AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,5

sur 383 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Elle est insolite cette petite danseuse, affichant un calme détaché, une nonchalance étudiée, les mains jointes dans son dos. Sculpture habillée de vrai tulle, je me souviens de notre première rencontre, au Jeu de Paume qui abritait alors les impressionnistes. Elle et Olympia m'avaient ce jour de sortie scolaire subjuguée par leur présence évidente, naturelle.

Alors depuis la rentrée (littéraire), je tourne je vire j'hésite autour de ce bouquin. Est-il bien nécessaire de décrypter encore une trajectoire d'artiste, Edgar Degas, l'origine d'une oeuvre d'art aussi célèbre soit-elle, la sculpture de la Petite Danseuse de quatorze ans, achevée en 1881 ?

Si vous lisez ce billet, c'est bien sûr que j'ai craqué. Il faut dire qu'une exposition « Degas Danse Dessin » commence aujourd'hui au musée d'Orsay (un des mes préférés), que la danse m'a toujours passionnée, et surtout, après Celle que vous croyez, son dernier roman très apprécié, j'avais envie de lire Camille Laurens dans un autre registre.

Résultat : un texte court et passionnant, fruit d'une véritable enquête de plus de deux ans extrêmement bien documentée. Camille Laurens est partie sur les traces ténues de Marie van Goethem, petit rat inconnu à l'Opéra de Paris, qui fût le modèle pour cette sculpture, tout en s'efforçant, elle le précise en fin d'ouvrage, « de ne pas séparer le modèle de l'artiste, d'attraper si possible un peu de leur lien, d'où est né l'une des grandes oeuvres modernes. »

L'intérêt de ce récit est double. Il est à la fois très érudit ET néanmoins personnel, sans doute parce que au-delà de l'étude sociologique du milieu de la danse au XIXe siècle, du destin couramment tragique des danseuses le plus souvent réduites à se prostituer pour survivre, l'auteur éprouve une affection particulière pour Marie, pour sa pénible vie minuscule. « Chaque détail prend une place démesurée dans l'esprit, tout fait signe comme dans une histoire d'amour, tout est matière à interprétation, à obsession. »
C'est aussi ce qui fait que ce récit est original, prenant, comme le fut cette sculpture en son temps, dérangeante et résolument moderne.

