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EAN : 9782073018144
Gallimard (02/11/2023)
3.93/5   229 notes
Résumé :
«Pour rien au monde nous n'aurions manqué cette fête de l'été. Parfois les orages d'août y mettaient fin vers le soir. Les champs alentour avaient été fauchés et la chaleur de la paille nous enivrait, nous transportait. Nous courions avec les gosses dans les chaumes piquants, pour faire lever des nuages de moustiques. Les 2 CV des bonnes sœurs roulaient à travers champs. Les groupes d'hommes se réunissaient pour regarder les concours de lutte bretonne, ou les jeux d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (57) Voir plus Ajouter une critique
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Installez-vous confortablement, je vous emmène à Sainte-Marine, charmant petit port breton qui salue fièrement l'Odet, situé sur la côte sud-finistérienne. Vendredi 7 août en fin d'après-midi, retour de plage, me voilà rendue à Sainte-Marine, je n'ai pas pu résister à fouler les pas de J.M.G. le Clézio qui, avec ce merveilleux roman, nous transmet tout son amour pour la Bretagne.

Je m'installe au bout de la Cale à la terrasse ombragée et joliment bordée d'hortensias du café qui porte le même nom (le Café de la Cale), je commande une bolée de cidre et j'admire la vue. Je la connais par coeur cette vue mais à chaque rendez-vous c'est comme si je la decouvrais pour la première fois, moment magique !
Un arc-en-ciel de petits bateaux de pêche et d'annexes colorés sont amarrés à quai ou maintenus à l'ancre pour le mouillage : jaunes, verts, rouges, bleus... le reflet scintillant de leurs coques se confond avec cette teinte si particulière, entre le vert et le jaune, que prend la mer l'été dans le port de Sainte-Marine. Non loin, le P'tit bac s'en va dodelinant tranquillement sur les flots en direction de Bénodet pour la énième fois de la journée...

J'ai le coeur léger quand je lis un roman de le Clézio, ça me rend toute chose, c'est doux, c'est beau comme un poème, comme cette "Chanson Bretonne" avec laquelle il partage avec nous ses souvenirs d'enfance, les souvenirs du petit niçois alors âgé de dix ans qui passe tous ses étés en famille dans la maison de madame Helias à Ker-Huel au début des années cinquante.

Je me suis plongée avec délice dans cette Bretagne que je n'ai pas connue mais qui ressemble à celle que me racontait ma grand-mère. La boutique Biger, disparue aujourd'hui, l'unique dépôt de pain du village ; la pompe communale, seule source d'eau potable, dont la tâche incombe deux fois par jour aux gosses du village d'aller y récupérer l'eau. Ces mêmes gosses pour la plupart des fils et filles de marins ou de pêcheurs locaux qui se réunissent chaque après-midi à l'embarcadère (là où je suis en ce moment même) pour regarder passer le bac, véritable attraction (ça l'est toujours) ou discuter en breton, la langue de leurs parents et de leurs grands-parents, qu'ils perdront une fois devenus adultes car comme le dit si bien l'auteur : "le breton c'est la langue de l'enfance, celle dont ils n'auront pas besoin pour gagner leur vie et faire de longues études", Yanick, Soizig, Fanc'h, Erwan, Pierrick, tous autant qu'ils sont, les gamins de Sainte-Marine... Mais Sainte-Marine c'est aussi l'odeur de l'eau aux abords de la cale, "le ster ar Sorenn", la rivière du sommeil, ce mélange de vase et d'iode que j'aime tant ; c'est l'odeur poivrée de la "lann" , des ajoncs, qui vous titille les narines ; c'est le bruit du ressac des vagues que vous pouvez entendre au loin le long de la plage de Pen Morvan. Sainte-Marine c'est tout ça et bien plus encore, vous le découvrirez en lisant ce très joli conte.

