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EAN : 9782707320759
280 pages
Editions de Minuit (03/09/2009)
4.04/5   682 notes
Résumé :
Ils ont été appelés en Algérie au moment des « événements », en 1960. Deux ans plus tard, Bernard, Rabut, Février et d'autres sont rentrés en France. Ils se sont tus, ils ont vécu leurs vies.

Mais parfois il suffit de presque rien, d'une journée d’anniversaire en hiver, d’un cadeau qui tient dans la poche, pour que, quarante ans après, le passé fasse irruption dans la vie de ceux qui ont cru pouvoir le nier.
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Critiques, Analyses et Avis (116) Voir plus Ajouter une critique
4,04

sur 682 notes
J'ai déjà lu quelques romans qui évoquent « La guerre d'Algérie », tel que l'excellent « L'art de perdre » d'Alice Zeniter, mais sans véritablement m'intéresser à ce sujet plus étroitement lié à l'histoire de la France qu'à celle de la Belgique. Mais bon, les critiques étant dithyrambiques et le père de Laurent Mauvignier étant lui-même un ancien d'Algérie s'étant suicidé, je me suis finalement attaqué à ce roman qui raconte certes cette guerre, mais à hauteur d'hommes.

D'ailleurs, Laurent Mauvinier n'en parle pas vraiment de cette page sombre de l'histoire de la France car personne ne veut en parler…même pas ses personnages. Pourtant, Bernard et d'autres jeunes ont été appelés durant la guerre d'Algérie, y ont participé en tant que bourreaux, tueurs, violeurs, victimes, voire juste témoins impuissants face à l'imbécilité des hommes. Mais bon, ils sont vieux maintenant et même si l'Algérie hante encore leurs cauchemars, nourrit encore leurs regrets, s'invite parfois même au coeur de non-dits que l'on passe au plus vite sous silence, ils ressassent leurs pensées… Jusqu'au jour où…

Bernard a d'ailleurs quitté sa femme et ses enfants, tourné le dos à sa famille, ruminant son passé dans la solitude et noyant ses regrets dans l'alcool. Pourtant, lors de l'anniversaire de sa soeur Solange, la seule qui le comprend encore un peu, un incident met subitement le feu aux poudres. Les vieilles rancoeurs familiales font irruption et le passé ressurgit…

Au fil des pages, Laurent Mauvignier délivre les pensées de ces hommes abimés par les ravages de la guerre d'Algérie. D'un style hachuré, il partage des phrases inachevés, sans ponctuation distinctive, des mots qui se bousculent et tentent de refaire surface, un silence qui ponctue les non-dits d'une honte révélatrice. le lecteur, lui, colle son oreille aux pages du livre, filtre les pensées et les mots qui remontent à la surface, se fait progressivement une idée du drame vécu, mais gardé sous silence, entrevoit progressivement tous les traumas enfouis au fond des mémoires. Au-delà du silence, les voix étouffées au fond de gorges nouées deviennent subitement assourdissantes, la porte de la guerre d'Algérie vient de s'entrouvrir…
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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Nouveau tour de magie pour Mauvignier, qui fait entendre la voix de la « grande muette ». Elle ne peut parler (malgré ses récents écarts) mais n'en pense pas moins. Or les corps et les esprits trouvent toujours le moyen d'exprimer ce qu'ils ont vu, fait, vécu ou ressenti par les cauchemars, l'agressivité latente, la tristesse, les pensées ressassées… Et si un auteur est capable de nous faire lire dans ces pensées, c'est bien Mauvignier. Il nous livre ici celles Des hommes revenus en miettes de ces grandes vacances qu'on leur a imposées au « club bled ».


C'est lors de l'anniversaire de Solange qu'une toute petite étincelle met le feu aux poudres : au moment où son frère Bernard lui offre son cadeau, les critiques fusent, Bernard s'énerve et dépasse les bornes, devient agressif, commet l'impardonnable envers la seule victime que de vieilles haines et des réflexes passés désignent du fond de ses tripes devenues incontrôlables : l'Arabe. le passé ressurgit : aux vieilles querelles de famille s'ajoutent les réminiscences de la grande Histoire, d'une guerre intriquée dans l'histoire personnelle et intime de chacun.


