AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,39

sur 52 notes
5
2 avis
4
6 avis
3
5 avis
2
3 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Lapeyre Patrick – "La splendeur dans l'herbe" – P.O.L. / Folio, 2016 (ISBN 978-2-07-273395-6)

Depuis son acquisition début décembre 2020, j'ai lu, puis re-lu, puis re-re-lu ce roman, soit trois lectures en quelques mois, ce qui est tout de même exceptionnel.

L'écriture est bien menée et atteint parfois une dimension poétique. L'intrigue est à la fois basique (la sempiternelle rencontre d'une dame, Sybil, et d'un monsieur prénommé Homer) et originale (leur rencontre est indirectement provoquée par leurs ex-conjoints, Emmanuelle Dhauton et Giovanni Mangani, partis vivre ensemble), tout en ayant pour toile de fond la vie menée par les parents d'Homer durant son enfance... Surtout dans la mesure où cette rencontre se déroule très pudiquement et sentimentalement (p. 147).

Relatée sur un ton finement humoristique et moqueur, la rencontre d'Homer et de Sybil alterne, chapitre par chapitre, avec la description sans fard de la (piètre) vie du couple que formait les parents d'Homer, Ana et Arno, mais aussi avec des anecdotes tirées de la vie quotidienne d'Homer, ce qui donne au récit une épaisseur à la fois sociologique et historique.

Au passage, il n'est pas inutile de prévenir les amateurs de littérature contemporaine libérée : ce texte ne comprend aucune de ces incontournables scènes pornographiques obligatoires dans le roman d'aujourd'hui, les deux personnages centraux ne vivent pas à hauteur de leur entrejambe. Autres précisions essentielles : le récit ne comprend pas non plus de scènes de violences physiques ; aussi incroyable que cela puisse paraître, ce roman ne comprend pas non plus de ces incontournables personnages trans-bi-homo-trucs "en tout genre" et n'a donc aucune chance de figurer au palmarès de la troïka conformiste (Le Monde, Nouvel-Obs, Télérama). Autant préciser tout cela d'emblée, pour éviter les déconvenues aux adeptes de ces gazettes (et/ou de France-Culture).

Rien que par ces éléments absents, ce roman est donc déjà hors des modes actuelles, mais ce n'est pas là ce qui constitue à mes yeux son originalité essentielle.

En effet, voilà un auteur qui ne met pas en scène les sempiternels bobos parisiens, mais bel et bien des gens de divers territoires germaniques, issus de lieux n'ayant que rarissimement les honneurs de la littérature française (généralement bornée au petit monde germanopratin).
Le personnage masculin principal, Homer, est de nationalité Suisse, il se présente comme "suisse alémanique" (p. 15), issu d'un mariage réunissant Ana, alsacienne et Arno, suisse alémanique : l'auteur prend souvent soin de préciser si les personnages se parlent en allemand ou en français (pp. 28, 38), avec ou sans les "scories" de l' alsacien (p. 39, p. 91), avec quel niveau de langue, éventuellement implacable (p. 38) trahissant une culture protestante grand teint (p. 122).

L'humour vient tout naturellement s'insérer en un discret effet de miroir, par exemple avec la famille parlant alternativement en français ou en mandarin (p. 149). Ce sont là des subtilités que tout lotharingien connaît et apprécie, qu'il est rarissime de voir mis en valeur dans un roman de langue française.
L'auteur insère même quelques mots allemands comme "Ausländerin" (p. 19) voire une citation entière de Heine (p. 66), ou la notion de "Drang nach Süden" (p. 171) et fait défiler les noms germaniques des rues, places et quartiers de Zurich (par exemple pp. 50-51, p. 123), où la lectrice d'un journal en français attire l'attention des ouvriers italiens (p. 112).

Mieux encore, en dehors de la confédération helvétique, le roman se déroule très largement dans ce qui fut la Lotharingie (que nos technocrates parisiens se gardèrent bien de ressusciter, préférant créer une ubuesque région baptisée "Grand-Est" qui se trouve à l'Ouest de Berlin, au Sud d'Amsterdam, au Nord de Milan mais à l'Est des bureaux ministériels franchouillards).
Sont ainsi successivement évoqués (entre autres) Metz (pp. 26, 79), Mulhouse (p. 91, 244-248), Lutterbach (p. 92), Karlsruhe (p. 95), Grenoble (p. 96), Munich (p. 122), Strasbourg (p. 206) et plus précisément le quartier du Neudorf (p. 210), Chaumont (p. 267), Cologne (p. 295), la plaine d'Alsace (p. 354). Un véritable florilège.