À la suite de ce premier conte, l'auteur nous fait cadeau d'une cinquantaine de pages toujours sur la thématique de l'enfance avec "L'enfant et la guerre", un récit que j'ai pour ma part trouvé très émouvant. Lui qui est né à Nice le 13 avril 1940 en pleine guerre, a ressenti le besoin de coucher les mots sur le papier. Il a trois ans quand une bombe s'écrase dans le jardin de l'immeuble situé Quai Carnot à Nice où il vit avec sa grand-mère, sa mère et son frère aîné, les obligeant à fuir vers le village de Roquebillière dans l'arrière pays niçois. Il nous raconte Roquebillière, il nous raconte ses habitants, mais aussi combien la guerre est la pire des choses qui puisse arriver à un enfant. Ce récit c'est la naïveté touchante et le rire d'un enfant qui ignore à quel point le monde des adultes peut être cruel.

Deux très beaux récits à l'écriture contemplative et poétique qui abordent des sujets tels que la guerre, la religion, les traditions, l'histoire de la Bretagne. Il y a de la nostalgie dans l'écriture de J.M.G. le Clézio mais c'est une nostalgie joyeuse, une nostalgie qui vous rend heureux.

Ce billet il est pour la maman d'une amie rochelaise qui m'a conseillée cette lecture et je l'en remercie vivement. Pour conclure, je vous invite à chanter avec moi le célèbre Bro gozh ma zadoù (vieux pays de mes ancêtres) dont la version a été reprise maintes fois, par les Tri Yann et Alan Stivell entre autres.

C'est parti !

O breizh, ma Bro, me gar ma Bro
Tra ma vo mor'vel mur'n he zro
Ra vezo digabestr ma Bro !
Breizh, douar ar Sent kozh, douar ar Varzhed,
N'eus bro all a garan kement' barzh ar bed
Pep menez, pep traonienn, d'am c'halon zo kaer,
Enne kousk meur a Vreizhad taer !