L'Algérie a ajouté aux non-dits familiaux les récits interdits et impossibles des « événements ». Des horreurs indicibles : napalm, gégène, raids dans les villages, missions ratées, compagnons décimés… Nous avons tous entendu les rescapés se désoler d'avoir dû faire « là-bas » ce que l'on reproche tant aux Allemands d'avoir fait chez nous en 45. Entendu les cauchemars, vu les ombres et les pleurs dans les yeux de ces générations maudites, qui ont subi deux guerres dont l'une en victime, et l'autre en bourreau, au point de ressentir comme personne le mal qu'ils ont été contraints d'infliger. Les regrets pèsent, les actes demeurent, les souvenirs les dévorent mais rien ne doit filtrer, rien n'est raconté. Jusqu'au jour où…


Dans ce roman, l'auteur « délivre » littéralement les pensées de l'un Des hommes revenus abimés de la guerre d'Algérie, témoignage d'un inévitable dérapage programmé. Une fois de plus, l'écriture de Mauvignier m'a happée. Sa capacité à dépecer le moment présent, le décrypter à l'aune des pensées de son narrateur ; Ses phrases tantôt longues, tantôt déstructurées comme des dialogues interrompus par d'autres pensées, d'autres moments. Les mots qui se bousculent puis ne sortent plus, ceux attendus mais jamais dits, ceux trop lourds que l'on étouffe et qui nous le rendent, ayant toute la place pour grossir dans ce silence assourdissant, jusqu'à ne plus pouvoir être contenus et devoir s'exprimer, par tout moyen.


Un bémol : J'aurais aimé connaître les tenants et aboutissants de tous les sujets ouverts par l'altercation. Pour certains d'entre eux, il me restera des silences et des non-dits. Juste retour des choses. Toute l'histoire tient en la justesse de ce que Mauvignier dépeint, la manière dont les personnages apparaissent sous le dessin des mots, des phrases parfois à peine esquissées puis empêchées ou abandonnées. Ce qui n'arrivera pas à cette lecture, très prenante. Merci à Paroles pour la découverte !

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Une écriture hâtive, pressée, qui hésite, très orale, qui empêche toute mise à distance.
Même si on retrouve l'universalité du propos sur la guerre, quelle qu'elle soit, de ceux que l'on y envoie se faire massacrer et massacrer les autres, l'impossibilité de raconter alors que les souvenirs des atrocités vécues, commises ou subies hantent toute l'existence . On retrouve cela dans toute la littérature de guerre ( la meilleure analyse du refus d'écoute de l'entourage se trouvant, pour moi, dans le fabuleux Voyage au bout de la nuit de Céline), et on sent que Mauvignier a dû être très marqué par le vécu de son père. Et son suicide..

Une petite particularité pour cette guerre d'Algérie, dont on a longtemps très peu parlé , je me suis souvent demandé pourquoi, (à part bien sûr le fait que la France met toujours des siècles à affronter son passé), ceci:
"On avait renoncé à croire que l'Algérie, c'était la guerre, parce que la guerre se fait avec des gars en face alors que nous, et puis parce la guerre c'est fait pour être gagné alors que là, et puis parce que la guerre c'est toujours des salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n'y en avait pas, c'étaient des hommes, c'est tout..."
Et des hommes auxquels ils peuvent s'identifier, ils sont -encore- français et défendent leurs terres, que feraient-ils si l'on leur faisait la même chose?

"La même incompréhension du pourquoi , au début. Après, on venge les copains et voilà tout."

Mais ce qui m'a le plus intéressée dans ce roman , ce n'est pas tant la guerre d'Algérie que l'histoire familiale. Avec laquelle commence et se termine ce roman très bien construit. Et que l'on retrouve même dans l'épisode principal de la vie des deux cousins. Qui domine le tout finalement . C'est encore une querelle de famille qui a sauvé la vie des deux cousins en Algérie. Et a sans doute provoqué la mort des autres . Toujours la même d'ailleurs, la fameuse scène de la mort de la soeur.

C'est un livre que j'ai lu rapidement, portée par le rythme et le style et qui laisse beaucoup de questions en suspens, sur lesquelles il faut revenir pour comprendre, tout est dit, mais c'est très dense.
Ce n'est finalement que la violence de Bernard qui fait remonter les souvenirs . Et chercher à comprendre qui il est vraiment.
Mais..

