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EAN : 9782707320391
287 pages
Editions de Minuit (03/04/2008)
4.5/5   1 notes
Résumé :

Tout oppose les œuvres de William et Henry James, le philosophe américain fondateur du pragmatisme (1842-1910) et le romancier, auteur de Portrait de femme et des Ailes de la colombe (1843-1916). L'un se présente comme le philosophe des vérités concrètes, l'inventeur d'un empirisme " radical ", résolument tourné vers une pensée pratique sans cesse reconduite vers l'expérience directe des réalités... >Voir plus
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Ladies and gentlemen, David Lapoujade nous présente les frères James, et avec eux, le pragmatisme, sous ses aspects les plus inattendus.

EXPÉRIENCES VITALES
C'est curieux comment la fratrie évoque déjà ce lieu où la plus grande différence peut naître de la plus petite différence.

William, l'aîné, philosophe et psychologue, semble adopter un style résolument direct, « à bout portant ». Il est justement connu pour son « pragmatisme ». Alors que Henry, son frère, est connu comme le romancier de l'indirect.

Mais cette opposition est trop simple. Au fond, ils ont le même but, presque universel, qui est d'oeuvrer pour défaire les préjugés ou les vérités pré-existantes. Et nos préjugés sont si bien ancrés, qu'il faut bien créer un effet de surprise. C'est même sans doute le sens de toute création.

Donc le pragmatisme ne peut pas se réduire à un « arc réflexe perception-conception-action ». Il s'agit bien de l'art de tirer les conséquences de ses expériences, mais l'oeuvre épaisse du philosophe-psychologue indique bien la complexité de cette « simple » idée.

Cependant, est-ce qu'il la complique assez avec ses concepts de « champ de conscience » ou même de « franges de la conscience » ? La conscience me paraît être, de plus en plus clairement, une idée fixe de la philosophie.

Henry, le romancier n'est pas moins empiriste que son frère, mais il expérimente à travers la fiction, et même d'une manière très radicale, jusqu'aux dernières aberrations de l'enfermement des personnages dans leur système de croyance.

On dira qu'il y a un élément de « style » qui rapprochent les deux frères James, c'est le perspectivisme ; une tradition depuis Leibniz en passant par Hume et Pierce.
David Lapoujade nous montre comment, chez Henry James, le jeu des personnages devient un grand théâtre de signes.
« L'auditeur est donc à la fois un résonateur, en tant qu'il fait résonner en lui l'idée qu'il projette symétriquement derrière les paroles du locuteur, et un réflecteur, en tant qu'il fait voir ce qui se joue mentalement en l'autre en le rejouant lui-même ».

On sent vaguement que la tonalité de la scène peut changer à tout moment…

Bref, c'est ici qu'il faut prendre en main un roman ou une nouvelle de Henry James, histoire de se mettre dans l'ambiance. A partir de là, on pourra reprendre les « Fictions du pragmatisme » et se laisser entraîner dans cette prolifération de signes, qui devient une folle expérience de pensée.

On le sait, il y a plusieurs voix dans la voix de l'auteur. On entend William à travers Henry, et Henry à travers William etc…Mais David Lapoujade parle aussi deleuzien ; on entend en effet la voix du philosophe Gilles Deleuze, lui-même lecteur assidu de Henry James. Deleuze a été entraîné dans une sorte de chaos, et c'est vrai que la fiction de James nous montre qu'il peut arriver au langage de se disloquer grammaticalement.

Pourtant, dans ce chaos, David Lapoujade réussi la prouesse de nous laisser un livre assez accessible. Il offre aussi une grande quantité de questions explicites, parmi lesquelles on saisira celles qui nous forcent à penser.
Évidemment, c'est lorsqu'on croit avoir compris quelque chose, qu'il se passe déjà autre chose. En attendant, on n'est pas devenu fou.

Le chaos n'est qu'une intense activité d'interprétation, capable à tout moment, de renverser n'importe quelle vérité, éphémère de toutes façons. Fin d'une conception dogmatique de la vérité. « Moi = 0 ».
Comme pour une question de vie ou de mort, c'est le corps qui se fait sentir, dans sa confiance viscérale, et en même temps dans sa nervosité, toujours sur le qui-vive.