Je sais que la petite danseuse m'attend à Orsay. Je sais aussi que je ne la regarderai plus de la même façon grâce à vous Madame Laurens. C'est bien cela, le pouvoir de l'art, déranger, faire réfléchir, emmener plus loin, émouvoir.
Commenter  J’apprécie          10018
La première fois que j'ai entendu parler de 'la Petite danseuse de quatorze ans' d'Edgar Degas, c'était fin janvier, grâce à Artips, ma dose d'art tri-hebdo. Comme souvent, l'article m'a donné envie d'en savoir davantage sur l'oeuvre, l'artiste et son modèle, Marie Geneviève van Goethem.
.
Dans cet ouvrage passionnant, Camille Laurens évoque la famille de la jeune fille, les conditions des petits rats de l'Opéra d'alors - également appelées 'marcheuses', ce qui en dit long sur leur boulot d'appoint ou leur reconversion si elles n'ont pas le talent nécessaire pour devenir danseuses. Issues de familles pauvres, elles répètent une dizaine d'heures par jour. Et c'est d'autant plus difficile qu'elles sont affaiblies par le manque d'hygiène (nourriture, soins...). Leurs mères sont de véritables maquerelles puisqu'elles espèrent, en les inscrivant à l'Opéra, que des hommes leur proposent des 'extras', voire qu'un riche devienne leur 'protecteur', et leur assure une rente à vie. Cela dit, si elles sont proxénètes, elles ne sont pas au service de pédophiles, juridiquement parlant, malgré la jeunesse de leurs filles : « La majorité sexuelle a été fixée à treize ans par la loi de 1863 - elle l'était auparavant à onze. » Affreux !
.
L'auteur s'interroge aussi, bien sûr, sur Edgar Degas - l'artiste, mais aussi l'homme « seul, intransigeant, sarcastique, tendre rarement », sur les relations qu'il a pu entretenir avec Marie Geneviève et ses autres jeunes modèles (chastes, apparemment, mais froides et distantes). Elle se demande ce qui l'a conduit à façonner cette sculpture, de cette façon-là, qui a tant choqué à l'époque. Pour cela, Camille Laurens situe le contexte socio-historique, artistique (réalisme en littérature), scientifique (anthropologie criminelle, thèses sur la supériorité de certaines 'races'). On découvre le 'beau monde' élitiste, misogyne et friand de chair fraîche de la fin du XIXe siècle…
.
Cet ouvrage documenté et riche se lit comme un roman, d'autant qu'on y sent la passion et la fascination de l'auteur pour ses sujets.
Accessible sans pré-requis, pour tous les curieux.
.
▪️ Merci à Babelio, Gallimard et Folio.
Commenter  J’apprécie          674
Titre : La petite danseuse de quatorze ans
Auteur : Camille Laurens
Editeur : Stock
Année : 2017
Résumé : La petite danseuse de quatorze ans est une sculpture mondialement célèbre d'Edgar Degas. Oeuvre révolutionnaire pour l'époque, décriée par certains, adulée par d'autres, la sculpture du maître déchaina les passions jusqu'à devenir une référence dans le monde de l'art et une oeuvre majeure du peintre et sculpteur parisien. Dans cette ouvrage, Camille Laurens part sur les traces du jeune modèle, nous livre une analyse approfondie de la place de cette sculpture dans l'histoire de l'art ainsi qu'une recherche approfondie sur le funeste destin de Marie van Goethem.
Mon humble avis : Soyons clair je ne suis ni de près ni de loin un spécialiste de l'histoire de l'art. Edgar Degas, le nom me disait évidemment quelque chose mais avant de me pencher sur ce texte de Laurens je ne connaissais ni son oeuvre ni sa vie et je n'avais jamais entendu parler de cette petite danseuse de quatorze ans considérée comme un véritable chef d'oeuvre et un trésor de l'histoire de l'art. Curieux de nature, avide de parfaire ma petite culture, je me lançais donc dans cette lecture avec beaucoup de curiosité et d'envie. Dans ce texte, aussi court que passionnant, Laurens part sur les traces de cette Marie van Goethem qui servit de modèle au maître. Petit rat de l'opéra, à une époque ou cette courte carrière tenait autant de la prostitution que d'un dur labeur, l'auteur nous dépeint la vie de cette jeune fille misérable mais aussi du destin de toutes les jeunes filles pauvres en cette fin de XIX ieme siècle. Avec une rare empathie, voir une passion assumée, Laurens part sur les traces de ce modèle, au physique certainement ingrat, qui servit de modèle à Degas pour tenter de gagner quatre sous à une époque où le travail des enfants était chose commune. Tout en mêlant cette recherche à un questionnement sur la place de cette sculpture et de son auteur dans l'histoire de l'art, Laurens délivre un texte érudit, touchant, jamais ennuyeux sur le petit destin de cette enfant. Par bribes, avec minutie ( surtout dans la dernière partie ) Laurens se livre à une véritable enquête pour tenter d'en savoir plus sur Marie. C'est beau, fascinant et maîtrisé à la perfection par une auteure qu'on sent impliquée dans son texte,en empathie totale avec son personnage. Un régal de lecture vous dis-je et ce pour deux raisons principales : pour le texte car cette recherche est édifiante et addictive mais aussi pour la vulgarisation sur une oeuvre d'art ô combien importante. Que demander de plus ? Avec La petite danseuse de quatorze ans on se divertit, on s'instruit, on est ému ( notamment les dernières lignes qui sont superbes ) et on en redemande, déçu de devoir achever cette lecture et laisser cette oeuvre d'art marquante qu'on a appris à connaître et à aimer. Encore une fois : un régal. Chapeau bas Mme Laurens...
J'achète ? : Sans aucun doute, un livre marquant, malheureusement trop court mais un vrai plaisir de lecture rare et précieux. Si ces quelques lignes et mon humble avis ne t'ont pas convaincu j'en serais fort déçu alors bouge ton petit corps ( pour ne pas dire autre chose ) et va immédiatement te procurer cet ouvrage !
Lien : https://francksbooks.wordpre..
Commenter  J’apprécie          506
La petite danseuse n'a pas été accueillie comme elle aurait dû être, ou l'artiste était en avance avec son temps ? etc tant de questions à éclaircir. Si comme moi, votre rencontre avec la petite danseuse au musée d'Orsay vous a fait de l'effet : soit on est indifférent, soit on fuit, soit on est subjugué. C'est le dernier qui s'est présenté à moi. Depuis, j'ai aussi regardé sur Arte "Mai au musée" un sujet fort intéressant sur Degas, et là j'ai découvert ce monde de l'opéra pas très reluisant comme on pourrait le croire. Intriguée j'avais croisé cet essai à sa sortie, mais comme d'habitude, un livre nous pousse vers un autre, etc.. une chaîne sans fin, et on finit par remiser ce livre qui nous a fait de l'oeil. Mais il était resté dans un coin de ma mémoire, quant après ce documentaire, j'ai fini par retrouver cette petite danseuse dans ma Pal. Il complète pour ma part le documentaire qui m'a bien aidée à débroussailler l'histoire de cette petite fille. J'ai appris d'autres détails omis par le documentaire, et vice versa. J'ai pris cette sculpture en photo et je suis toujours subjuguée par cette oeuvre. Et je retournerai lui rendre visite c'est certain et m'attarderai sans doute aussi sur toute l'oeuvre de Degas.
Un essai, très intéressant pour le sujet et la qualité. J'ai bien hâte de la revoir, cette petite Marie.
Au delà de cette histoire, ce récit apporte aussi des réflexions sur l'art en général, comment il est perçu, l'art à une époque donnée, comment il traverse le temps etc...
Une lecture donc enrichissante.
Commenter  J’apprécie          190
Jusqu'à la lecture de cet essai, jamais je ne m'étais posée la question sur qui était le modèle de cette petite danseuse de quatorze ans d'un artiste reconnu en son temps, ce fut donc l'occasion pour moi de découvrir l'oeuvre et le contexte historique de sa présentation au public, et quelle découverte !!!