"Peut-être que cela n'a aucune importance , tout ça, cette histoire, qu'on ne sait pas ce que c'est qu'une histoire tant qu'on a pas soulevé celles qui sont dessous et qui sont les seules à compter, comme les fantômes, nos fantômes qui s'accumulent et forment les pierres d'une drôle de maison, dans laquelle on s'enferme tout seul, chacun sa maison, et quelles fenêtres, combien de fenêtres? Et moi, à ce moment là, j'ai pensé qu'il faudrait bouger le moins possible tout le temps de sa vie pour ne pas se fabriquer du passé, comme on fait, tous les jours; et ce passé qui fabrique des pierres, et les pierres, des murs. Et nous on est là maintenant à se regarder vieillir et ne pas comprendre pourquoi Bernard il est là-bas dans cette baraque, avec ses chiens si vieux, et sa mémoire si vieille et sa haine si vieille aussi que tous les mots qu'on pourrait dire ne peuvent pas grand-chose."

C'est très noir, et très beau. Pas tout à fait désespéré, puisqu'il y a une lueur de lucidité , ou du moins de réflexion, dans cette famille.
Trop tard, bien sûr, mais c'est toujours trop tard. C'est d'ailleurs la dernière phrase du livre.
"Je voudrais savoir si l'on peut commencer à vivre quand on sait que c'est trop tard. "

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Lecture bouleversante...
C'est un voyage au bout de la nuit qu'accomplissent ces hommes revenus de la guerre d'Algérie. Une guerre qui ne ressemble en rien à celles qu'ont connues leurs pères ou leurs grands-pères. Une guerre larvée où l'horreur et la violence ont été là aussi très présentes et dont eux, ces jeunes gens devenus vieux, ne peuvent pas parler. Une vie à se taire, essayant tant bien que mal d'enfouir ces visions imprimées au fond de leurs pupilles. Une vie qu'ils auraient voulu autre, une jeunesse qu'ils auraient voulu pouvoir changer, rendre plus légère. Retrouver l'insouciance de leurs vingt ans... Mais rien, aucun retour en arrière n'est possible et il faut continuer et porter le poids de ses douloureux souvenirs.

Quelle puissance dans l'écriture, quelle douleur transmise par des mots simples, des phrases inachevées, des paragraphes chamboulés ! Des hommes, ni bons ni mauvais, qui préfèrent se taire pour cacher la vérité. Coupables ? Innocents ? Mais c'est quoi être un homme ? Comment ça se comporte un homme ?
Un sacré roman qui n'explique rien, qui ne prend pas partie mais qui dit la douleur des souvenirs, la peur de la guerre et le regret de la jeunesse perdue et non vécue.