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Chanson bretonne - L'enfant et la guerre : Deux contes, c'est le dernier ouvrage que vient de publier J.M.G. Le Clézio. Ces deux textes se veulent être justement pour l'auteur deux contes. L'écrivain, qui nous habituait jusqu'ici à introduire une dimension romanesque dans son oeuvre, s'en détache désormais avec pudeur et délicatesse, avec émotion aussi.
C'est un rapport à l'écriture, à la création, à l'enfance aussi, surtout l'enfance, ce thème qui domine ces deux contes. L'enfance ici est en effet au coeur de ce double récit, comme une passerelle, quelque chose qui va et vient, comme un écho, comme une balançoire, comme le vent dans les arbres, comme une respiration entre le temps d'avant et le temps de maintenant. C'est un voyage entre la Bretagne et la Provence. C'est douloureux comme si l'enfance n'avait jamais existé.
Le premier conte nous ramène à la Bretagne, un endroit que je connais très bien, le village de Sainte-Marine, en Finistère, au bord de la mer. Avant qu'il ne devienne une station balnéaire prisée par les touristes parisiens, c'était avant tout un village de pêcheurs. J.M.G. Le Clézio y venait l'été avec son frère. J'aime cet endroit, je préfère y venir l'hiver loin de la foule estivale. Jusqu'à la pointe de Combrit, jusqu'à la mer plus belle encore l'hiver. Il y a un sentier côtier qui offre une vue splendide sur la mer, l'horizon et au détour de la pointe, l'île Tudy. Lorsque le ciel est bien dégagé, on aperçoit au loin Les Glénans...
Mais je dirais plutôt que c'est l'enfance et la guerre qui sont au coeur de ces deux récits. Être enfant pendant la guerre est terriblement cruel. J.M.G. Le Clézio nous le rappelle avec cette manière à la fois distanciée, douce et douloureuse.
Les enfants ne savent rien lorsque la guerre vient, lorsque la guerre est là. Les adultes tentent de les protéger comme ils peuvent, parfois avec des mots, des sourires, des contes, des astuces inouïes et merveilleuses pour les distraire du bruit des bombes et de l'envie de sortir dans les rues pour courir. Que restent-ils longtemps après ce traumatisme ?
Que reste-t-il de cette enfance ? Qu'aurait été cette enfance sans la guerre ? Qu'aurait été l'insouciance ? le sable, le soleil sur la peau, les jeux cruels sur la plage ? Pourtant, ces souvenirs furent là aussi...
La dimension romanesque laisse place à la vie d'avant, un voyage vers l'enfance, l'odeur du foin et des moissons, du cidre qu'on buvait tiède à cette époque, la langue bretonne, ceux qui la parlaient avant, ici, tandis que le second conte se déroule dans l'arrière-pays niçois, sur le versant d'un texte plus douloureux. Le coeur de l'auteur bat entre ces deux rivages...
C'est une merveilleuse communion avec les gens d'ici et d'avant. Chanson bretonne, le premier conte est une hymne à la Bretagne, à celle que j'aime, authentique, sobre, respectueuse de sa terre et de ses chants. L'auteur évoque comment la langue bretonne fut anéantie progressivement et je me suis alors souvenu ce que ma grand-mère me racontait, les enfants punis à l'école parce qu'ils parlaient bretons, condamnés à rester dans la cour de la récréation sous la pluie battante avec une pancarte humiliante autour du cou : « je ne parlerai plus breton ».
Nous apprenons que le patronyme Le Clézio provient du mot « Cleuziou », qui signifie en breton : talus, ces talus détruits par l'agriculture intensive qui a dévasté progressivement les paysages bretons. L'écrivain s'en révolte aussi...
Le second conte, L'enfant et la guerre, est antérieur au premier texte, dans la vie de l'écrivain. Il offre les premiers souvenirs de la vie de J.M.G. Le Clézio. Ils sont terribles puisque ce sont des souvenirs de violence. Des bombes qui tombent du ciel comme de la pluie... C'est la fin de la guerre, mais les fins de guerre sont parfois pires que leurs débuts...
L'auteur nous révèle que cette enfance fut « une peur sans visage, sans nom, sans histoire ».
Est-ce la magie de la mémoire, savoir oublier ce qui fut horrible, savoir trier dans l'horreur et trouver l'écho d'une fête dans le petit village de Sainte-Marine, des enfants qui crient sur une barge entre deux quais, entre deux rives, se jettent de l'eau à gorges déployées ? Plus loin c'est un champ de blé qui ondule face à l'océan, comme un prémices au mouvement de l'océan.
« Les enfants ne savent pas ce qu'est la guerre ». Comme cette phrase est douce et douloureuse...
