Je suis tombé sur ce livre un peu par hasard en fouinant dans les dernières propositions de ma bibliothèque numérique locale. Tiens un polar qui se déroule à Grenoble (ma région). Oh ! écrit par
Clovis Lambrunay, un auteur introuvable sur Internet. Et un livre qui n'a encore aucun lecteur sur Babelio. Je vais enfin pouvoir partir dans l'inconnu total !
Autant le dire tout de suite, je n‘ai pas aimé ce livre (ce qui bien évidemment ne signifie pas qu'il ne plaira pas à d'autres). La Murène aux dent longues a bien un début et une fin, mais pour moi il n'a ni queue ni tête.
Je ne vous refais pas le pitch, il suffit de lire la note de l'éditeur en 4ème de couverture. Dans cette note le livre est présenté comme un polar. Cela frise l'escroquerie ! L'enquête bascule très rapidement dans un fatras de fantastique improbable. de l'auteur on nous dit qu'il « aime saupoudrer d'ésotérisme ou de fantastique la plupart de ses récits ». Là ce n'est plus du saupoudrage, le bouchon de la salière s'est dévissé ! Il est tout simplement impossible d'aimer ce livre en tant que polar.
Même la partie enquête « classique » du début passe mal car elle comporte des incohérences et des situations peu crédibles. En voici deux exemples, masqués bien sûr :
1 – Descriptions incohérentes :
Suite à la découverte du corps place Grenette, la police arrive. On parle alors de « souffrante ». Les premiers secours lui prennent le pouls et l'emmène rapidement à l'hôpital. Quelques heures plus tard, à la morgue, voici comment apparaît la victime aux yeux d'Agostini :
« Elle m'apparaît dans un état que je n'avais encore jamais vu chez une autre victime : la peau blafarde-grisâtre, les yeux ouverts, l'air hagard, la langue pendante, […] de toute évidence, le corps entièrement vidé de son plasma sanguin, […] je dénote en effet huit piqûres faites par de grosses seringues ou quelque chose d'approchant. Je comprends mieux l'hésitation à s'approcher de la part de ceux qui l'ont retrouvée telle quelle à six heures du matin. Ces trous sont d'autant plus visibles que leurs contours sont croûteux – un effet de la coagulation ? – et ont été pratiqués pile à l'emplacement des artères principales. »
Pour moi les deux descriptions sont incompatibles.
2 – Une situation improbable :
Suite à un appel a témoin dans la presse le fiancé de la victime se manifeste. Dans tout bon polar qui se respecte ce proche figurerait parmi les principaux suspects et serait entendu dans les locaux de la Criminelle au cours d'un interrogatoire en bonne et due forme. Là, l'inspecteur donne son téléphone perso et le témoin passe boire un verre de rouge au domicile du policier. Et on a droit à des dialogues tels que :
« — Ce que j'aurais aimé surtout, c'est disséquer le carnet d'adresses de Mademoiselle Malkavian si elle l'avait eu sur elle mais manque de pot, elle était nue.
— Il est chez moi. Je glisserai des onglets aux endroits clef, à sa mère et aux autres membres de sa famille. »
Ou bien :
« Je lui demande, pour le cas où il serait en avance sur son heure d'arrivée, s'il pouvait prendre soin de rassembler les dernières choses qu'elle aurait faites, beaucoup manipulées ou tenues dans ses mains, du courrier qu'elle n'aurait pas eu le temps d'envoyer, son chéquier, les derniers vêtements portés, un carnet d'adresses… »
Je rêve ou bien c'est le suspect qui doit collecter les indices pour le flic ?
Bon, ce n'est pas un polar, ok. Mais est-ce du fantastique ? Au vu du contenu on est obligé de répondre oui. Mais un fantastique inutile et qui ne fonctionne pas.
Il ne fonctionne pas (en tout cas pas pour moi) car tout est vécu presque sur le ton de la normalité. Il y a ceux qui pensent que c'est possible (dont l'inspecteur) et les autres. Mais a aucun moment les protagonistes ne semblent véritablement sceptiques ou paralysés de peur. Rappelons que nous ne sommes pas dans un univers fantastique au départ mais dans la vie bien réelle d'une ville de province en 1970. On ne peut pas passer d'un environnement à l'autre sur le ton de la conversation. Or ici c'est plutôt du genre : On découvre une grotte de vampires ? Qu'à cela ne tienne, on fait une réunion et demain matin on y va avec des balles d'argent ! Je caricature à peine. du coup s'il peut se passer n'importe quoi n'importe quand, il n'y a plus de montée de tension.
En fait, le livre est trop court pour prendre le temps de développer une enquête digne de ce nom, et trop court aussi pour installer un climat fantastique intéressant. du coup, c'est un peu de la bande dessinée… mais sans les dessins.
Pour terminer j'ai relevé quelques erreurs où anachronismes, davantage pour le plaisir que parce que leur absence aurait changé mon appréciation du livre :
1- le livre est écrit à la première personne. C'est l'inspecteur Pierre-Ange Agostini qui nous raconte son histoire. Lorsqu'il parle nous sommes le 11 décembre 1970. Nous ne sommes donc pas comme si le narrateur contait une histoire ancienne en étant nourri de tout ce qui a pu arriver dans les années suivantes. Or, à un moment donné, Agostini, faussement scandalisé, se fend d'un aparté inséré dans une phrase : « l'ex-petite amie de la décédée bisexuelle – en 1970 ! Si c'est pas une honte… – accepte aussi de donner sa version des faits. ». Seul quelqu'un qui aurait connu l'évolution ultérieure des moeurs pourrait faire cette remarque. En 1970 l'inspecteur pourrait être choqué, certes, mais pas parce qu'on est en 1970 !
2- Un peu plus loin on apprend que la victime « avait la jambe aussi légère que la carte bleue facile ». Certes la carte bleue existait déjà (depuis 1967) mais elle n'était certainement pas « facile » car son développement fut très lent et son véritable essor interviendra dans le milieu des années 80 avec la mise en place de l'interbancarité. Donc à supposer que la victime ait bien possédé une carte, elle n'aurait pas pu effectuer beaucoup de dépenses avec. A l'époque c'est le chéquier qui était facile.
3- « Ah, je suis chaud patate, là, s'exclame Bel Canto. » : je suis très étonné que quelqu'un ait pu employer l'expression « chaud patate » en 1970. Elle est plutôt apparue à la toute fin du XXe siècle et s'entend encore fréquemment de nos jours.
4- le chapitre 8 est sous-titré « Moi qui suis le jeune curé ». Pour qui a connu cette époque cette phrase ramène aussitôt en mémoire la chanson « le Curé » de Michel Sardou. Sauf que… En 1970 elle n'existait pas puisqu'elle est sortie en 1973.