L'incendie de Copenhague

De l'incendie de Copenhague en 1728, il n'est question que dans les dernières pages de ce roman historique et d'aventure(s). L'érudit professeur Eggert Pétursson est missionné par Frédérick IV du Danemark, pour retrouver les fameux vélins originaux sur lesquels les non-moins fameuses Sagas Islandaises auraient été écrites au moyen-âge. le professeur débarque donc en Islande, en 1702, accompagné de quelques gendarmes et scribes avec mission officielle mais fictive de « rétablir » la justice et de « revoir » le cadastre, dans ce pays trop éloigné du pouvoir danois. L'Islande est décrite ici entre sa réalité physique ; froide mais volcanique, et un pays imaginaire dont les habitants sont baroques et fantasques. Pétursson est menacé ; entre deux étapes de sa course au trésor, pendant les fêtes galantes au palais du gouverneur, on complote contre sa mission. Il y a du « western » et des manigances, mais les saisons passent ... Et les parchemins, comme l'Arlésienne, restent un mystère.
Gilles Lapouge s'inspire de l'Histoire islandaise (voir les sessions du Thing ; le plus vieux « parlement » du monde) et y mêle son goût pour la géographie « Est-ce qu'on peut dire que l'Islande est une géologie pendant l'hiver et une géographie au printemps (...) que l'Éden et l'Enfer ont le même fournisseur de paysages ? Je crois, oui... mais ils n'emploient pas les mêmes peintures ». Son érudition est bluffante ; ainsi le Vieux Gunnarr, personnage pittoresque et incontournable du roman, se fait appeler « Lubrucationes » c.-à-d. celui qui lit à la lumière des chandelles. Le ton est un peu désenchanté. En filigrane il y a aussi une réflexion sur l'écriture, la lecture et la mémoire de celles-ci, le temps qui passe et l'imaginaire qui, lui, perdure ... C'est un beau roman et une belle histoire ... 4*
Citation p.82 « Voyez-vous, professeur, c'est la différence avec ces traductions de grec ou de latin dans lesquelles nous savons que vous excellez : vous faites des brouillons, vous supprimez, vous ajoutez, vous raturez. Eh bien, l'histoire des hommes, c'est peut-être un brouillon, une interminable rature, mais cette rature est aussi la version définitive. C'est pourquoi elle est tragique (...) Imperfectible ! » ... Allez, salut.

Ce roman étrange nous cache sans cesse son véritable sujet. Comme le héros, nous avançons à l'aveuglette, mystifiés par de curieux personnages, dont les discours semblent des énigmes.

Du début à la fin, il s'agit d'une quête obsessionnelle. Bien que l'histoire se passe en Islande, aux confins du monde civilisé et de celui des légendes héroïques, j'y ai retrouvé la même folie que celle de Don Quichotte.
Il ne s'agit pas cette fois d'un chevalier mais d'un érudit, d'un docteur en droit, chargé d'une mission par le roi du Danemark, qui règne également sur l'Islande.

Comme le chevalier à la triste figure, le docteur Petursson sillonne à cheval des contrées désolées, accompagné d'un valet fidèle et sentencieux. Il ne se bat point contre des moulins à vent, mais s'obstine à vouloir retrouver des parchemins égarés depuis des siècles, de vieux grimoires dispersés dans des lieux improbables.
Ces précieux manuscrits porteraient le récit des célèbres sagas islandaises, orgueil des peuples scandinaves, trésor de la littérature du XIIè siècle.

Cette quête du Graal, parfois laborieuse, est une scène de théâtre.
Les personnages, un peu irréels, comme des ombres chinoises devant un décor de carton-pâte, agissent sans comprendre ce qu'ils font. Leurs efforts et leur idéal ne servent à rien, leur but n'est jamais atteint, tout n'est que mirage, illusion.
On retrouve parfois l'ambiance un peu surnaturelle des Contes gothiques de Karen Blixen, dont on croise une cousine, la baronne Margrethe Blexen, vieille aristocrate rusée et manipulatrice.

Le pauvre docteur Petursson est victime de bien des mystifications, mais il demeure imperturbable dans l'adversité. Il poursuit sa tâche en dépit des obstacles, et ne découvrira que bien tardivement le seul véritable trésor de son existence.