Cet équilibre du corps fait l'idéal du pragmatisme. Un équilibre fonctionnel dans la continuité et l'extériorité.

Idéal d'un processus où “Le sujet se remplit de tout ce qu'il connaît de l'objet (métamorphose), tandis que l'objet s'enrichit de tout ce que le sujet découvre « sur » lui (anamorphose).”
Idéal de la convergence : “Il n'y a pas lieu de séparer la solution du problème puisqu'un problème se pose en convergeant déjà vers sa solution tandis que la solution reçoit son sens et sa beauté du problème dont elle est l'aboutissement.

EXPÉRIENCES SPECTRALES
La vraie folie, dans ce livre, va s'appeler dédoublement, mélancolie ou présence de fantômes. Henry James va sonder cette réalité en tant que romancier, en même temps que son frère William, en tant que psychologue et philosophe.
Il reste donc à comprendre pourquoi la folie est une possibilité de la pensée. (Lire aussi Gilles Deleuze et Étienne Souriau, les différents modes d'existence)

En se saisissant de cette question, le livre entre dans une autre dimension. Et pourtant, à première vue, les expériences aberrantes s'enchaînent sans faille. Dans un sens, L'institutrice dans le Tour d'Ecrou serait en effet très conséquente si elle décidait de tuer le jeune garçon pour le « sauver » des fantômes. Des personnages mélancoliques réussissent eux aussi à justifier leur perpétuelle attente.

Ce livre va chercher les logiques de dédoublement, comme l'aboutissement de problèmes de coexistence.
Et déjà, il faut préciser le « postulat psychophysiologique commun aux frères James ». « C'est parce qu'il y a un autre corps dans le corps qu'il y a un autre esprit pour l'esprit ».*

Prenons par exemple, la caricature d'un corps, constitué d'habitudes, qui doit absolument dominer un corps constitué d'instincts. Corps nerveux et cérébral vs corps viscéral. « Le personnage ne peut plus identifier ses désirs comme siens. » ; on comprend alors l'arrivée du fantôme.
Pour cela, il a suffi de supposer une sorte de panne des « zones les plus imprévisibles du cerveau, là où les frayages de l'habitude cessent d'exercer leur déterminisme ».

Il revient au même de dessiner le Moi. William James l'a défini comme « la somme totale de tout ce qu'un homme peut dire sien ». Et c'est précisément la raison pour laquelle on peut en être dépossédé.
« Le fantôme témoigne chaque fois d'un problème relatif à la propriété des vies », résume l'auteur.
Pour cela, il a suffi de faire précéder l'existence par l'être ou le Moi, comme l'avoir le plus intense. « S'enfermer, c'est toujours s'enfermer dans et par un moi (le sien ou celui d'un autre). ».

Les deux frères James partagent une passion pour ces logiques aberrantes ; peut-être parce qu'elles révèlent des possibilités inattendues de la pensée. Chez certains personnages mélancoliques, il y a une sorte d'attente « transcendantale », comme une condition pour que la vie commence. L'attente « devient la forme a priori de toute temporalisation ». On parle d'une « expérience pure » et d'empirisme métaphysique.

La suite est une série de reflets. L'action du temps est conçue comme un processus de dépossession, et la « contemplation érotique du passé » est une solution pour conjurer son action. Si un événement survient malgré tout, il sera « trop tard ».

Le pragmatisme peut se définir par un courant d'expériences qui circule du fait de la sympathie avec les autres. Et le courant est coupé lorsqu'il y a enfermement dans le monde de l'autre. (« L'enfer c'est les autres » dira Sartre).
On peut retrouver chez l'autre ce sentiment de dépossession, conjuré par une volonté violente d'appropriation.
Chez les personnages de Henry James, l'antipathie a le visage d'une volonté de fer, typiquement dans un gant de velours.