« Ils ont été appelés en Algérie au moment des « événements «  en 1960. Deux ans plus tard, Bernard, Rabut, Février et d'autres sont rentrés en France. Ils se sont tus, ils ont vécu leurs vies.
Mais parfois il suffit de presque rien, d'une journée d'anniversaire, en hiver, d'un cadeau qui tient dans la poche, pour que, quarante ans après, le passé fasse irruption dans la vie de ceux qui ont cru pouvoir le nier. »
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Tout ça, c'est la faute à Bernard. Qu'est-ce qui lui a pris, bon sang !, de gâcher la fête d'anniversaire de sa soeur, et d'aller faire l'andouille chez l'autre, là-bas ? L'Algérie ?! Quoi, l'Algérie ? Qu'est-ce qu'il raconte, Rabut, le cousin qui va perdre le sommeil à ressasser toute la nuit les "événements d'Algérie", tels que Bernard et lui les ont vécus, alors qu'ils n'étaient que de jeunes paysans mal dégrossis qui se sont brutalement retrouvés sous le soleil aveuglant d'Oran ?
Laurent Mauvignier raconte de façon magistrale la Guerre d'Algérie et ses ravages, de l'intérieur de ces pioupious fracassés qui ne savaient pas à quoi s'attendre du haut de leurs 20 ans, qui se demandaient pourquoi "les gens ici on leur fait la guerre et on dit la paix", et qui finissaient par comprendre que "la guerre c'est toujours les salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n'y en avait pas, c'était des hommes, c'est tout." Et l'auteur tisse son récit autour du silence assourdissant, épais comme le doute et la peur, qui les enveloppe, silence des émotions et des interrogations, silence des témoins et des coupables, silence de la Grande Muette, silence de l'indifférence lors du retour au pays.
D'ailleurs, même les dialogues sont feutrés, sans ponctuation distinctive, comme des voix étouffées au fond de gorges nouées depuis toutes ces années. Car outre ce qu'il relate, c'est la façon dont Mauvignier raconte qui m'a mise à genoux : quelle virtuosité et quelle maîtrise dans le style ! Peu importe si l'on peine momentanément à savoir dans quels souvenirs on est plongé, on est emporté par leur flux vif et continu ; il y a tant à dire, chez ces hommes que personne ne veut écouter.
Sans rien justifier ni excuser, l'auteur rend une forme d'hommage à cette génération de conscrits sacrifiés, qui n'avaient rien demandé et se sont retrouvés embarqués pendant 28 mois ( ! ) dans une guerre qui ne disait pas son nom, en un territoire français inconnu d'eux (qui n'avaient pratiquement jamais quitté leur village boueux de métropole), et qui sont revenus défaits -et surtout brisés.
C'est donc un roman "énorme" par ce morceau d'Histoire qu'il relate, par la densité et la puissance des émotions qu'il retranscrit, et par la prouesse de son écriture. Une lecture très forte, dont je ne suis pas sortie indemne. Et un auteur auquel je vais m'intéresser d'un peu plus près.
Amateurs d'Histoire et frères humains qui après eux vivez, faites-vous plaisir : lisez ce roman qui vous éblouira !
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Citations et extraits (72) Voir plus Ajouter une citation
"Il va voir la mer et il pense aux premiers mots qu'il écrira à Solange. Il se dit qu'il parlera de la taille du bateau, un bateau tellement grand, dira-t-il, qu'on ne serait pas loin d'y mettre tous les habitants de La Bassée. Pourtant il ne parlera pas des regards autour de lui, de l'étrange silence qui s'engouffre dans les regards et, sur le bateau, avec eux, avec l'air froid qui cingle, la présence de la peur.

