Epoustouflant !
Voilà un livre d'une richesse incroyable que nous devons à la plume luxuriante et efficace d'
Alexandra Lapierre et de
Christel Mouchard, spécialiste des
voyages au féminin.
Elles nous offrent, de 1850 à 1950, 31 portraits de femmes qui ont décidé de donner au mot liberté ses lettres de noblesse. Défiant la morale victorienne, l'hypocrisie américaine, l'esprit collet-monté français et toutes les barrières sociales des autres nations, ces femmes ont exploré avec un courage à toute épreuve et une détermination forcenée les parties du monde jusque-là réservées aux exploits masculins.
Ce qui distingue ces femmes d'autres qui ont également vécu l'aventure avant le 19e siècle, c'est qu'elles ont donné des conférences, ramené photos et illustrations, laissé des écrits passionnants repris dans une bibliographie en fin d'ouvrage,. Pour ma part, je ne connaissais que neuf de ces héroïnes, dont une seule au 19e siècle,
Fanny Stevenson, dont j'ai chroniqué la biographie somptueusement écrite par
Alexandra Lapierre.
Par contre, j'ai épinglé l'Américaine
Fanny Bullock Workman qui, avec son mari, escalade les sommets de l'Himalaya et qui, en 1911, se fait photographier au point culminant du Siachen, avec une pancarte « Votes for Women ». le droit de vote pour les femmes aux USA date de 1920. Ou encore,
Mary Kingsley dont la fabuleuse collection de poissons d'Afrique alimente le British Museum et Marianne North qui laisse 832 tableaux de fleurs, dessinés au cours de ses deux tours du monde, à la North Gallery de Londres. J'ai retenu également la journaliste d'investigation,
Nelly Bly qui, en 1889, réussit à battre le record de Philéas Fogg en faisant
le tour du monde en 72 jours ainsi que les 22 000 papillons ramenés du monde entier par Margaret Fountaine, qui illuminent les salles d'archives du Castle Museum of Norwich.
Au 20e siècle, les noms sont plus connus :
Ella Maillart,
Alexandra David-Néel, Anita Conti,
Karen Blixen,
Margaret Mead,... J'ai coché l'archéologue
Gertrude Bell – surnommée Bell of Bagdad - qui est le pendant féminin de Sir
Thomas E. Lawrence pour le renseignement militaire anglais. Devinez quel nom est le plus connu ?
Quatre à six pages sont consacrées à chacune de ces aventurières, pages tellement imagées et haletantes qu'elles donnent envie d'approfondir chacun de ces destins hors norme.
Je ne résiste pas à l'envie de vous parler de ma préférée, féministe, intrépide et pacifiste : l'américaine May French Sheldon. Spécialiste de la littérature française et traductrice du salammbô de
Gustave Flaubert, May est aussi une femme d'affaire avisée. Lassée par les récits effrayants, remplis d'hémoglobine et de cruauté, de l'explorateur en vogue,
Henry Morton Stanley, elle décide de prouver qu'une femme peut rivaliser avec un homme en terres hostiles sans effusion de sang. Elle veut être la première à parvenir au lac Chala, à 2 000 m d'altitude, au pied du Kilimandjaro (Kenya). Elle prépare scrupuleusement son voyage, étudie les dialectes locaux et veut constituer une équipe de porteuses. Ce sera son seul échec. Elle se rabat donc sur 300 hommes qui, le premier soir de bivouac, tentent une mutinerie. Ni une ni deux, May prend son fusil et abat un vautour qui tombe dans le camp. Sidérés par son adresse et ses menaces, les porteurs lui mangent désormais dans la main et l'appellent Bibi Bwana, la reine blanche. On serait tenté de croire que ces femmes étaient des garçons manqués, ou des moches, ou des vieilles filles sans avenir, ce serait une grave erreur. May est riche, son mari aussi mais c'est lui qui reste à la maison et May emmène robes de soie, porcelaine et cristaux, une baignoire, sa coiffeuse et son médecin et chaque soir, elle a à coeur de se souvenir des bonnes manières qui lui ont été enseignées. Elle a aussi des malles remplies de cadeaux pour remercier les tribus des Rombos et des Masaïs de lui laisser traverser leurs territoires. Après avoir effectué les relevés cartographiques du lac Chala, elle rentre au pays, donne force conférences et relate son voyage dans « Sultan to sultan. Adventures among the Massai and other tribes of East Africa » (1892). La preuve était faite, elle n'en demandait pas plus.
N'allons pas croire non plus qu'il s'agissait de promenades du dimanche, que ces femmes ne traversaient d'autre moment éprouvant que de choisir une toilette seyante pour dîner ou d'accomplir trois/quatre kilomètres par jour et de se la couler douce dans un palanquin à l'abri des bêtes sauvages et d'une nature exubérante, ou de désert de glace ou de pierre.
Extraordinaire livre de témoignages, de transmission et d'histoire qui ne magnifie pas la femme mais qui illustre son combat à travers un siècle pour obtenir un statut plus enviable que celui qui lui était dévolu de génération en génération.