Jean-Paul le Bihan a participé à plusieurs chantiers de fouilles en Russie en tant qu'archéologue. Ici, il nous propose un périple en république de l'Altaï, un territoire qui relève de la fédération de Russie et qu'il a parcouru au cours de deux voyages, en 2015 et 2017.
J'ai aimé ce livre pour la démarche originale que choisit son auteur, laissant davantage la parole au géographe qu'il est qu'au conteur d'anecdotes, posture adoptée par beaucoup d'écrivains-voyageurs. Tout est affaire de ton et il se garde bien d'emprunter celui un peu trop bravache de certains auteurs à succès (je pense à Sylvain Tesson), ou encore celui du gentleman-trotter que prend de plus en plus Patrick Deville. Il n'y a pas d'esbroufe chez Jean-Paul le Bihan, il ne saute pas dans un side-car en quête de la Bérézina et ne languit pas sur le pont d'un bateau en faisant assaut d'érudition. Il y a chez lui une profondeur mélancolique qui s'ancre dans un sentiment océanique, et une pudeur qui l'empêche de se mettre au centre du récit, il préfère faire la part belle à ses hôtes, aux amis, aux rencontres. Il aborde cette montagne d'Or avec humilité, se demandant à chaque fois si son propos est juste, pertinent, s'il rend justice aux êtres généreux et touchants qui l'ont accompagné sur la route.
Le récit est ponctué de poèmes, sortes d'instantanés qui apportent une touche sensible et décalée à la narration du voyage. Celle-ci, loin du folklore, ne cache rien de la transition difficile qui attend des sociétés pastorales confrontées à l'effondrement de leur culture ancestrale, à la consommation et au tourisme.
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Gagner les hauts plateaux
[…] Voir importe peu, je l’ai dit, il faut entendre.
Le silence.
Un silence indescriptible, lourd, profond. Il serait sacrilège d’user de l’oxymore et d’évoquer un silence assourdissant, car c’est bien pire que cela. Le silence du rien, de l’absence, y compris d’oxygène, d’atmosphère, at-mosphère, at privatif. L’éther distendu. Nous demeurons immobiles, saisis par cette expérience unique, expérience première. Il me semblait avoir connu le silence parfait lors d’une plongée océanique nocturne par quinze mètres de profondeur, dans le noir absolu, les yeux grands ouverts. Je sais aujourd’hui que non. Car, ici, tout est léger, le monde existe encore. Je le vois, il me parle, et me laisse muet. De l’ordre de l’indicible. Je l’entends.
Pauvre Roman et pauvre Vladimir,
L’étoile rouge, le volant Mercedes
Le souvenir ému des hommes
Sous les draps en bannières
De la lessive du jour
Un à un les fragments de squelette
S’en retournent à la plage.