« L’existence [l’être] s’applique immédiatement à la totalité du monde, mais elle ne s’applique à ses parties que grâce à l’analyse qui les distingue les unes des autres et détermine avec une extrême rigueur leurs limites mutuelles. L’unité de la pensée se manifestera par la simplicité de l’acte caractéristique de l’analyse ; mais en s’appliquant à la totalité de l’être concret donné primitivement cet acte simple témoignera d’une inépuisable fécondité : il engendrera la variété de toutes les formes particulières de l’existence. Dans l’identité agissante par laquelle la pensée distingue un terme quelconque de tout autre se trouve exprimée en quelque sorte éminemment la diversité de toutes les distinctions réalisées »
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Si nous vivons dans un monde que nous n’avons pas créé, si nous ne pouvons le dominer par notre intelligence et le conformer aux fins de notre volonté que parce qu’il porte en lui la même lumière qui nous éclaire et le même ordre auquel il nous demande de collaborer, s’il existe donc une certaine homogénéité entre notre nature et celle de ce monde où nous sommes placés, mais qui s’étend infini-ment au delà des bornes qui nous enferment, — le problème essentiel de toute philosophie sera de chercher comment le moi peut s’opposer au tout dont il est un élément et pourtant communiquer avec lui.
Nul n’a jamais contesté le droit ni sans doute la nécessité pour la pensée de poser l’être comme l’objet primitif de sa réflexion. Mais on conteste la possibilité d’en dériver le contenu de la représentation : car il n’est pas seulement la plus pauvre de toutes les notions ; il est essentiellement inerte. Dès lors, comment l’esprit pourrait-il dépasser la pure affirmation de l’être, en faire un principe d’où dérivent l’une après l’autre les différentes propriétés du réel ?
La notion de l’être pur est l’objet primitif de la méditation philosophique. Pourtant il semble ou bien que cette notion est inaccessible comme le soutient le phénoménisme, ou bien qu’elle possède un caractère général et vide ; l’affirmation de l’existence serait alors une affirmation indéterminée, impliquée sans doute dans toute connaissance, mais impropre à constituer une connaissance particulière.
Bien que la recherche scientifique ait seulement pour objet les relations et les phénomènes et qu’elle se soit toujours désintéressée des choses elles-mêmes et de l’absolu, on ne peut s’empêcher, semble-t-il, de lui demander de nous faire connaître ce qui est.