Dire que j'imaginais que les petits rats de l'époque étaient considérés de la même manière qu'aujourd'hui, quelle naïveté et ignorance de ma part et quelle horreur et calvaire pour toutes ces petites ou jeunes filles. Une vie de labeur, une perte d'innocence orchestrée par la main de celles qui auraient du les protéger ! Petites filles devenues objets de désir pour des bourgeois pouvant être leurs pères voire leurs grand-pères ! Petite danseuse grandie trop vite devenue modèle pour assouvir l'obsession d'argent et d'une vie meilleure de sa mère.


Marie, toi le modèle de cette danseuse, comment aurais-tu pu deviner que ta statue provoquerait un tel scandale ? Degas s'en doutait-il et le souhaitait-il ?

Cette position de repos d'une danseuse avec ce visage relevé vers le spectateur ou le voyeur, attitude de défi ou de réflexion vers le monde ? Degas l'a pensé tout comme sa volonté de la faire en cire pour qu'elle reste malléable. Mais le public bourgeois refuse de reconnaitre le sort de ces petits rats, de ces "marcheuses" et préfère cherche les aspects physiques qui font de toi une future criminelle comme le veut la criminologie de l'époque.


Mais, Marie qui étais-tu ? Qu'est-tu devenue ? Nous n'en saurons jamais rien car tu as disparu. Je te souhaite que tu ai vécu une vie meilleure que celle qui semblait se dessiner mais je n'y crois pas trop. Pourtant tu es désormais éternelle associée à cette sculpture devenue immensément célèbre et l'on peut te voir dans le monde entier.

Je remercie Babelio et Folio de m'avoir permis de découvrir l'histoire de la création de la petite danseuse de quatorze ans. Voici un magnifique essai sur une statue mondialement connue mais dont finalement l'histoire reste peu connue et le modèle encore plus. Si Camille Laurens n'est pas parvenue à découvrir le destin de Marie, elle est parvenue à me dévoiler un pan de l'histoire de cette sculpture et de la société de l'époque. 