Mais il pourra parler des mouettes, des remorqueurs qui s'agitent autour, comme les mouches avec les chevaux et les vaches en été ; et il ne parlera pas de cette crispation, cette panique, soudain, dans les regards, les corps tendus, les gestes plus lents, souffles retenus, quand, plus fort que les voix et les cris des quelques hommes sur les quais et plus fort aussi que ceux des mouettes qui planent au-dessus de leurs têtes comme les petits avions de guerre qu'il a vus une fois aux actualités, au cinéma, plus fort encore, oui, jusque dans la gorge, dans la tête, impossible de le dire, encore plus de l'écrire, pensera-t-il, ni à Solange ni à personne, quand sous ses pas quelque chose ressemble à un tremblement, un mouvement, des voix et le vent, et les mouettes, il perçoit un coup plus long et plus fort il lui semble, jusqu'au fond de son être, jusqu'à en avoir les mains moites et pour une fois croiser le regard livide d'un autre appelé qui, comme lui, comme eux, sait que dès cet instant toute sa vie sera perforée de ce coup de sirène qui annonce le départ."
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"Alors qu'il parle aussi et surtout quand la nuit tombe et que femme et enfants sont partis se coucher, qui a parlé ce soir-là, tellement parlé même, des années après les événements, leurs événements, enfin, lorsqu'ils avaient raconté, se retrouvant seuls et déjà éméchés, comment on avait du mal à vivre depuis, les nuits sans sommeil, comment on avait renoncé à croire aussi que l'Algérie, c'était la guerre, parce que la guerre se fait avec des gars en face alors que nous, et puis parce que la guerre c'est fait pour être gagné alors que là, et puis parce que la guerre c'est toujours des salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n'y en avait pas, c'était des hommes, c'est tout, et aussi parce que les vieux disaient c'était pas Verdun, qu'est-ce qu'on nous a emmerdés avec Verdun, ça, cette saloperie de Verdun, combien de temps ça va durer encore, Verdun, et les autres après qui ont sauvé l'honneur et tout et tout alors que nous, parce que moi, avait raconté Février, tu vois, moi, j'ai même pas essayé de raconter parce qu'en revenant il y avait rien pour moi, du boulot à la ferme, des bêtes à nourrir et puis regarder de loin, dans la ferme d'en face, la petite voiture d'où Éliane sortait tous les dimanches vers cinq heures, en revenant de chez ses beaux-parents. Parce que quand je suis rentré, se dire qu'elle était mariée, oui, ça, c'était vraiment dur. Et qu'elle était mariée avec un voisin, un pauvre type pour qui j'avais jamais eu le moindre respect parce que je savais que toute sa famille en quarante ça avait été des collabos, rien que des collabos retournant leur veste au dernier moment, toute cette saloperie chassant les derniers Allemands à coups de pelle, moi, on me l'a dit, ça, mon père me l'a dit, personne de plus furieux que les résistants des dernières heures, quelque chose à prouver, se rattraper, montrer qu'ils y sont, du bon côté, tout ce malheur c'est le souci d'être du bon côté, pour bien être du bon côté, je le sais, on me l'a dit, ce gars de vingt ans qu'ils ont achevé à coups de pelle et alors se dire qu'elle s'est mariée avec un gars de cette famille-là, cette engeance parce qu'il s'était fait réformer et qu'il avait de l'argent, pendant des mois en revenant je suis pas sorti de chez moi et même j'ai travaillé à la ferme comme jamais, j'ai refait les clôtures, j'ai marché pendant des heures dans la campagne et jamais j'ai trouvé que la boue c'était mieux que la pierraille, crois-moi, à ce moment-là, non, et la boue, les bottes, l'humidité et la lourdeur des champs, comment ça s'enlise, bon, le seul à qui je parlais sans gueuler c'était mon chien, dans les bois, quand je marchais pendant des heures et même le soir, c'était qu'à lui tout seul que je pouvais parler.
Bon, c'est toujours comme ça. Dans le bourg, des gars comme moi, il y en avait. L'Algérie, on n'en a jamais parlé. Sauf que tous on savait à quoi on pensait lorsqu'on disait nous aussi on est comme les autres, et les animaux valent mieux que nous, parce qu'ils se foutent pas mal du bon côté."
(Pages 228-230)
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Un soldat, ça y est, tu es un soldat, presque, pas tout à fait : tu as encore un nom mais bientôt tu ne seras plus que le numéro sur ta plaque autour du cou, sur le métal qui brûlera ta peau, parfois, lors des après-midi trop chauds, ou au contraire sera trop froid ; la plaque que tu n’oublieras pas, ton premier cadeau de l’armée. Sur le métal, deux numéros séparés par des trous en pointillé. Et si tu meurs, soldat, un morceau sera découpé par celui de tes copains qui aura eu plus de chance que toi, et un gendarme le portera avec tout ce qui restera de toi à la famille.
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Plus le temps passe, plus il se répète, sans pouvoir se raisonner, que lui, s'il était Algérien, sans doute il serait fellaga. Il ne sait pas pourquoi il a cette idée, qu'il veut chasser très vite, dès qu'il pense au corps du médecin dans la poussière. Quels sont les hommes qui peuvent faire ça. Pas des hommes qui font ça. Et pourtant. Des hommes. (…) Il pense aussi qu'il serait peut-être harki, comme Idir, parce que la France c'est quand même bien, se dit-il, et puis que c'est ici aussi, la France, depuis tellement longtemps. Et que l'armée c'est un métier comme un autre, sur ça Idir a raison, être harki c'est faire vivre sa famille alors que sinon elle crèverait de faim. Mais il pense aussi que peut-être tout ça est faux. Qu'il ne faudrait croire personne.
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Peut-être que ça n'a aucune importance, tout ça, cette histoire, qu'on ne sait pas ce que c'est qu'une histoire tant qu'on n'a pas soulevé celles qui sont dessous et qui sont les seules à compter, comme les fantômes, nos fantômes qui s'accumulent et forment les pierres d'une drôle de maison dans laquelle on s'enferme tout seul, chacun sa maison, et quelles fenêtres, combien de fenêtres ? Et moi, à ce moment-là, j'ai pensé qu'il faudrait bouger le moins possible tout le temps de sa vie pour ne pas se fabriquer du passé, comme on fait, tous les jours ; et ce passé qui fabrique des pierres, et les pierres, des murs. Et nous on est là, maintenant à se regarder vieillir et ne pas comprendre pourquoi Bernard il est là-bas dans cette baraque, avec ses chiens si vieux, et sa mémoire si vieille, et sa haine si vieille aussi que tous les mots qu'on pourrait dire ne peuvent pas grand chose.
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