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« Quand on gratte la terre des souvenirs, on risque de tomber sur un geyser. » Un psychiatre âgé et sa jeune patiente anorexique entament une conversation. Lui est juif polonais, survivant d'un camp de concentration. Il se dit que témoigner pourrait être une bonne idée, mais il a peur. Elle est issue d'un pays de l'est de l'Europe, ayant grandi à l'ombre d'un mur dans la peur, la frustration, l'uniformisation, le soupçon « excellent liant social et un dynamiteur de l'esprit »... elle chassera son malaise dans le fond de la cuvette des chiottes. « Tu avalais les mots, alors, tu t'es mise à vomir la nourriture » lui dira-t-il pour l'aider à comprendre et guérir. Deux histoires qui se croisent, s'apprivoisent, se découvrent et s'aiment malgré ...malgré tout ! Ce ''tout'' qui regarde et juge ce couple oedipien, cette jeune femme au bras de ce vieux ; ce ''tout'' qui fragmente les vies jusqu'à les briser dans un camp de concentration ou derrière un uniforme et s'imprime au fond des êtres jusque dans leur futur ; ce ''tout'' qui marche en crabe dans votre dos et vous bouffe l'avenir. Le muscle du silence est multiple, ce livre évoque plusieurs thématiques de manière très habile et subtile. On pourrait se dire qu'en 155 pages toutes ces thématiques ne peuvent être abordées. Et bien, elles le sont et c'est le tour de force de Rouja Lazarova. Elle sait faire ressentir des émotions en quelques mots réfléchis qui cognent. Les sentiments qu'elle délivre sont d'une honnêteté implacable. Elle ne transige pas, elle se met à nu. Je suis émue, touchée par son écriture. « J'aime cette solitude peuplée et ce silence bruyant. » Elle travaille les mots et la langue française, qui n'est pas sa langue maternelle et qu'elle sait nous faire entendre différemment avec son ''accent'' de vérité. Je suis d'accord avec l'auteur quand elle écrit que « cette langue mentait par peur, elle craignait les mots. Elle avait transformé les vieux en ''personnes dépendantes'', elle avait enjolivé la mort en ''fin de vie''. » Oui ce politiquement correct « diluait ainsi le sens » pour dissimuler la réalité. « Quand elle surproduit des sigles, une langue commence à mourir ; la peur l'a tuée. » Je remercie Babelio, les Éditions Intervalles et Rouja Lazarova pour ce moment de lecture intime et riche. + Lire la suite |