde, les dix plus riches possèdent au-dessus de 100 milliards de dollars américains en fortune personnelle et en actifs; si on additionne la valeur de ces fortunes, nous atteignons environ 1500 milliards de dollars; le budget d’un pays comme la France est de 250 milliards annuellement; imaginons tout ce que nous pourrions faire avec une fraction de cet argent. Dans le documentaire qui paraît en avril, Céline présente ces idées dans l’épisode final. Elle interviewe des économistes, des philosophes et illustre leurs idées par un visuel instructif qui clarifie certains propos abstraits. Devant une salle remplie de jeunes gens triés sur le volet et qui boivent ses paroles, Céline rappelle avec assurance que des lois devraient limiter les chiffres abstraits qui engraissent les comptes en banque des hommes (ce sont surtout des hommes) les plus riches du monde, l’espoir d’une redistribution de la richesse mérite d’être défendu, on l’applaudit. Des règlements devraient être votés pour exproprier les propriétaires qui détiennent plus de cent logements, limiter la spéculation immobilière, les villes, soutient Céline, doivent investir pour fonder des modes d’habitation alternatifs, des coopératives ou des logements plus faciles à acquérir pour les premiers acheteurs. La distribution des rôles, dans notre monde, est inéquitable; Céline donne chaque année des dizaines de millions de dollars aux organismes de charité, pourtant elle n’arriverait jamais, dans une vie seule, à dépenser tout son argent – un peu moins de cinq milliards de dollars («which is not much from the point of view of many of my billionnaire friends»). Il faut pénétrer la forteresse imprenable de la grande fortune, Céline est la pointe de l’écharde qui ouvre le premier trou dans la peau avant que tout le morceau s’enfonce, elle rejoint ce vaste mouvement de transformation sociale, aménage sa place du bon côté de l’histoire et formule une idée claire: continuons de valoriser le succès, la réussite, la compétitivité saine, l’entrepreneuriat responsable, forces vitales du progrès, mais établissons collectivement nos limites. «We are in an urgent need of a global salary cap.» Un impôt confiscatoire. À combien Céline fixerait-elle ce maximum? demande Oprah. «Two or three billion is more than enough to recognize the involvment of hard working people and to offer them a gracious living», il faudrait débattre de ce montant bien sûr, laisser les différents partis s’exprimer; l’idée n’est pas d’envoyer les gens à la rue, mais de limiter les excès. Céline avoue avoir pleinement pris part aux logiques qu’elle dénonce, mais elle est touchée par une illumination divine. Parmi les somnambules elle s’éveille. Bien qu’elle soit devenue l’une de ces personnes choyées par l’existence, elle est issue d’un milieu modeste. CNN lui propose un poste de commentatrice régulière, elle signe des éditoriaux chaque fois qu’un scandale boursier éclate, Céline connaît intimement les rouages de la haute finance, elle parle en prenant son temps, son rythme casse la marche habituelle des actualités en continu, elle expose de manière pédagogique des enjeux comme l’effacement de la dette des États ou la multiplication des paliers d’imposition; en l’écoutant, on pense «dans quel monde scandaleux on vit», mais on ignore comment faire pour le changer.
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(...) n’est-ce pas la véritable révélation cachée dans la Recherche, qu’on heurte et qu’on fait tout pour ne pas prendre la mesure du mal causé, pour rester aveugle aux petites terreurs exercées sur les autres en se justifiant par le Bien, en se mettant du côté du Bien et en se convainquant soi-même de nos nobles intentions? Le seul salut possible, écrit Proust, est l’oubli, le lichen qui efface le nom gravé sur la tombe de nos crimes; les délires de l’auteur sur le temps retrouvé voilent, pense Céline, le véritable propos du livre, l’espérance d’une rédemption, le fantasme d’un lieu où n’existerait plus la souffrance des autres. On prend tellement de précautions pour ne pas faire de mal qu’on n’imagine jamais être aussi terrible que ces gens qui nous ont blessés et qui, dans nos esprits humiliés, adoptent des traits monstrueux, nous leur composons des masques repoussants parce que sommes bien pires qu’eux. On heurte, on heurte et puis on meurt, c’est tout. Il n’y a pas de rapprochement possible entre les êtres, pense Céline, sans ces collisions et ces dommages; chaque relation est un supplice enduré et infligé dont on ne se remet jamais. Toute la jalousie du narrateur de la Recherche, son anxiété, sa paranoïa quant à l’infidélité d’Albertine ne sert qu’à motiver son entreprise de torture, ses petites passions totalitaires, à fonder dans le Bien ses pièges, ses attaques et ses geôles. On croit répondre à une agression mais on agresse, on croit protéger du feu mais on brûle, on croit sauver de la noyade mais on retient sous la surface de l’eau le visage bleuté, étouffé qui nous tire vers le fond. C’est ce que révèle Proust. Nos craintes de faire le mal, comme nos défenses vertueuses, sont des formes déviées, des théâtres intérieurs qui nous détournent du mal commis, à chaque instant, à chaque geste, ce mal qui se répand et renverse le monde. La douleur des autres, leurs souffrances sont inconcevables, elles seraient trop perturbantes pour nos esprits fragiles, on est prêt à tuer pour ne pas voir la peine qu’on leur fait.
