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Critique de JIEMDE


Il y a plusieurs manière d'aborder la lecture de cet essai - récemment couronné par le Renaudot - selon que l'on soit attiré par son angle "pamphlet parisiano-microcosmique", par son angle "plongée au coeur des réalités de la Presse du XXI e siècle" ou par son angle "analyse politique d'un système et d'une gauche à la dérive".

Mais quel que soit l'angle de lecture, force est d'abord de constater que c'est bien écrit, très bien écrit. Et ce n'est pas une surprise de la part d'une des grandes plumes de la presse des idées et de la culture de ces vingt dernières années, dont la carrière l'amena à co-diriger L'Obs, qui n'était déjà plus Le Nouvel Observateur qu'elle avait connu - aimé ? - à ses débuts de jeune journaliste.

Et c'est là qu'apparaît l'angle "parisiano-microcosmique" puisque Aude Lancelin nous décrit dans le monde libre ses deux années de désillusions passées à la tête de l'hebdomadaire jusqu'à son éviction récente et brutale qui y mirent fin. Sous couvert de pseudos, tant pour le titre que pour certains de ses dirigeants, ou d'allusions tellement précises que le nom des personnes évoquées ne fait plus aucun doute pour le lecteur un minimum au fait de l'actualité, elle nous livre la chronique d'un flingage annoncé, réglant ses comptes avec férocité à tout une caste qui l'a rejeté. C'est un peu le Koh Lanta du parisianisme médiatique : "La tribu des journalistes parisiens bien pensants à décider de vous éliminer, et sa décision est irrévocable ! ".

Sous cet angle, bien que la plume soit incisive et que les accroches flattent le lecteur avide de révélations de salons, l'ouvrage est vite lassant. le couperet fut certes rude et a priori injuste, le complot fomenté avec soin, ce qui justifie cette réparation de haut vol par la plume qui laisse, parfois, des marques plus profondes que l'épée des duels d'antan. Mais de là à émouvoir le lecteur sur cette injustice, il y a un pas. Un fossé. Un gouffre !

Ainsi, si Aude Lancelin s'en était tenue là en simple victime expiatoire d'un système qui tourne désormais en rond, son livre n'aurait eu aucun intérêt. Mais elle a au contraire eu le mérite d'explorer deux autres angles qui font tout le sel de son essai.

Celui de l'état de la Presse du XXIe siècle est le plus intéressant et décrit parfaitement la spirale infernalement vicieuse dans laquelle la plupart des titres sont engagés : la publicité florissante a longtemps masqué dans les ressources les incessantes baisse de lectorat des journaux. À cause d'Internet, de la TV etc... Oui, bien sûr, mais pas seulement. Aude Lancelin nous renvoie à l'essence même du journalisme d'opinion, celui des idées, du débat, du pluralisme, du temps de la réflexion et de l'expression des textes. Mais ces mêmes baisses de ressources ont conduit les dirigeants des titres à adapter constamment les charges, "downsizant" leurs effectifs et leurs rédactions de plan en plan ; ne permettant plus - métaphore politique fort à propos - de relance par l'offre ; et ouvrant la voie à de nouveaux dirigeants concentrateurs plus soucieux de l'image acquise par leur nouveau statut que de la pérennité de leur lectorat. Des « tigres de papier » comme disait le grand Jacques dans L'Aventure…

Bref, Aude Lancelin nous décrit dans le monde libre l'apogée de la pensée unique, en y déployant son troisième angle, engagé et politique, faisant le lien entre une presse d'opinion de gauche qui s'éloigne de ses valeurs fondatrices au fur et à mesure que le principal parti de son camp en fait de même.

Tout cela, elle n'a pas attendu son livre pour le dénoncer : elle l'a fait peu à peu, de plus en plus ouvertement pendant deux années. Et a fini par le payer. "Le premier qui dit, la vérité. Il doit être exécuté !" disait Béart...

Au final, un livre profond et passionnant, qui manque juste d'un peu de recul (c'est tout chaud) et donc laisse un peu sur sa faim en matière de solutions, d'alternative. OK pour le constat. So what ?
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