Cette volonté de fer « sait mieux que vous ce qui est bien pour vous ». Double emprise de la volonté et de la charité.
Mais de quel droit ? Tel est le cri de Henry James qui retentit à travers ses fictions. Et ce cri devient un engagement dans la sphère publique.

Aujourd'hui, on pourrait voir, dans cette volonté de fer, le spectre de la biopolitique, ou néolibéralisme. A l'époque des frères James, en gros un siècle plus tôt, on connaît le capitalisme à l'ère des trusts. Cette sphère publique nous dit littéralement faites-nous confiance (trust) ; mais au sens où le crédit-confiance est l'envers de la dette ; une dette qui engage l'existence entière d'une personne, jusqu'à sa puissance vitale.

L'orage menace ; l'homme lui fait face, et tente de le conjurer en le menaçant à son tour. Humour du pragmatisme.
C'est une question de vie ou de mort. William James avait tenté de voir dans cette réaction bizarre, l'effet de la conscience qui désigne le spectre pour rétablir une « cohérence » (sic). On pourrait dire que la conscience est comme un miroir aux alouettes. (« Fonction fabulatrice de l'intelligence » dira Henri Bergson).

Henry James repère aussi cette sorte d' « idéalisme naïf », mais justement au fond d'un pragmatisme résolument direct, et stoïque : un certain pragmatisme qui tourne dans un monde circulaire, où on se satisfait finalement de ce qu'on voulait nous faire dire. (« Arguments d'église » dira Sartre).

Chose curieuse, ce pragmatisme appelle, en effet, à la naïveté, débarrassée de toute réflexion, afin de reconnaître l'idéal de « l'expérience pure ». La pureté, encore une prétention.
Ce à quoi on pourrait répondre, un peu dans le style de la maman de Forrest : n'est naïf que la naïveté.

Pendant ce temps, au milieu « d'enfants déjà exsangues, sacrifiés à un idéal moral ou esthétique », des jeunes ne trouvent leur salut que par une décision prise seuls, dans « un spasme plus profond que celui du sens moral ». (Ce que savait Maisie)

Ces jeunes sont des « spécimen d'une espèce nouvelle, trop fragile pour vivre et lutter ».
Certains voudraient nous faire comprendre que l'acceptation ne signifie pas la résignation.
Mais c'est qu'ils sont effroyablement isolés ; ce qui est toute l'ironie du pragmatisme, comme philosophie sociale.

TONALITÉ
« Amor fati » tel est le dernier mot du livre, et peut-être celui de toute une philosophie. le personnage pragmatique témoigne finalement d'un fatalisme certain. (si on oublie le sens nietzschéen).
Ici, il n'est jamais question d'amour, sinon de l'amour du destin, ou bien l'amour doit être imperceptible ;
De même qu'il n'est question que d'une « certaine liberté », une liberté toute intérieure, cérébrale.

On sentait que la tonalité de la scène pouvait changer à tout moment, mais il y a aussi une tonalité qui dure, plus profonde. « Cette tonalité fondamentale n'est-elle pas l'impression que produisent sur nous les puissances du corps ? ».

Lorsque l'autre entre en scène, on pourrait avoir l'impression d'un corps à corps, selon le « postulat psychophysiologique ». On dirait par exemple avec Sartre « L'autre entre, n'importe quel autre, et je ne m'appartiens plus. ». Ce qui pourrait aussi bien signifier, s'abandonner à ses caresses. Comme dit la chanson : “Il suffira d'un signe”.

Mais l'autre, du point de vue pragmatique, n'est qu'un élément conducteur ou isolant, sympathique ou antipathique. Un élément finalement isolé et pris dans un rapport intérieur du « corps comme cage d'un autre corps ». Toute une croyance qui dispose à dompter ses passions, ou l'animal désigné comme le spectre, etc…
D'où peut venir l'effet de surprise ?

* Note : le philosophe Peter Sloterdijk, dans « Bulles », a vu un autre rapport entre deux corps. Les « bulles bi-unitaires » sont le lieu où peut germer ou mourir la confiance viscérale dans la coexistence.
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David Lapoujade - Sur la peinture : cours mars-juin 1981
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