Lien : https://autempsdeslivres.wor..
Commenter  J’apprécie          120
Ce n'est pas un roman mais un récit. Je vous embarque pour un véritable documentaire sur l'artiste.

Pourquoi "La petite danseuse de quatorze ans" ? Dès les premières pages, l'auteure nous dit sa passion pour cette sculpture et sa collection de copies en tous formats et tous matériaux. Elle va partir de cette création pour élargir son champ à l'intégralité de l'oeuvre de l'artiste.

Pourquoi une sculpture ? Comme vous peut-être, je connaissais le peintre impressionniste Edgar DEGAS mais je ne savais pas qu'il s'était adonné à d'autres arts. Il souhaitait en réalité accéder à la 3ème dimension, aller plus loin dans l'approche du corps.

Parisien, adepte des spectacles de l'Opéra Garnier, Edgar DEGAS a trouvé assez naturellement son inspiration auprès des danseuses. Mais ce n'est pas tant la beauté des corps qui l'a attiré. Edgar DEGAS fait partie de ces artistes qui font un pas de côté, qui ne se laissent pas instrumentaliser par une époque, une mode, un mouvement. Non, Edgar DEGAS est en quelque sorte un marginal dans la profession, il est célibataire, il ne couche pas avec ses muses...

Avec cette sculpture, Edgar DEGAS a voulu dénoncer la condition des danseuses, ces petits êtres cueillis presque au berceau auprès de mères vivant dans la pauvreté pour lesquelles le corps de leurs filles compte bien peu quand il s'agit de se nourrir. Edgar DEGAS a choisi de représenter la laideur pour montrer à quel point les corps de ces enfants sont fatigués prématurément. Quand elles ne dansent pas, elles se prostituent...

Edgar DEGAS a voulu surprendre le public avec cette oeuvre, générer une prise de conscience de la société autour de la condition des petits rats de l'institution. Il montre ô combien cette dénomination représente bien la vie de ces enfants condamnées, en dehors de la scène, à vivre dans des coulisses infestées d'hommes aux comportements de porcs avides de plaisirs sexuels.

C'est un parti pris par l'artiste, totalement assumé, qui va s'exprimer jusque dans le choix du matériau, la cire.

Nous sommes à la fin du XIXème siècle, le Musée Grévin de Paris vient d'ouvrir, Edgar DEGAS décide d'utiliser cette matière pour sa création. Ainsi, "La petite danseuse de quatorze ans" n'entrera dans aucune catégorie artistique de l'époque, il lui donnera une dimension unique.

Camille LAURENS en profite pour retracer l'ambiance du quartier de Pigalle dans lequel Edgar DEGAS a toujours habité et décrire l'euphorie artistique du moment, une véritable révélation.

Elle tire le fil de cette sculpture, dans ce récit très documenté, pour embrasser l'oeuvre de DEGAS dans son intégralité. Elle donne à voir la philosophie générale de l'artiste, sa vision de l'art.

En refermant le livre, je me sens subitement frustrée de ne pouvoir aller plus loin. Mais c'est sans compter sur la programmation du Musée d'Orsay qui accueille actuellement l'exposition "Degas danse dessin. Un hommage à Degas avec Paul Valéry."