Ce n'est ni une confession, ni un album de souvenirs. Ce n'est pas une autobiographie de l'auteur, il s'en défend farouchement. Il se défend de délivrer un récit chronologique, car « les souvenirs sont ennuyeux, et les enfants ne connaissent pas la chronologie ». Ce n'est qu'une chanson bretonne, quelque chose qui revient dans la mémoire comme un refrain, un air entêtant qui ne vous lâche plus, jusqu'à l'obsession, un kan ha diskan comme on dit ici, le mystère de la Bretagne et de l'enfance en même temps...
Ces retrouvailles avec J.M.G. Le Clézio m'ont étonné. Agréablement surpris. J'ai l'impression que cet auteur auquel je suis attaché depuis longtemps, pour l'avoir également rencontré dans une librairie brestoise en 1995 à l'occasion de la dédicace d'un de ses romans, La Quarantaine, se délivre plus que jamais, laissant tomber le voile sur un pan intime de son existence qui a, je pense, forgé et dicté son esprit créateur à jamais. C'est pour moi un coup de coeur et je tenais à vous le partager...
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Jean-Marie Gustave le Clézio plus connu sous son nom de plume J. M. G. le Clézio nous revient, en ces temps de confinement, avec un livre d'une beauté renversante, un hymne à la Bretagne et à son enfance dans la ville de Sainte Marine, à l'embouchure du fleuve Odet, dans le Finistère entre 1948 et 1954. Ce premier texte appelé "Chanson bretonne" nous fait revivre les grands moments de l'auteur qui enfant contemplait les champs de blé face à l'océan ou bien encore s'amusait lors de la fête du village. On y redécouvre des fragments du quotidien en Bretagne, comme autant d'éléments d'une mosaïque éclairant, sans nostalgie aucune, car pour l'auteur « la nostalgie n'est pas un sentiment honorable », cette période de l'histoire en pays bigouden. Il fallait ainsi aller au puit pour puiser l'eau nécessaire qui était ensuite bouillie pour éliminer les risques d'infection. J. M. G. le Clézio parle des pêcheurs, ces bouffeurs de curé mais aussi des moissons avec les paysans d'alors, du prêche en breton du vieux curé, de la langue bretonne encore très présente à cette époque. On voit revivre tout un pays, une nature célébrée avec des accents Malickiens (je songe au réalisateur contemplatif) sous la plume sublime de l'immense J. M. G. le Clézio qui obtînt, est-il besoin de le rappeler, le prix Nobel de littérature en 2008, célébrant "l'écrivain de la rupture, de l'aventure poétique et de l'extase sensuelle, l'explorateur d'une humanité au-delà et en dessous de la civilisation régnante". Sa mère, Simone le Clézio avait une affection toute particulière pour la Bretagne où elle reçu notamment la demande en mariage de son père, où elle a accouché de son frère et où elle est revenue se réfugier trois mois après la naissance de le Clézio à cause de la guerre. La langue est magnifiée par de tels auteurs. On se surprend à relire des passages juste pour le plaisir d'être envahi par la douce sensation de ces mots qui coulent en nous telle une eau vive. J. M. G. le Clézio est issu d'une famille de Bretagne émigrée à l'île Maurice au XVIIe siècle. Les chapitres sont autant de "chansons" revisitant ses souvenirs d'enfance puis son regard d'adulte sur ce pays de coeur. Il est né à Nice le 13 avril 1940. La guerre gronde et pour un enfant aussi jeune, elle est une expérience extrêmement traumatisante qui est l'objet d'un second texte, beaucoup plus court : "L'enfant et la guerre" où l'auteur nous parle de l'arrière-pays niçois où il vécut durant l'occupation. Il témoigne d'un évènement particulièrement traumatisant, cette bombe échappée d'un avion canadien et qui tomba dans le jardin juste à côté de l'immeuble où il habitait. Ce dernier trembla mais ne s'effondra pas et Jean-Marie Gustave le Clézio eût la vie sauve. Autre expérience difficile dont il nous fait part : la faim. Pas cette faim de celui qui levé tôt le matin attend le repas du midi avec impatience.. non cette faim qui vous ferait manger la semelle de vos chaussures, une faim qui fait si intimement partie de l'enfant qu'il était alors, qu'elle le traumatise pour toute l'existence. Les deux textes sont superbes mais mon coeur breton doit avouer que je fus davantage touché par le premier récit. Je ne peux que vous inviter à découvrir ces deux contes comme il les appellent. Avec J. M. G. le Clézio, c'est une certaine idée de la littérature, de celle qui élève l'âme, qui l'enrichit incontestablement, qui est célébrer. Lire le Clézio c'est vibrer, se brancher sur la fréquence du coeur et c'est une expérience à nulle autre pareil.
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Alan Stivell et JMG Ar Kléziou, mettent à l'honneur la Bretagne. Ces Bretons d'adoption n'ont jamais cessé de la magnifier.

