Tu sais ce qu'on dit : Happy wife, happy life.
La femme qui lui ouvrit n'avait pas l'air suédoise. Ce devait être la mère de Paula, la policière qui s'était offerte pour 'aider. Celle qui avait fui le Chili en 1973. Quel regard portait-elle sur la Suède ? Avait-elle supporté les même regards qu'eux ?Avait-elle été confrontée à la même méfiance , la même haine ? Mais c'était une autre époque .
Les Suédois n'étaient pas méchants. Ils avaient peur. C'était ça qui rendait la société plus dure. La peur. Pas la méchanceté.
Malgré tout ce qu'elle avait traversé, elle se comptait parmi les bien loties. Et quand les enfants accoururent de différents coins de la maison et de leurs jeux dehors, elle se sentit comme une millionnaire.
Karim le maudissait toujours dès qu'il se plaignait de la Suède. Ou des Suédois. Il disait qu'ils devaient être reconnaissants. Que c'était leur nouvelle patrie, qu'ils avaient trouvé refuge ici, qu'ils pouvaient vivre en paix. Et il savait bien que Karim avait raison. C'était juste sacrément dur d'aimer les Suédois. Ils rayonnaient de méfiance et le regardaient comme un être inférieur. Pas seulement les racistes. Eux, ils étaient facile à cerner. Ils montraient ouvertement ce qu'ils pensaient, et leurs mots rebondissaient sur sa peau. C'était les Suédois ordinaires qui étaient difficiles à supporter. Ceux qui étaient au fond des gens biens, qui se considéraient eux-mêmes comme larges d'esprit, ouverts. Ceux qui s'informaient sur la guerre, qui s'indignaient, envoyaient de l'argent aux organisations humanitaires et donnaient des vêtements pour les collectes. Mais qui jamais n'imagineraient inviter un réfugié chez eux. C'étaient eux dont ils ne feraient jamais la connaissance. Et comment alors connaître son nouveau pays ? Il n'arrivait pas à parler de patrie, comme le faisait Karim. Ce n'était pas un foyer, juste un pays.
Martin but une gorgée de café dans la petite tasse fragile.
" C'est du kopi luwak , (…) .Il est fait à partir de grains de cafés retrouvés dans les crottes de civettes. On les ramasse, les lave et les torréfie. Ce n'est pas donné, ça coûte normalement dans les six cents couronnes la tasse ,(...) il n'y a pas meilleur café."
Comment avait-elle pu croire que les années allaient tout effacer, tout faire glisser dans les eaux sombres de l'oubli.
Comme la plupart. Il fallait qu'il arrive quelque chose pour qu'on apprécie chaque seconde passée avec ceux qu'on aime.
Il n'y avait pas d'assassin dans cette histoire. Pas de gagnant. Rien que des victimes et des tragédies. Et le chagrin d'une mère.
Être en vacances avec ses enfants ne devrait pas compter comme des congés, pensa Patrik. C'était un mélange bizarre, tout à fait formidable et complétement éreintant.