Pour les gens comme moi, qui ne tolèrent pas l’absence – c’est ce qui est écrit là, non : intolérance à l’absence ? Un peu comme une allergie alimentaire, en somme : trop d’absence et je fais un œdème de Quincke, j’étouffe, je crève – pour les gens comme moi, Internet est à la fois le naufrage et le radeau : on se noie dans la traque, dans l’attente, on ne peut pas faire son deuil d’une histoire pourtant morte, et en même temps on surnage dans le virtuel, on s’accroche aux présences factices qui hantent la Toile, au lieu de se déliter on se relie.
Mais ce n’est pas un si simple rôle, c’était mon être qui se modelait peu à peu, qui se recomposait par amour - oui je crois que le mot est juste, l’amour, est-ce que ce n’est pas s’aliéner à quelqu’un, tomber en l’autre, ne plus s’appartenir?
Mais dites-moi, pourquoi une femme devrait elle, passé quarante-cinq ans, se retirer progressivement du monde vivant, s’arracher l’épine du désir?
La langue est le reflet de ma vie. Quand je voudrai mourir tout à fait, je me tairai.
On écrit pour garder la preuve, c'est tout. Les livres sont faits de ces souvenirs qui s'entassent comme les feuilles d'arbres deviennent la terre. Des pages d'humus.
En gros, [Lacan] dit que l'amour est toujours réciproque. Pas au sens où on serait toujours aimé quand on aime - ah là là, ce serait trop beau -, mais dans la mesure où quand j'aime quelqu'un, ce n'est pas au hasard, ce quelqu'un est concerné par mon amour, il en est partie prenante, ou partie prise, si vous préférez, c'est lui que j'aime et pas un autre, et ce n'est pas rien d'être la cause d'amour de quelqu'un, ça crée un rapport, ce n'est pas neutre. J'aime bien cette idée qu'on est responsable de l'amour qu'on suscite, c'est-à-dire que d'une certaine manière, à défaut d'y répondre, on en répond. (p. 56-57)
Bien sûr que ça fait mal, aussi, oui bien sûr : l'autre est en ligne, mais pas avec vous. On peut tout imaginer, on imagine tout, on regarde les profils de ses nouveaux amis, de ses ami-e-s, en quête d'un post révélateur ; on décrypte le moindre commentaire, on fait d'incessants recoupements d'un mur à l'autre, on réécoute les chansons qu'il a écoutées, on en interprète les paroles, on s'informe de ses goûts, on visionne ses photos, ses vidéos, on guette la géolocalisation, on navigue en sous-marin dans l'océan des visages et des mots. Parfois ça vous coupe la respiration, vous êtes en apnée au bord de l'oubli où on vous laisse. Mais c'est moins douloureux que de ne rien savoir, rien du tout, d'être coupée. (p. 24)
Le désir veut conquérir et l'amour veut retenir, dit-il. Le désir, dit-il, c'est avoir quelque chose à gagner, et l'amour quelque chose à perdre.
La seule façon de se sortir d'une histoire personnelle, c'est de l'écrire.
Enseignante. En saignant aussi, quelquefois.