Un nom, c'est quelque chose de particulier. Même si on ne l'a pas choisi soi-même, il nous définit en grande partie. On supporte d'ailleurs difficilement que quelqu'un l'écorche, que ce soit à l'oral ou à l'écrit. Les parents ne s'y trompent pas, et le choix du prénom de l'enfant est parfois source d'âpres débats, soutenus par des livres décrivant l'histoire et les caractères associés à chaque prénom possible.
Pourtant, chaque année, l'état reçoit des demandes de changements de nom. L'auteure s'est ici penchée sur les demandes concernant les noms de famille, et le voyage qu'elle propose a été passionnant.
Rappelons d'abord que le nom de famille n'est pas si vieux que ça. Il n'est apparu que lorsque que l'État est devenu assez étendu et l'administration efficace. Les noms de famille évoquent d'ailleurs généralement un trait distinctif qui était suffisant pour distinguer un individu à l'échelle d'un village, soit de lieu (« Dupont », « Dupré », « Dujardin »), un nom de métier (« Lefebvre », « Mercier »), ou un trait physique (« Leroux », « Legrand »). Si le nom était assez souple au départ et pouvait changer de génération en génération, les lois concernant l'héritage et les passages de patrimoine ont fini par imposer la transmission du nom du père.
À quelques exceptions près donc, et très encadrée. Tout d'abord, le changement est possible si le nom peut porter préjudice à son porteur : des noms peuvent devenir sujet à moquerie avec le temps (« Labitte » (grosse pierre), « Bordel » (planche), …) ou être incompatible avec une profession (« Barbant » pour un professeur, « Poulet » pour un policier, …).
Deuxièmement, la transformation des noms étrangers pour les rendre plus « locaux », point qui cristallise le plus les débats, et qui divise tous les camps. Les uns chercheront à éviter aux immigrés le racisme et les discriminations en leur permettant d'adopter un nom plus passe-partout ; on leur répliquera que c'est alors aux mentalités de changer, pas aux noms de famille. Les plus xénophobes, reconnaissant que les étrangers sont là et qu'on ne peut plus rien y faire, seront un peu soulagé de rhabiller tout ça d'une consonance nationale, histoire que le pays ressemble à quelque chose vu de l'extérieur. D'autres soupçonneront des manoeuvres de ces étrangers sournois, qui tentent de se fondre dans la masse des « vrais » citoyens à leur insu, et voudraient au contraire que cette marque leur colle éternellement à la peau ; des listes exhaustives de changement de noms sont d'ailleurs toujours tenues par certains groupuscules.
Du côté des demandeurs, les motivations sont également diverses : éviter effectivement les discriminations, avec un soulagement mêlé d'amertume en constatant que ça fonctionne, et en devant subir la réprobation de leur communauté d'origine et/ou de leurs parents directs qui se sentent reniés ; se débarrasser d'un nom trop connoté (« trop arabe », « trop juif ») qui date de plusieurs générations, et qui ne correspond plus vraiment à la situation actuelle de la personne, qui ne se reconnaît pas dans cette « identité imposée » ; ou au contraire vouloir adopter un nom qui correspond mieux avec sa nouvelle religion ou ses nouvelles idées politiques ; voire encore couper symboliquement les liens avec une famille abusive.
L'auteure prolonge aussi l'enquête chez les enfants des demandeurs. Certains vivent parfois mal le fait de se retrouver avec un arbre généalogique d'un seul étage, au point parfois d'essayer de retrouver le nom d'origine. Mais si passer d'un nom d'origine étrangère à un nom plus local est faisable, l'inverse est généralement impossible. D'autres au contraire relativisent beaucoup l'importance du nom de famille qui a parfois beaucoup varié lors des dernières générations (comme une famille arménienne dont le nom a d'abord été changé de force vers un nom turc, puis une nouvelle fois vers un nom français à leur arrivée en France)
Le changement de nom est donc une question complexe, car il touche à la fois à l'idée que se fait la personne de sa propre identité, mais aussi aux stéréotypes qui existent dans la société dans laquelle elle évolue. Des demandeurs mettent ainsi en avant leurs cheveux blonds, ou leur respect des autorités, pour justifier qu'ils ne « font pas du tout arabe ». Des alsaciens cherchent tout à coup se débarrasser d'un nom à consonance germanique à la fin de la seconde guerre mondiale. Ainsi que ceux qui portent un nom d'origine juive, sceptiques sur la pérennité du cri général « plus jamais ça ».
On se retrouve ainsi au carrefour entre psychologie, histoire personnelle, Histoire avec un grand H, politique, … L'instauration du nom de famille contient à la base tellement de décisions arbitraires (choix du nom initial, choix de transmettre le nom du père uniquement) que la moindre remise en question révèle toutes les crispations d'une société. Un excellent sujet de conversation, donc, lors d'un dîner de famille ennuyeux…
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Ceux qui, changeant de port et se cherchant un havre, las de porter l'encombrement bagage d'un « nom à coucher dehors », ont préféré s'en délester au bout de leur voyage ne sont pas de hautes figures de la geste légendaire ou mythologique mais les principaux héros de ce livre. Certains, las des persécutions, ont pris cette décision au lendemain d'une guerre ou d'une mortelle offensive contre la minorité à laquelle ils appartenaient, espérant qu'avec un nouveau patronyme, on les laisserait désormais en paix, eux et leur descendance. D'autres ont voulu se défaire d'un nom difficile à porter, à écrire ou à prononcer, dont l'exotisme, l'étrangeté, la consonance ou la provenance gênaient leur vie sociale et leurs chances de promotion, ou les réduisaient à un particularisme dans lequel ils ne se reconnaissaient pas, du moins pas tout entiers. D'autres encore, ou le mêmes d'ailleurs, souhaitaient ainsi signifier et signer une adhésion et une affiliation.
Tous ont voulu déjouer un destin trop scellé par un nom. Pari aventureux : mal nommés avant – à leurs yeux et, plus encore, aux yeux de ceux pour qui leur patronyme était une marque, voire un stigmate –, mal vus après, notamment par leur communauté d'origine, ils dérangent la logique univoque de l'identité et de l'appartenance, dont ils révèlent en même temps la redoutable puissance.
Changer de nom, c'est moins prendre un masque qu'acquérir un passeport pour franchir les contrôles d'identité dans son propre pays.
Nicole Lapierre - Le plus menteur d'entre nous