Citations sur Voyage à Rodrigues (117)
La mer, le seul lieu du monde où l'on puisse être loin, entouré de ses propres rêves, à la fois perdu et proche de soi-même.
Le langage aussi est un mystère, un secret.
Mon grand père invente une langue pour rêver plus que pour parler...
C'est une langue pour parler au temps passé, pour s'adresser aux ombres, au monde à jamais disparu, du temps où la lumière brillait si fort sur la mer des Indes, et dont seul le silence minéral de Rodrigues a su garder, par le miracle du désert, cette trace encore visible au- delà de la mort.
Les oiseaux ne meurent pas, sauf quand les hommes les engluent dans leurs pièges. Ils vivent entre le ciel et la mer, puis un jour ils disparaissent, avalés par l'espace, sans qu'on sache où ils se sont enfuis.
Ce ne sont là que quelques arpents, un simple creux de la terre, une rainure dans les roches volcaniques, sur cet autre rocher qu'on appelle Rodrigues. Mais c'est un lieu plein de sens et de puissance, comme si la chaleur et la lumière, au cours des âges, avaient épaissi les choses, et avaient donné aux plantes et aux hommes qui y survivent un petit peu de la force de la lave.
Mais à Rodrigues, la réalité est sans limite, elle envahit jusqu'à l'imaginaire, mêlée de chiffres, de calculs, de symboles, ou bien fuyant dans le vent vers l'horizon dévoreur d'oiseaux, vers la mer, vers le ciel mobile, jusqu'à la lumière du soleil et jusqu'aux feux éternels des astres.
C'est cette mer-là que mon grand-père a dû rêver, une mer qui est elle-même la substance du rêve : infinie, inconnaissable, monde où l'on se perd soi-même, ou l'on devient autre....
La mer, le seul lieu du monde où l'on puisse être loin, entouré de ses propres rêves, à la fois perdu et proche de soi-même.
La fin des voyages est toujours triste, parce que c'est la fin des rêves.
Maintenant je le sais bien. On ne partage pas les rêves.
J'avance le long de la vallée de la rivière Roseaux, les montagnes sont toutes proches maintenant, les flancs des collines se resserent. Le paysage est d'une pureté extraordinaire, minéral, métallique, avec les arbres rares d'un vert profond, debout au-dessus de leur flaque d'ombre, et les arbustes aux feuilles piquantes, palmiers nains, aloès, cactus, d'un vert plus aigu, plein de force et de lumière.
Au fond de cette vallée, où tout semble si abandonné, si désert, semblable à une planète morte, ce ne sont pas la mémoire ni les désirs des visiteurs passagers qui comptent, mais au contraire tout ce qui est resté intact loin des hommes, cette braise qui palpite encore.