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Critique de DocIdoine


Ayant pour principe de ne jamais rien acheter à la nouvelle Table Ronde qui me fait d'autant plus horreur qu'elle symbolise pour moi la trahison de l'esprit d'origine tout en vivant de ses rentes sur les auteurs comme Blondin ou Laurent, c'est soulagé que j'apprends que j'ai échappé à une préface de Leroy.

J'ai ramassé Une Sacrée salade sur l'étal d'un brocanteur, dans une vieille édition enveloppée d'une couverture géniale de Siné sans rapport avec la couverture postmoderne absurde utilisée sur la page de Babelio. Et j'en ai fait ma lecture du week-end. Je m'apprêtais à me fendre d'une critique quand j'ai vu les stupidités qu'on "croyait avoir comprises" avec les lunettes blanches et noires du politically correct version 2019.

Je me suis dit que, tant qu'à faire, j'allais rectifier ça. Après tout, quand on prend un quart d'heure à rédiger quelque chose de gratuit sur sa journée de travail, autant primo se faire plaisir, secundo que ce soit utile. Alors, ainsi, j'apprends que c'est un roman anti-pétainiste (!!!) passeke sou Vichit ont tuer lé avorteuz. C'est hilarant de lire un truc pareil alors que ça va faire des dizaines d'années que j'entends répéter ad nauseam que Laudenbach (Action Française, OAS, etc.) et Jacques Laurent, c'étaient d'horribles pétainistes, des fascistes même (dixit BHL), et que Vichy... c'était justement eux! Et c'est vrai, n'est-ce pas. Jacques Laurent était effectivement FONCTIONNAIRE DE VICHY, très exactement au Secrétariat général à l'Information, et non seulement ça, mais encore homme de confiance de Paul Marion, co-fondateur du PPF, parti violemment fasciste et collaborationniste, et pour couronner le tout: contributeur actif à l'organe de propagande vichyssois Révolution nationale!

Ensuite, "ont envoyé lé avaurteuze à l'échafo" sous Vichy? Non. UNE femme, une répugnante commerçante de l'avortement en série, une sordide criminelle a été exécutée sous Vichy. UNE. Et il est probable qu'elle aurait été exécutée tout pareil sous la IIIe, la IVe ou la Ve République de de Gaulle. C'était une sainte à peu près autant que la Voisin ou Elisabeth Bathory.

Enfin, j'apprends - effarement de ma part - ke leu filme ki a éter tirai du livr il été boykoter par le gouvernemant. Alors, j'ai vérifié pour vous, d'accord? C'est sympa, non? Et voilà le résultat. L'adaptation d'Une Sacrée Salade au cinéma est signée Roland Laudenbach et Alexandre Astruc. Or Astruc raconte précisément dans le Plaisir en toutes choses que "Roland Laudenbach était associé à Colette, la femme de Jacques Duhamel, directeur de cabinet d'Edgar Faure" (alors président du Conseil, c'est-à-dire qu'il DIRIGEAIT le gouvernement) et qu'ils ont obtenu d'Edgar Faure qu'il SOUTIENNE la candidature des Mauvaises Rencontres, adaptation cinématographique du roman, au festival de Venise.

Bien, ceci étant réglé, il est très amusant de comparer le manichéisme puéril du XXIe siècle, entièrement réglé par 50 ans d'anéantissement de l'imagination sous influence médiatique, avec les contrastes, les nuances, l'immense variété des prises de positions sociales et politiques des années 1950. Des "fasciiiiistes" "pétainiiiiistes" comme Laudenbach et Laurent pouvaient en effet prendre des positions en faveur de la légalisation de l'avortement. Jacques Laurent, d'ailleurs, avait déclaré un jour à Jean-François Bory que "la réforme qu'il admirait le plus" était "la légalisation de l'avortement".

Maintenant, sur le roman en particulier: c'est un Crime et Châtiment façon Laurent. Il est probable que Jacques Laurent n'avait aucunement l'intention au départ de réussir une oeuvre littéraire; c'était - comme toute la production signée Cecil Saint-Laurent - conçu comme un bouquin alimentaire. Et, de fait, les débuts sont à peu près aussi nuls que Caroline Chérie. Et puis, Laurent se prend au jeu, devient lui-même. D'abord c'est une étincelle ici, une petite réflexion profonde qui fait espérer mieux, et puis il se lâche, et voilà un dialogue à la Raskolnikov. Alors il devient tout à fait Jacques Laurent, celui des portraits cruels de vérité: les femmes en prennent pour leur grade, les hommes aussi, les flics, les héros de la Marne, tout le monde y passe. Il y a beaucoup de fatalisme, chez Laurent. On sent qu'il est Forbin, et que sa réflexion profonde est, finalement: puisqu'on ne peut rien changer à l'évolution désastreuse des moeurs, autant légaliser l'avortement pour mettre fin aux tristes séquelles de la clandestinité, et notamment éliminer du circuit le négoce des monstrueuses "avorteuses" également dénoncé par Sartre qui appelait l'avortement un "meurtre métaphysique" dans Les Chemins de la liberté.

En somme, Laurent se résigne dans les mêmes termes que Simone Veil, à l'état de fait: "C'est pourquoi, déclarait Veil à l'Assemblée nationale, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s'il admet la possibilité d'une interruption de grossesse, c'est pour le contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme." Et elle ajoutait: "Je le dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issues. Mais comment le tolérer sans qu'il perde ce caractère d'exception, sans que la société paraisse l'encourager ?"
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