La formulation utilisée dans cet ouvrage, "pauvre petit Blanc", est donc à la fois à entendre comme le signe d'une ironie épistémologique envers une victimisation fantasmée de ces Blancs, outrageante au regard des souffrances racistes subies par les non-Blancs, mais aussi comme le projet de déconstruction de ses soubassements idéologiques. Il n'est pas plus pauvre - au sens économique - qu'il n'est discriminé, il est la créature d'institutions qui perpétuent l'inégalité raciale et d'une classes moyenne et supérieure blanche qui, inquiète de ce qu'elle perçoit comme un déclin de son statut, se projette dans la figure du "petit Blanc".
De façon irréversible, les théoriciens de la blancheur, entendue comme pouvoir, ont montré les soubassements de l'idéologie raciale qui, tout en célébrant un universalisme qui définit l'humain comme n'ayant pas de race, retire des droits essentiels et donc de l'humanité à ceux qu'elle exclut. La blancheur est le mécanisme symbolique par lequel certains acquièrent et maintiennent leur ascendant social, politique et économique sur d'autres groupes. La blancheur, c'est le produit d'une relation, d'un face-à-face, d'une attribution asymétrique du pouvoir et de la considération.
La confusion fut entretenue depuis entre ce qui n'était que le rétablissement de la justice et la dépossession des Blancs. La limitation par le droit du pouvoir de dominer, d'exploiter et d'assujettir fut ainsi perçue comme une "discrimination inversée".
Prémunis contre la "charge raciale" (équivalent racial de la charge mentale) qui pèse sur les non-Blancs aux Etats-Unis, les Blancs qui sont conviés à reconnaître l'existence d'un racisme structurel réagissent par des attitudes de défense agressive face à qu'ils perçoivent comme une attaque injuste, malveillante. Ils expriment colère et déni lorsque les mécanismes de la suprématie blanche dont ils sont les acteurs (le plus souvent inconscients) sont abordés. Blanche elle-même, DiAngelo constate que ceux qui sont les plus à même de nier la réalité de la domination blanche sont les catégories sociales supérieures, éduquées et qui se pensent progressistes. Dans le discours, ces Blancs des catégories aisées recourent au thème de l'universalisme aveugle à la race et prétendent ne rien avoir à voir avec le racisme grossier des "petits Blancs" sans pedigree. Ils affirment être indifférents à la race de leurs interlocuteurs et peuvent même accuser ceux qui parlent de race d'être les vecteurs du racisme. Une même rhétorique fallacieuse s'entend en France parmi les élites soudainement offusquées lorsque les militants antiracistes parlent des effets délétères de la "blanchité".
Jouissant d'un sentiment de légitimité dans l'espace public, délestés du poids de la race, les Blancs sont "transparents"; leur domination est invisible car ordinaire, elle a force de loi et se présente comme l'évidence.
Être Blanc est donc une position politique appuyée sur une idéologie identitaire ancrée dans les institutions et dans la culture commune qui a justifié tout au long de l'histoire nationale l'inégale accès à la vie, à la sécurité et à la "poursuite du bonheur".
En créant ce "pauvre petit blanc", ces agents efficaces de la "démocratie réactionnaire" normalisent les théories d'extrême droite, intègrent le racisme comme variable pertinente de leur analyse politique et effacent l'expérience des classes populaires immigrées ou racialisées, qui ne sont pas créditées de la même souffrance de classe et moins encore d'appartenance à la nation.