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EAN : 9782355770043
253 pages
Rumeur Libre (10/10/2008)
5/5   3 notes
Résumé :
"...une mémoire engloutie, une culture brisée, la fierté, dont l’évocation requiert modestie et rigueur... ni dans la politique, ni dans la colère ou dans le ressentiment, mais dans la mémoire partagée... (un livre) qui désigne ces blessures intimes -et ces peurs- que le journalisme est impuissant à dire..."

Une nouvelle édition de l'ouvrage publié en 1991 chez Cadex et réédité en 2001 chez Comp'Act. Le succès attribué à un grand livre, par des lecteu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Lucien Wasselin Les Visages et les Voix, La Tribune de la Région Minière, 3317, p.4, 2009
(à propos de Les Visages et les Voix) Il est des livres qui traversent les années et trouvent toujours leurs lecteurs, contrairement à de nombreux autres qui, au bout de six mois, quittent définitivement l'étal des libraires, bien qu'on en ait abondamment parlé dans les journaux à la mode. L'ouvrage de Patrick Laupin, Les Visages et les Voix, appartient à la première catégorie. Sa première édition, chez Cadex, remonte à 1991, elle fut suivie d'une deuxième chez Comp'Act en 2001 et en voici la troisième chez un nouvel éditeur, La Rumeur Libre, qui se distingue par son exigence…

Patrick Laupin est issu d'une famille de mineurs du bassin houiller des Cévennes. Il a passé une bonne partie de son enfance dans ce milieu, il en a conservé des souvenirs très vifs et, à l'heure de la fermeture des puits et ensuite, il revient sans cesse sur les lieux. Au-delà des souvenirs d'enfance dans lesquels se mêlent les êtres et les paysages, c'est l'enfouissement d'un groupe ouvrier dans l'oubli par le biais de la destruction de leur outil de travail qui se dit dans ce beau livre souvent émouvant mais toujours d'une grande rigueur intellectuelle.

Et c'est une ode à la classe ouvrière qu'écrit Patrick Laupin: calmement, avec une pudeur jamais prise en défaut, avec un respect de chaque instant…, à l'opposé de la condescendance de certains politiciens qui se penchent sur la France d'en-bas ou du mépris d'autres qui s'apitoient hypocritement sur les travailleurs qui se lèvent tôt. La démagogie est totalement absente de ces pages: Patrick Laupin n'attend rien de ces hommes et de ces femmes dont il parle car il leur doit déjà tout: “J'ai toujours éprouvé tenir mon langage de cette vallée arborescente de fougères, de cette terre austère et patiente rythmée par le labeur. Enfance, amour et mémoire, ce livre est le souvenir, toujours vivant en moi, de ceux de ma famille, qui travaillèrent à la mine.” Mieux, il entend redonner la parole à une corporation qu'on a voulu réduire au silence, à l'inexistence: “Et je suis convaincu que des êtres restent à jamais séparés des autres lorsqu'ils ont une expérience impossible à transmettre.” Car la première violence faite au travailleur qu'on prive de son travail, c'est le silence qu'on lui impose…

Ce livre est inclassable, il se joue des genres littéraires: ce n'est pas un roman, ce n'est pas un récit, ce n'est pas un essai, c'est la succession de trente-six textes (souvenirs, descriptions, proses au statut indéterminé, poèmes en prose, vers, propos d'anciens mineurs…) dont quatre sont composés exclusivement de paroles de mineurs recueillies sans doute par l'auteur.

Patrick Laupin ne décrit pas pour le simple plaisir de décrire mais pour capter quelque chose de profond qui renvoie à la construction de son identité, même si le lecteur appréciera de très beaux passages comme celui-ci: “Il y a l'émergence d'un vide dans cette lumière de plomb gonflée d'un creux d'éther, d'un bleu étale vrombissant du jaune et du vert les plus limpides, du mauve violet parfumé d'orage, d'orange des chênaies, de lueurs presque rousses, du jaune vieil argent des ormes guetteurs arqués en à-pic.” L'écriture est exigeante, précise, minutieuse mais le réel reste en équilibre instable, prêt à s'évanouir si l'attention du lecteur vient à manquer: c'est une écriture à lire lentement pour ne rien perdre de ce qui se dit dans ces pages, une écriture à l'opposé du bavardage contemporain dans lequel un mot chasse l'autre, un livre chasse l'autre.

Dans le dernier texte, le Chemin de la Grand-Combe, les phrases commencent et ne se terminent pas, font de la place à une autre phrase qui, à son tour… Ainsi Patrick Laupin ouvre-t-il de multiples perspectives qui ne s'annulent pas mais s'ajoutent pour dire le monde dans sa diversité car la richesse du réel ne s'épuise pas et tout se mêle alors. le style de Patrick Laupin (son phrasé car, le lisant, c'est aussi une voix qu'on entend) est reconnaissable entre cent autres.

Il s'agit toujours de dire, de lutter contre le non-dit, de dépasser “l'informulable, l'indéchiffrable, l'intransmissible” , de vaincre ces zones d'ombre pour rendre aux humains d'ici - les mineurs et leurs proches - une dignité que la société de la marchandise, avec sa sacro-sainte rentabilité, leur a déniée. Et c'est alors toute la beauté d'un travail, toute la noblesse d'une vie ouvrière qui se donnent à lire, qui se transmettent par ce livre. Modestie et dignité d'une vie austère et grandiose: “… les cabas de cuir où l'on emmène juste ce qu'il faut manger. le même que l'on garde toute une vie, des années.” le contraire exactement d'aujourd'hui où tout se jette dès qu'utilisé une fois. Car la vie humaine aujourd'hui est jetable.