Jean-Marie Gustave le grand talus, plus connu sous le nom de J-M-G le Clézio, a vécu sa petite enfance à Nice, le temps d'une guerre, faite de manque et de noirceur.
A côté, les années 50, chaque été en Bretagne, au bord de la mer, pas de touristes, c'était le pied pour un gamin de 10 ans qui découvrait la beauté des paysages, le parfum du foin coupé, les gens de son âge et la féérie d'un château où se célébraient des fêtes irréelles avec les gens du coin. Il y reviendra chaque été pendant des années.

La précision de ces lieux et des personnages tiennent seulement dans ses souvenirs d'il y a soixante-dix ans à Sainte-Marine, sur la côte, près de Quimper. La place de ces souvenirs produit cette chanson parfois onirique.

J'ai goûté chaque chapitre, chaque phrase comme un hymne à la culture du lieu, un terroir qui s'affranchit des us et coutumes des grandes villes. Un hymne à la Bretagne et à sa culture qui se maintient tant bien que mal en dépit d'un état autoritaire et globalisant. Illustré par le bannissement de la langue bretonne dans les cours d'école en ce temps-là.

Alors, on ne sera pas étonné de trouver un "Breizh atao" ("Bretagne libre") après avoir lu les descriptions des dégâts, ces changements de paysages, de bocages, comme des agressions à la vie, dus au remembrement et à l'arrivée de l'agriculture intensive, décidée au-delà des limites de la Bretagne.

L'autobiographie n'est pas un genre que je recherche mais Le Clézio m'a convaincu de l'utilité de celle-ci.
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Sur les tendres chemins de la mémoire, sur les crémeux sentiers des souvenirs de l'enfance, nous sommes conviés à mêler nos pas dans ceux de J.M.G. le Clézio pour une belle et chaleureuse escapade en terres bretonnes.
Une enivrante promenade aux doux parfums iodés.
Une rencontre, aussi, avec l'Histoire de la Seconde Guerre à hauteur d'enfant. Sensible. Touchante.
« Je suis souvent revenu à la Torche. [...] Chaque fois que je suis en Bretagne, je visite la pointe, pour retrouver le souvenir de ce que c'était, cinq ans après la fin de la guerre. le monde change vite, les enfants d'aujourd'hui viennent aussi à la Torche, mais ils voient autre chose. Ils glissent comme des oiseaux sur les longues vagues, à cheval sur leurs planches de surf, il y a même des cerfs-volants géants qui les baladent au-dessus des remous qu'on disait jadis mortels. C'est bien, il convient d'oublier les champs de bataille, d'ignorer les restes des forteresses bâties par les esclaves russes et polonais. Moi, je ne le pourrai pas. Dans l'éclat de la mer, la neige aveuglante des nappes d'écume, je vois la violence de l'Histoire, la violence et la fourberie, et sur les ruines solennelles du monument de l'âge du bronze, j'aperçois toujours les dents noires fossiles du grand requin de guerre. »
Sainte-Marine, ce village d'été que l'auteur fréquentait chaque année.
« Je vois la cale du port, les vieilles maisons, l'abri du marin, la chapelle mignonne. Tout est à la même place, mais quelque chose a changé. Bien sûr le temps est passé, sur moi et sur les maisons, le temps a usé et repeint, a modifié l'échelle, a modernisé le paysage. La route est goudronnée, et surtout bariolée de peinture blanche, ces signalisations qui tracent les places de stationnement, créent des chicanes, des pointillés, des stops. On a construit des ronds-points pour contrôler le flux des voitures, des portiques en bois pour interdire le passage des camping-cars, des panneaux pour réglementer le stationnement, des bornes et des arceaux pour l'interdire. Les cafés sont apparus, les crêperies avec terrasses et parasols, les magasins de cartes postales et de souvenirs. Tout cela brille d'un vernis de modernité provinciale, une sorte d'imperméabilisant pour rendre le village étanche au temps, pour le protéger des atteintes contre le passé, un vernis au tampon sur un meuble d'antiquaire. [...] »
Au bout de l'enfance, il y a l'Afrique, entraperçue dans cet ouvrage et plus longuement découverte dans d'autres oeuvres de l'auteur. « C'est l'Afrique qui va nous civiliser. C'est en Afrique, le continent considéré aujourd'hui comme oublié, que nous allons connaître pour la première fois la liberté, le plaisir des sens, l'abondance de la nature. »

Il est des voyages nécessaires pour un auteur.
Il est des voyages, deux contes ici précisément qu'il aurait été dommage de ne pas partager.