Comme il est – réellement – "ouvert sur le monde" (contrairement aux bobos parisiens se retrouvant entre semblables standardisés, mais au minimum en Mongolie, au Ténéré ou en Terre de feu, refusant par ailleurs de franchir ne serait-ce que le périphérique, sauf pour aller quérir leur dose de joints à St-Ouen), l'auteur évoque également (de façon non touristico-cultureuse à la mode "ARTE") des endroits comme Chypre (p. 14), la Hongrie (p. 29), l'Italie (p. 65-68), l'Algérie (p. 82), le Cap d'Agde (p. 83), les bords de Loire et Orléans (p. 171 puis 343), Massy Palaiseau (p. 218), Reims (p. 274), le Canada (p. 308), le Maroc (p. 309).
Crime de lèse-majesté : Paris, la grande capitale de la nomenklatura et de la bureaucratie franchouillardes, devient ici un lieu comme les autres, (encore qu'Homer habite – par le plus grand des hasards ? non loin de la station Strasbourg Saint-Denis, cf p. 33 et consomme volontiers du vin de Moselle, cf p. 66) – où s'effectue un travail de bureau fort ennuyeux, qu'il convient de fuir (comme le font massivement les pôvres parisiens) dès que l'on a un peu de temps libre (p. 97), car l'idylle se noue parfois au bord du Loing (p. 26, p. 316), à Montargis (p. 44), en Seine-et-Marne (p. 85), à Pontoise (p. 287), Naples ou Melun (p. 339), mais aussi et surtout dans le jardin, à "l'heure de la splendeur dans l'herbe" (p. 107).

Cerise sur le gâteau, le texte est ponctué de citations musicales : là encore, l'auteur fait preuve d'originalité. En effet, il ne cite pas ces habituelles vociférations anglo-saxonnes commercialo-contestataires conformistes étalées en couches aussi épaisses qu'indigestes dans la littérature de la bien-pensance internationale, non, il oscille entre Trenet, Bach et Schubert, car Homer joue vraiment du piano, passion qu'il partage avec sa mère (p. 197) puis avec Sybil.

Pour en rester dans le monde artistique, mentionnons la subtile et fugitive mention du boeuf écorché de Rembrandt (p. 125-126), avec sa servante à peine visible...
Le récit est précisément daté, à l'aide d'indices disséminés : ainsi par exemple, la rencontre d'Ana et son mari Arno eut lieu vers 1970 (p. 17), Homer rencontre Emmanuelle vers 2005 (p. 45), l'anecdote autour du film (titre à deviner) se déroule vingt ans avant 2001 (p. 61), une algarade se déroule au moment de l'élection de Mitterrand, l'épitaphe délimite la vie de sa mère (p. 349) etc.

Comparé aux productions littéraires standardisées, actuellement en mode dans la caste cultureuse franchouillarde (Houellebecque, Angot et autres Despentes), ce roman est donc profondément anticonformiste.

A offrir aux lotharingiennes et lotharingiens, qui connaissent et arpentent les lieux ici évoqués.
A offrir également à toutes celles et ceux qui restent persuadé-e-s que le couple humain féminin-masculin se construit dans la pudeur et la délicatesse, qu'il constitue la cellule de base de la vie en société (sans pour autant vilipender les autres) ainsi que dans "la splendeur de l'herbe"...

Commenter  J’apprécie          40
Sybil et Homer ne se rencontrent que pour parler de leurs conjoints respectifs, partis refaire leur vie ensemble. Ces époux adultères sont au départ le seul ciment de leur relation qui peu à peu prend la forme et la consistance d'une histoire d'amour. le roman raconte avec une infinie délicatesse l'évolution de cette relation, longtemps restée chaste malgré la présence d'un désir commun, Homer ajournant sans cesse par ses atermoiements le moment de son accomplissement. Afin de mieux cerner les contours de cet homme, l'auteur remonte à l'enfance en mettant en scène Ana, sa mère, personne fantasque, à la fois étouffante et distraite. Aucun pathos lié à cette évocation, juste un éclairage sur un individu qui se complaît davantage dans l'attente que dans l'action. Tout dans ce livre est subtil, y compris les pointes d'humour sur les hésitations d'Homer.
Commenter  J’apprécie          20


Lecteurs (113) Voir plus



Quiz Voir plus

Les Amants de la Littérature

Grâce à Shakespeare, ils sont certainement les plus célèbres, les plus appréciés et les plus ancrés dans les mémoires depuis des siècles...

Hercule Poirot & Miss Marple
Pyrame & Thisbé
Roméo & Juliette
Sherlock Holmes & John Watson

10 questions
5235 lecteurs ont répondu
Thèmes : amants , amour , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}