C'est jusqu'au 25 février 2018. Une belle invitation, non ?
Lien : http://tlivrestarts.over-blo..
Commenter  J’apprécie          110
Sans hésitation, je me souviendrai de ce livre un bon bout de temps, et ce, pour plusieurs raisons.
Déjà, j'adore Camille Laurens. Au fur et à mesure de mes lectures, son style me plaît toujours autant, voire même davantage.
Ensuite parce que j'adore l'art, et même si ma culture générale n'est pas à son apogée, j'apprécie le fait d'apprendre, de (re)découvrir des oeuvres.
J'ai donc été servie par ce livre qui retrace la vie de Marie, ce modèle qui a abouti à la création par Edgar Degas de cette petite danseuse de quatorze ans.
Tout m'a plu : les digressions sur d'autres artistes et d'autres tableaux, les informations sur la vie des petits rats d'opéra au XIXe siècle, les recherches à la mairie de Paris, et j'en passe.
Super!
Commenter  J’apprécie          101
Je ne connais du monde de la danse et des petits rats, qu'un feuilleton passé à la télévision il y a fort longtemps. Un monde de rêve, même s‘il fallait bosser dur.
Ce que présente ce livre est tout-à-fait différent. «Ce qui fait souvent rêver nos petites filles n'était pas un rêve pour elle.»
« Elle s'appelait Marie Geneviève van Goethem. Ses parents étaient belges. Comme tant d'autres de leurs compatriotes…, ils avaient émigré pour fuir la misère et s'étaient installés au pied de Montmartre, dans l'un des quartiers les plus pauvres de la capitale. » Comme sa soeur aînée, elle est petit rat à l'Opéra Garnier. Non, ce n'est pas une sinécure, les gosses sont mal nourries, travaillent de longues heures, les supérieurs sont durs. Les mères, très présentes, proposent leurs filles aux bourgeois de Paris, elles se font maquerelles pour gagner quelques sous, que la petite soit établie, qu'elle ait son logement grâce aux largesses du monsieur bien sous tout rapport ! D'ici vient l'expression « s'offrir une danseuse ». le bourgeois choisit une danseuse et l'entretient, lui offre un logement, en fait sa maîtresse officielle, l'exhibe pendant que bobone, pardon, Madame, reste à la maison ! Ces petits rats étaient des proies très faciles pour l'avidité de ces messieurs.