Merci Monsieur le Clézio.

« Sur des photos en noir et blanc, prises par un amateur, après le bombardement de Berlin, des enfants errent en haillons, sur fond de ruines fumantes. Dans cette imagerie de la guerre, il n'y a pas de bons ni de méchants. Il n'y a pas d'ennemis. Il y a d'un côté des enfants, de l'autre la machine aveugle et féroce, aux mains d'adultes que leurs uniformes et leurs armes mettent à l'abri de toute identification. »
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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critiques presse (2)
Culturebox
29 mai 2020
Récit autobiographique, le dernier livre du Prix Nobel nous entraîne au pays des contes. Certains ont le parfum des jours heureux, d?autres celui de l?incertitude et de la peur. Une ode à l'enfance dans une langue de toute beauté.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LeMonde
17 avril 2020
Se laisser tomber en enfance n’est pas y retomber. C’est se délester de « soi », ce quant-à-soi des grandes personnes qui contraint à n’extirper de la mémoire que des souvenirs figés en frise chronologique. Chanson bretonne cherche plutôt à élucider l’origine d’émotions si anciennes qu’elles semblaient enfouies, ignorant pour ce faire la logique chronologique, à la façon des enfants eux-même.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (68) Voir plus Ajouter une citation
Mais l'arrivée à Douarnenez fut un choc : peut-être parce que cette ville regardait vers le nord, il y avait quelque chose de glacial, d'hostile dans ses rues étroites, sur les quais, et jusque dans la couleur de l'eau. Le choc venait surtout des habitants, cette foule compacte, obscure, vestes sombres, casquettes de marins. C'étaient des ouvriers plutôt que des pêcheurs. D'eux, et de leur ville, émanait une expression de dureté, de résistance. C'étaient, bien sûr, des communistes, non pas de ce gauchisme élégant de la région parisienne, mais d'un militantisme silencieux et entêté, tel que l'a montré le cinéma réaliste italien, dans les films de De Sica, de Fellini. La foule sur la plage dans "La terre tremble" de Visconti, dans "Rome, ville ouverte" de Rossellini. Même les femmes de Douarnenez leur ressemblaient, les penn sardin vêtues de leurs uniformes noirs et coiffées de leurs petits bonnets, l'air fermé, endurci. Elles travaillaient aux usines Chancerelle, au Petit Navire, penchées sur les tables à eviscérer les poissons et à les ranger dans leurs petites boîtes. Vingt ans après, tout cela a disparu. La pêche s'est arrêtée, les usines ont fermé, les maisons gris ciment ont été repeintes en couleurs, dans les bars de la place de l'Enfer on écoute du jazz (et on ne s'y bat plus à coups de couteau comme le racontait Georges Perros), il y a des magasins de souvenirs et des pizzerias et le port est devenu un musée...
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Sur le quai, autour du bac, c'était le lieu de rendez-vous des gosses. Nous venions là tous les jours, quel que soit le temps, plutôt en début d'après-midi, aussitôt après déjeuner, comme des ouvriers en quête d'embauche. C'était dans l'idée d'embarquer sur une plate pour aller pêcher dans l'estuaire. Presque tous, du moins je le croyais, étaient fils et filles de pêcheurs. Nous avions appris à godiller, les clefs d'amarre, les gestes de la pêche. À la boutique Biger nous avions acheté vingt mètres de ligne, le "catgut", en réalité du plastique transparent, des plombs, des hameçons. Pour les flotteurs nous utilisions des bouchons de liège. Nous lancions la ligne, puis nous la retirions doucement, attentifs aux petites secousses qui chatouillaient l'hameçon. Je crois qu'à ce moment-là rien ne me paraissait plus délicieux que ces petites touches au bout de la ligne, à l'aveuglette, quand les poissons mordaient à l'appât. C'était un jeu, mais aussi plus qu'un jeu, quelque chose de vivant qui répondait, loin au bout de la ligne, à dix mètres de profondeur dans l'eau sombre de la rivière. Les petites secousses remontaient jusqu'au creux de nos doigts, comme un message, un frisson. La plupart du temps nous ramenions l'hameçon dépouillé de son appât et il fallait réamorcer avec la "bouette"...
