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Critique de thedoc


J'aime Le Clézio : la beauté et l'universalité de ses mots me touchent, m'enchantent, me ravissent. M ‘émeuvent et m'emportent le plus souvent. J'aime aussi l'homme, forcément. Un humaniste, un humble et un sage qui se fait discret pour mieux nous parler du monde qui nous entoure et nous en décrire toute la beauté. Toute la violence aussi. L'actualité littéraire du moment nous reparle de cet écrivain si rare dans ses apparitions. « Alma », son dernier roman encensé par la critique, nous permet d'entrevoir cet homme au détour d'une émission ou d'entendre sa voix chaude et grave sur les ondes. Et là, en l ‘écoutant, j'ai réalisé que trop de temps était passé depuis ma dernière lecture de le Clézio. le manque était là. A défaut de me procurer « Alma » tout de suite, je me suis donc rabattue – si j'ose dire – sur son roman « La Quarantaine » publié en 1995. J'ai ouvert ce roman… et je suis partie dans l'espace et dans le temps. Très loin.

Poète du voyage, conteur de l'exil, JMG le Clézio nous raconte l'ailleurs. Cet ailleurs, la plupart du temps, est peuplé des lieux qui ont un lien avec son enfance, sa jeunesse, ses rencontres, ses racines : une ville, un pays, un quartier, un désert ou une île…. Maurice, l'île où ses ancêtres bretons ont émigré au XVIIIe siècle pour fuir la famine et la pauvreté. Ce sont ces derniers justement qui sont mis à l'honneur dans « La Quarantaine », bien avant que l'auteur ne songe à l'écriture d' « Alma ». L'auteur s'inspire directement alors d'un épisode bien réel du roman familial.

Le narrateur, double de l'auteur, qui débute le récit nous parle de ses grands-parents, Jacques Archambau (double fictif d'Alexis, le propre grand-père de Le Clézio) et sa femme Suzanne, accompagné de Léon, le jeune frère du premier. Nous sommes en 1891 et les deux frères s'en vont reconquérir un domaine familial (déjà Alma) et une maison, Anna, dont ils ont été chassés avec leurs parents vingt ans auparavant par le patriarche, Alexandre, leur oncle. Bébé lorsqu'il a quitté l'île, Léon ne connaît rien de Maurice si ce n'est à travers les souvenirs de Jacques, 12 ans à l ‘époque. Maurice, la promise… Sa verdure et ses rondeurs, les champs de canne à sucre, l'odeur des sucreries, son sable noir et ses coraux, l'eau transparente et fraîche des cascades. Mais sur le bateau qui fait route vers leur paradis, la variole se déclare. Passagers de première classe et immigrants indiens sont obligés de débarquer sur Plate, une île située à quelques milles de Maurice. Sur cette île formée de rochers de basalte et envahie par les oiseaux, tous vont devoir cohabiter durant la quarantaine obligatoire. C'est la découverte d'un nouveau monde et le début d'un huis-clos angoissant.

On s'extirpe difficilement de cette lecture, étourdi par la beauté des mots et la richesse de cette histoire où l'on retrouve les thèmes chers à Le Clézio.
C'est tout d'abord un fait, quand on lit Le Clézio, on part avec ses personnages. le trio formé par Jacques, Suzanne et Léon est terriblement attachant et émouvant. Suzanne, femme-mère-soeur, est le bloc qui cimente leur union. Unis par un même rêve, les jeunes gens voient en Maurice la promesse d'une vie meilleure et d'une revanche sur la vie. Entre leur histoire et celle du narrateur surgit en filigrane le thème essentiel de la mémoire des siens. Retour aux origines et quête identitaire, chercher et trouver les traces de ceux qui nous ont précédés. Cette histoire originelle, c'est aussi celle de Suryavati, l'immigrante, la paria, et de sa mère Ananta. Ananta ou le destin exceptionnel d'une jeune anglaise/indienne perdue dans la guerre, l'exil et les camps avant de trouver refuge sur Plate.

Plate justement. Sous la plume de le Clézio, l'île prend vie et devient le personnage principal du roman. Au côté de Léon, nous parcourons l'île de nuit comme de jour, des maisons de la Quarantaine au village des coolies dans la baie de Palissade. Rochers noirs et coupants de basalte, sable éclatant, le sel partout sur le corps, fleurs de batatrans, barrière de corail et eau tiède du lagon… Plate offre à ses occupants le monde de la mer. Tantôt paradis et tantôt purgatoire quand la maladie se propage, que la folie guette et que la mort arrive. Alors vient le temps de Gabriel, dernier lieu de retranchement, l'îlot situé à l'extrémité de la terre, là où commence le monde des oiseaux avec le cri rauque des pailles-en-queue.

Les mots de le Clézio sont magiques au sens où ils nous enivrent avec des descriptions magnifiques tout en nous révélant la réalité de ceux qui peuplent ces lieux. Et ceux dont Le Clézio aime le plus parler, ce sont les exclus.

Comme toujours chez l'écrivain, nous retrouvons la défense des opprimés et une dénonciation des abus et violences faits sur les plus faibles. Lorsque son narrateur reprend le cours du récit, c'est avant tout pour livrer un vibrant hommage à ces hommes, femmes et enfants capturés sur les côtes du Mozambique, à Zanzibar, à Madagascar, et enchaînés à fond de cale sur les négriers. C'est pour nous parler des coolies indiens, attirés sur les bateaux à Calcutta et à Madras, enfermés dans des camps avant d'aller trimer comme des esclaves pour les compagnies sucrières. Et ceux-là, ces immigrants partis de Calcutta en 1856 pour fuir la famine et la guerre, et abandonnés pendant cinq mois sur les rochers nus de Plate et Gabriel, ne laissant derrière eux que des os et les cendres des corps que l'on brûlait.
Voilà, Le Clézio n'a nul autre pareil pour décrire la beauté d'un pays et l'envers du décor, sa violence. Dans cet hommage à la mémoire des siens, l'auteur ravive aussi celle de ces inconnus, de ces exclus dont les fantômes peuplent Maurice.

Cette critique ne rendra sûrement pas honneur à cette lecture absolument envoûtante qui m'a menée hors du temps et hors du monde. Un roman tout simplement magnifique.
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