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Les conversations du trottoir tourbillonnent et gagnent
l’escalier de secours, montent à l’étage puis au suivant et
montent encore, dépassent les portes d’un ascenseur qui
s’ouvrent sur un couple en robes froissées par le vent, les
invitées se laissent porter par le courant d’air et réajustent
leurs tenues, en sortant elles sont déjà dans le sublime
appartement, plafonds hauts, moulures de bois, carrelage
de marbre blanc, il faut habituellement posséder une clé
pour enfoncer le bouton du dernier étage, mais ce soir,
l’appartement est ouvert et balayé par les bourrasques
qui se faufilent dans les corridors, se répercutent contre
les portes closes de chambres et de bureaux décorés avec
soin, des chapelles éteintes à la gloire de divinités qu’on
ne prie plus où chuchotent des agneaux en attente du
sacrifice sur les lits, les sofas, allongés sur le parquet
parfois, ils se refont la courbure de la colonne vertébrale
sur d’épais tapis en négociant une entente financière
ou amoureuse, le regard, le sourire, le rire éclatant font
figure d’offre ou de concession pour ces nouveaux ado-
lescents qui, la cinquantaine avancée, boivent enlacés et
complotent contre un monde qu’on aura tôt fait d’oublier
en lisant le ton emporté d’un courriel écrit trop tard,
12
vantant l’amour et l’espoir, ces puissances archaïques qui
déplaceront toujours monts et mers, dit-on, en chucho-
tant ils gardent un œil sur le rayon jaune qui filtre sous la
porte, j’ai peur qu’on nous entende, un rire étouffé d’en-
fant abusant de sa permission, mélodie d’une immortelle
joie qui les dépasse et les rassemble dans ce berceau
d’amour. Brillent près d’elles les lumières du corridor
qui laissent siffler dans la salle des fragments de plai-
sirs soudains et fugitifs. Plus loin, dans l’espace ouvert,
l’air se déverse en cascades sur un vaste salon haché de
courants contradictoires, de dépressions profondes et de
fronts froids donnant naissance à de furtives tempêtes,
le courant d’air lèche le plancher de pierre blanche avant
d’agiter les épais rideaux qui encadrent des fenêtres plus
grandes que les murs, d’immenses vitrines surplombant
le mont Royal, vu d’ici il semble si près mais si loin à la
fois, on dirait qu’on peut le toucher, on nie la dizaine
de kilomètres qui nous sépare de lui, une montagne à
portée de main, massif noir interrompant les constella-
tions de rues étoilées, la bourrasque frappe l’intérieur de
la fenêtre, plonge mais ne s’écrase pas, et repart aussitôt
vers le salon à l’éclairage parfait, fait tinter les milliers
de cristaux de l’immense lustre qui pend au plafond, le
vent passe entre les groupements humains et coupe telle
discussion, déplace les mots puants, empreints d’une
odeur d’alcool et de viande, qui prennent la forme de
hideux papillons portés par la brise, flottant un instant
dans l’air lourd avant de tomber près d’elle.
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Vidéo de Kevin Lambert
Dans Que notre joie demeure, Kevin Lambert explore la psyché de la classe dirigeante confrontée à la possibilité de perdre pied. Au sommet de leur discipline, ces individus se questionnent sur leurs privilèges et sur la légitimité de leur place dans un monde qu'ils ont contribué à façonner. Avec une prose vive et immersive, l'auteur dévoile les pensées secrètes de ses personnages tout en offrant un portrait clairvoyant de Montréal contemporain.
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