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Après la plage, nous raccompagnions les filles jusqu'à la ferme, Mme Le Dour avait préparé un goûter de crêpes - non pas les crêpes fines ou les galettes de sarrasin fourrées de choses salées comme on les trouve maintenant, mais de vraies krampouzen de froment épaisses et lourdes, sans sucre ni beurre, et les bolées de cidre tiède (le cidre glacé doit être une invention américaine). Comme de toutes les nourritures d'enfance (les gnocchis cuisinés par la bonne Maria chez ma grand-mère, ou le foufou et la soupe de cacahuètes d'Ogoja au Nigéria), j'ai gardé le goût de ces crêpes, l'épaisseur chaude, le tanin du cidre dans les bols de grès, quelque chose de doux et de sauvage à la fois, dans la pénombre enfumée de la ferme, avec l'odeur des vaches, la lueur du jour par la porte ouverte, les reflets du quinquet sur la vaisselle des étagères et sur les clous des lits-clos formant des losanges et des rosaces, et aussi le rire niais des deux filles qui les vengeait de la violence des arrosages et des poignées de sable dans leurs cheveux.
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J'ai grandi, les premières années de ma vie, sans mon père, qui était médecin en Afrique-Equatoriale. Nous savions qu'il existait, ma mère entretenait une sorte de rituel chaque soir, où elle nous invitait à faire une petite prière pour "papa", qui se languissait de nous voir. C'était un peu abstrait. Ce "papa" aurait pu aussi bien être "papa Noël". Il n'écrivait pas, il n'envoyait pas de photos. Il aurait pu être en prison, ou bien ne pas exister du tout. Est-ce que cela nous manquait ? Comment savoir ? Peut-on regretter l'absence de quelqu'un qu'on ne connaît pas ?
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Sainte-Marine, c'est l'odeur de l'eau (dans la langue coréenne, c'est par ces mots, hyangsu, qu'on définit la nostalgie). Sur la cale, au départ du bac, le long des quais, une odeur mêlée de piquant, d'acide, de pourri, d'âcreté végétale, de "bouette", de mazout, et la couleur de l'eau, sombre à la marée haute, transparente et presque jaune quand le reflux faisait apparaître les bancs de sable. Je ne me souviens pas des mots que les gosses disaient en breton, pour la pêche, juste quelques-uns, a-paoelev pour aller à la godille, krog eo pour jeter la ligne, higenn pour l'hameçon, bouhed, la nourriture...
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Vidéo de J.M.G. Le Clézio
Cette semaine, La Grande Librairie s'installe à Marseille et propose une émission exceptionnelle, en public, à l'occasion des Nuits de la lecture et des 10 ans du Mucem. Au coeur de ce musée dédié aux cultures de la Méditerranée, des écrivains, des librairies et des lecteurs pour une soirée dédiée aux mots, aux mille identités de l'espace méditerranéen, et à cette idée que la littérature est toujours un lieu de rencontres, de partage et de commun.
Augustin Trapenard est donc allé à la rencontre du lauréat du prix Nobel 2008 Jean-Marie Gustave le Clézio. Il est venu présenter son dernier ouvrage, "Identité nomade" (Robert Laffont), explorant son parcours d'écrivain, ses voyages et ses affiliations. L'auteur s'interroge également sur le pouvoir de la littérature dans le monde contemporain. Un récit introspectif captivant sur l'essence de l'écriture. le tout, durant une magnifique balade à Nice, ville qui l'a vu naître.
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