Revenons à la statue qui a coûté sa place à Marie qui était souvent en retard ou absente parce qu'elle posait. le régime était strict et les amendes pleuvaient sur les danseuses pour un retard, un oubli… Les gamines devaient trouver un autre emploi et poser pour des peintres ou des sculpteurs étaient le moindre mal, même si elles finissaient souvent dans leurs lits. Ce ne fut pas le cas de Degas à qui on ne prête aucune aventure féminine ou masculine. Il ne vivait que pour son art. Peintre d'abord, il se met à la sculpture lorsque sa vue baisse au point qu'il ne puisse plus peindre.
Ah, que cette petite statue a fait couler d'encre lors de son exposition au salon des Indépendants. Imaginez, une statue de cire habillée de vrais vêtements, dans une cage de verre pour la protéger. Jour honni, où la petite danseuse est méprisée par le public. Si « Nina de Villard compagne du poète Charles Cros, qui écrira au sortir de l'exposition : « J'ai éprouvé devant cette statuette une des plus violentes impressions artistiques de ma vie : depuis bien longtemps, je rêvais de cela », Huysmans dit « sa face maladie et vise, tirée et vieille avant l'âge », d'autres « une bestiale effronterie ».
Ce n'est pas de l'art! S'exclament les uns. C'est un monstre, disent les autres. Un avorton! Un singe! Elle serait mieux au musée de la zoologie, ironise une comtesse. Elle est l'air vicieux d'une criminelle, renchérit une autre. «Quel laideron, celle-là! Lance un jeune gandin. J'espère bien qu'elle est la fée du rat à l'Opéra plutôt que la chatte au bordel ! »Un journaliste s'interroge: existe-t-il« réellement un modèle aussi horrible, aussi repoussant? »Une essayiste la décrit pour la revue anglaise «Artist » comme « moitié idiote », « avec sa tête et son expression aztèques ». «L'art peut-il tomber plus bas? »Demande-t-elle. Tant de vice! Tant de laideur! L'oeuvre et le modèle se confondent en une même réprobation, s'attirant une hostilité, une haine dont la virulence étonne aujourd'hui. «Cette fillette à peine pubère, fleurette de ruisseau » vient d'entrer dans l'histoire des révolutions artistiques. »
Pourquoi cet acharnement ? Camille Laurens en parle plus loin dans son livre. Degas adhère aux thèses de Lavater qui établissent un lien entre l'apparence physique et les aptitudes morales et intellectuelles de l'être humain. Ainsi, la petite danseuse a l'air «comme tous ceux des bas-fonds de la société, bien évidemment.
Degas aurait modifié les traits de Marie Geneviève van Goethem pour l'enlaidir et correspondre à ces critères en cours au XIXe siècle.
Pourtant la statue garde son mystère. « La statuette demeure aux confins de toutes les réponses, comme le modèle reste en équilibre entre l'enfant et la femme, l'innocence et la lubricité, à la fois proche et insaisissable. » Si elle n'a pas perdu de son mystère, son intérieur fut dévoilé par radiographie. « Ainsi de récentes radiographies de la statuette définitive ont montré qu'elle était bourrée d'éléments hétéroclites, à commencer par des manches de pinceaux –on ne saurait mieux justifier le mot d'argot qui désigne les jambes ! Il s'y trouve aussi des chiffons, des copeaux de bois, du molleton de coton, des verres et des bouchons de liège, tous empruntés par Degas à son environnement immédiat, en une improvisation inspirée dont la précarité s'accorde à celle du modèle. »
Merci Camille Laurens d'avoir eu la curiosité d'aller chercher qui était cette petite danseuse de quatorze ans, de nous en faire le portrait, sans jamais lui inventer une vie fictionnelle, de lui rendre justice. A travers Degas et elle, vous brossez le portrait de la société de l'époque.
Un livre très riche, argumenté, une réflexion sur l'art, le conformisme (même chez certains impressionnistes). le moralisme bourgeois que vous décrivez pourrait être l'aune qui mesurera notre société à venir.
« L'archive est un gouffre, c'est une spirale à l'attraction de laquelle il est impossible de résister. Chaque détail prend une place démesurée dans l'esprit, tout fait signe comme dans une histoire d'amour, tout est matière à interprétation, à obsession. Il y a une pathologie de l'archive, une passion peut-être aggravée quand on est romancier. » Camille Laurens, une amie généalogiste amateur, passionnée, ne dirait pas autre chose.
Degas, « ce misanthrope désigné, cet homme prétendument dur et misogyne qui a métaphorisé son âme en une image de midinette : « j'ai enfermé mon coeur dans un soulier de satin rose » »
J'ai rencontré l'écriture de Camille Laurens avec « Celle que vous croyez » et « La petite danseuse de quatorze ans » est un coup de coeur.

Lien : http://zazymut.over-blog.com..
Commenter  J’apprécie          100
Image choisie pour Babelio , est-ce que je vais apprécier qu'elle soit ainsi disséquée, expliquée, psychanalysée ?
OUI, sans conteste car on est littéralement aspiré par l'enquête : à la recherche de la petite danseuse de 14 ans perdue. On vibre à la rencontre de ce petit modèle-adolescent et de ce grand sculpteur qui aboutit à la création de cette oeuvre inégalée, cire et tulle, énigmatique et envoûtante, mouvement et sidération.
L'enquête est fouillée, passionnante, toujours en parallèle intelligent : Marie-Geneviève là-bas, petit rat englouti dans son passé à la Zola et nous ici-bas avec Misty Copeland, danseuse géniale et son passé à la Zola.
Vite, on court voir la petite danseuse de 14 ans en vrai !
Commenter  J’apprécie          90
Lecture très instructive!
La vie parisienne décrite dans ses us et coutumes, qui n'épargne pas les enfants qui naissent pauvres.
L'opéra, foyer de l'exploitation des miséreuses, les peintres, nantis, parfois, qui en ramènent jusqu'à aujourd'hui l'ambiance ; cela pour le prix d'un ticket d'entrée au musée.
Lien : https://fr.wikisource.org/wi..
Commenter  J’apprécie          90




Lecteurs (750) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (5 - essais )

Roland Barthes : "Fragments d'un discours **** "

amoureux
positiviste
philosophique

20 questions
848 lecteurs ont répondu
Thèmes : essai , essai de société , essai philosophique , essai documentCréer un quiz sur ce livre

{* *}