Je suis née dans un bocal...

Mon lit est dans la chambre d’amis. Afin que la pièce soit toujours bien rangée mes jouets restent dans la chambre de ma petite sœur, mais je peux garder un livre sur ma table de chevet. Je passe ainsi de longues soirées à lire en cachette au fond de mon lit, à la lueur des réverbères qui filtre à travers les volets… c’est un moment privilégié peuplé de rêves et de fuites dans des mondes imaginaires… Je dévore les ‘Club des cinq’ et ‘Clan des sept’ comme autant d’histoires d’extraterrestres.

Il m’est impossible de concevoir que la liberté dont ces enfants disposent peut être réelle. Tous ces livres sont autant de fenêtres vers l’extérieur de mon univers, de mon ‘bocal’… et je me fais une promesse, quand je serai grande, je serai détective car j’aime découvrir et comprendre ce qui est caché.

L’un d’entre eux raconte l’histoire d’un aigle. Cette histoire m’interpelle.

Tout là-haut dans la montagne, une tempête fait rage. Sur une aire, bousculé par le vent, un œuf glisse du nid et se retrouve en contrebas, coincé par des branches. Un montagnard le trouve et le glisse dans son sac. Ne sachant quoi en faire, il le donne à un ami fermier. L’œuf est glissé parmi d’autres et couvé par une poule, jusqu’à l’éclosion.
L’aiglon vient au monde avec une couvée de poussins et poursuit sa croissance avec eux. Se prenant pour un poulet, il ne cesse d’imiter le comportement des gallinacés qui l’entourent. Il gratte la terre afin d’y trouver des vers et des insectes, mais son bec crochu ne lui permet pas de picorer des graines. Malgré tous ses efforts, il n’arrive pas à faire aussi bien que les autres poussins. Il tente de glousser et de caqueter. Sans effet.
Grand, maigre et maladroit, il se fait piquer et bousculer par les autres habitants de la basse-cour qui se moquent de lui. Il se sent différent sans comprendre pourquoi. Affaibli par une nourriture mal adaptée et manquant de confiance en lui, il tente de battre des ailes pour fuir les représailles, ne s’élevant qu’à quelques centimètres du sol.
Quelques mois passent et un jour, levant la tête, il voit passer un oiseau magnifique et majestueux qui plane dans le soleil levant.
Subjugué, il demande : « Quel est cet oiseau magnifique qui vole tout là-haut ? »
« C’est un aigle, le roi des oiseaux » répond le coq, « Ne t’en occupe pas et va chercher des vers pour grossir un peu. Vraiment, tu ne ressembles à rien. Tu n’as même pas de crête rouge. Tu n’es pas prêt d’être aussi fort et aussi beau que moi ».
Le jeune aigle, tout penaud, repart dans son coin en se disant « Ah si j’étais un aigle… »
Il est mort quelques semaines plus tard triste et démoralisé, persuadé qu’il n’était qu’un poulet handicapé.

Pauvre petit aigle. Il n’ose pas s’envoler. Ce n’est pas compliqué pourtant, il n’a qu’à ouvrir ses ailes. Pourquoi il n’essaie pas ? Ce coq n’est vraiment pas gentil, il devrait l’encourager au lieu de le rabaisser. Je suis triste pour le petit aiglon… mais bon, ce n’est pas important, c’est juste un conte pour enfants…

A 6 ans, la famille décide que je suis assez sage pour faire ma première communion. Mes deux grandes tantes, Paule et Germaine, assurent ma ‘préparation’ en me ‘faisant’ le catéchisme. Une semaine avant, je me fais gronder pour une obscure histoire de pomme avec ma sœur. La sanction de remettre la cérémonie est posée, puis levée. Toute la famille débarque. Je sens la pression sur mes épaules. Il faut que je raconte tous mes péchés au prêtre qui va venir me confesser. C’est quoi un péché ? Si j’oublie un péché mortel, est-ce que je vais mourir en avalant le petit Jésus ? J’en vomis de peur la nuit qui précède la cérémonie.
 
Au matin, le prêtre ami de la famille arrive. Il a l’air gentil, mais a une tâche de vin impressionnante sur la joue gauche. Je bafouille et m’invente des péchés. Je ne sais pas ce que je dois lui dire. Pas besoin de se déplacer : la messe est célébrée dans la chapelle privée située au second étage. J’avale l’hostie et je ne meurs pas ! Ouf, tout s’est bien passé !