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Critique de Alzie


"Raga" s'inscrit dans la collection "peuples de l'eau" dirigée par Edouard Glissant. Raga, dans la langue apma désigne l'île Pentecôte au Vanuatu, archipel du Pacifique devenu indépendant en 1980 et comprenant quelques 83 îles dont 70 habitées, ayant pour capitale Port-Vila sur l'île d'Efate et pour langue officielle le bislama. Archipel anciennement connu sous le nom de « Nouvelles Hébrides », que lui avait donné le capitaine Cook, et resté longtemps sous administration franco-britannique. Ile volcanique et montagneuse, faite de pentes et de côtes, comme se plait à le dire Charlotte Wèi Matansuè qui va guider Jean Marie Gustave le Clézio pendant son séjour de l'hiver austral 2005 au Vanuatu. le livre lui est d'ailleurs dédicacé, elle qui a permis aux femmes de Raga, en reprenant l'activité traditionnelle du tressage de nattes, de conserver leur autonomie et d'entretenir l'économie locale.

Raga est un voyage au bout du monde dressant un constat impitoyable sur le sort qui a été réservé aux peuples du Pacifique, mélanésiens et polynésiens, depuis que les premiers découvreurs ou missionnaires occidentaux s'y frayèrent une voie. Recueil sans concession, aux accents de colère, parfois. Quelques propos assassins à l'encontre de tel ou tel (Gauguin, Pierre Benoît) qu'il y a probablement lieu de nuancer. La recherche anthropologique échappe à juste titre à ce courroux : Maurice Leenhardt, Margaret Mead, Elie Tattevin, Margaret Jolly ou Jean Guiart, d'autres encore, dont les recherches ont révélé notre grande ignorance. Difficile en effet pour l'écrivain voyageur d'oublier les chiffres terribles de la dépopulation : en 1800, on estime à 1 000 000 d'habitants la population des Nouvelles-Hébrides, à 45 000 en 1935, (recensement du gouvernement britannique) ; d'ignorer comment se développa le " blackbirding", trafic humain développé sous couvert de légalité pour fournir de la main-d'oeuvre aux plantations du Queensland en Australie, des Fidji, ou des mines de Nouvelle-Calédonie, en réalité une traite humaine qui ne prit fin officiellement qu'en 1904, mais se poursuivit longtemps. de faire l'impasse sur le rôle que tinrent les religions dans la déculturation de ses habitants autrefois et sur celui que l'industrie touristique tient aujourd'hui. C'est au couvent de Melsissi que J.M.G. le Clézio est pourtant accueilli...

Cependant Raga témoigne surtout de la rencontre sincère d'un écrivain avec des femmes et des hommes mélanésiens dont il rapporte avec émotion et justesse l'harmonie silencieuse qui les lie à la mer d'où ils sont venus. Premières pages vibrantes qui relatent les mythes et dessinent les contours du ciel austral, boussole au firmament, qui permit sans doute à leurs pirogues anciennes d'aborder un jour une plage de Raga. Cette mer, tôt apprivoisée, qui leur apporta régulièrement son lot d'épouvantes, c'est avec elle qu'ils entretiennent, d'îles en îles et depuis toujours, leur science si sophistiquée de l'échange ; Mélanésiens indéfectiblement liés aussi à la terre qu'ils ont appris à cultiver et irriguer, transformant les hauteurs de Raga en un jardin tropical où l'igname est mâle, le taro féminin et le Kava censé répandre la paix. Les pages écrites ici rendent compte des esprits et des sortilèges, relatent les coutumes et les rituels qui unissent hommes et femmes et la diversité de tous leurs arts, en un mot leur formidable résistance. D'autres dangers les guettent à nouveau, glissés dans une modernité envahissante et en même temps désirée, perpétuation d'anciennes dominations, rien n'aurait-il changé ? La note finale est somme toute assez pessimiste.
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