Alors, dans ce travail ingrat et dur, c'était la vie en ce qu'elle est irremplaçable, la vie au travail avec ses luttes contre la matière, contre l'exploitation, contre les risques, la lutte pour vivre mieux, la solidarité, l'amitié… Il fallait dire et répéter ces choses simples qu'actuellement les penseurs de deux sous bien en cour qualifient d'archaïques et de ringardes: “Les mineurs en grève sur le carreau, l'embrasure énorme et monstrueuse du puits sans un bruit. Vide noir sacré.”

Notre époque entend faire table rase de ce qui n'est plus rentable au prix de vies brisées: il lui faut tout enfouir dans l'oubli, jusqu'à la mémoire pour que la contestation ne gêne pas le règne de la marchandise. Patrick Laupin entend ici redonner vie à certains de ces hommes sacrifiés par l'économisme ambiant. Il y réussit fort bien.

Les mineurs ont recouvré leur mémoire. Il leur prête sa voix: un homme parle dans la cacophonie du spectacle généralisé qui n'est que silence de mort. Un homme parle et le sens alors s'élève, pour tous ceux qu'on a privé de mémoire et de parole, un sens s'élève donné en partage pour que se réunisse enfin le plus grand nombre qui n'a rien à attendre en dehors de la lutte. Reste au lecteur à se confronter à cette absence qui devient présence: l'avenir est de retour.

Lucien WASSELIN
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Simplement parce que TOUS les livres de Patrick Laupin sont INDISPENSABLES !!!!
Et celui-ci qui nous envoie l'écho des voix perdus des mineurs du bassin minier de la Grand'Combe peut-être plus encore
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Les mineurs sont un peu pour moi les philosophes artistes évoqués par Nietzsche. D'abord parce qu'ils sont les disparus du jour, où les images superficielles nous donnent toujours un peu trop l'illusion d'être nous. Parce qu'ils affrontent le rythme de la matière, reconnaissent forcément leur "inhabileté fatale" devant tel obstacle gisant, parce qu'ils se heurtent à l'épaisseur nocturne du fond, et parce que le risque est la nature même de leur travail. Devant l'impasse muette de la matière ils inventent leur solitude. Leur être, au-delà de toute illusion est métamorphosé par cette rencontre, investigation du fond, ce voyage dans les Indes noires, au centre de la terre. Il sont éveillés au monde du bas. Il émane d'eux spirituellement une ascèse, parce que leur travail des mains est générateur d'un formidable travail de l'esprit et du coeur. Ils n'écrivent pas, ils sont écrits, ils sont sentinelles du vivant, puiseurs mémorable. Car il existe un geste mental, intact et rythmé, qui est source du véritable esprit, quand l'être s'affronte à l'opacité réfractaire de la matière.
Nieztsche, relégué dans une solitude de mansarde, commençant son existence de promeneur solitaire, fut un des premiers (avec Rimbaud et Mallarmé) à situer le vrai lieu de la création de la vie du langage dans l'impulsivité de la matière, dans le geste et le rythme. "Tout mouvement est à concevoir en tant que geste, une sorte de langage dans lequel s'entendent des forces [...] Tous les mouvements sont les signes d'un événement intérieur et chaque mouvement intérieur s'exprime par de semblables modifications de formes [...] A partir de chacune de nos impulsions fondamentales se produit une appréciation perspectiviste de tout événement comme de toute expérience vécue."
Et ces signes d'un événement intérieur sont d'abord une intuition vibrante de la pensée, un grand geste d'indication, un désir de convertir l'émotion toujours depuis ce lieu où le langage nous abandonne, nous laisse errant dans la parole. La rencontre de la voix et de l'écriture est alors témoignage de l'espace vécu du corps. C'est peut-être cela la fonction d'éveil de l'écrit, hors de la faille poétique, rien ne transparaît du corps en son être de langage. Il s'agit de se faire "l'âme sentinelle", patienter, laisser surgir et naître. Avec des réminiscences..."Pour avérer que nous sommes bien là où nous devons être, parce que permettez cette appréhension, demeure un doute"(Mallarmé)
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" Je n'ai jamais oublié la cité des mines, accrochée à flanc de montagne, au pied du puits Fontaine et des galeries des Luminières. J'ai toujours éprouvé tenir mon langage de cette vallée arborescente de fougères, de cette terre austère et patiente rythmée par le labeur. Enfance, autour et mémoire, ce livre est le souvenir, toujours vivant en moi, de ceux de ma famille, qui travaillèrent à la mine. [...] Il ne s'agit pas pour moi de restaurer un passé mythique du travail des mines, non plus de me livrer à une analyse sociologique, mais de me laisser écrire à travers les voix de ceux qui me donnèrent la parole. De laisser parler, et entendre les voix des mineurs rencontrés, les voix de ceux qui se souviennent. Et je suis convaincu que des êtres restent à jamais séparés des autres lorsqu'ils ont une expérience impossible à transmettre. C'est rencontrer alors cette difficile, même impossible question : que font les humains de la mémoire, des lieux du travail, et des paysages, où ils furent, quand presque tout est détruit ? " (Patrick Laupin)
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